La première mission japonaise à destination d'un astéroïde fut extraordinairement mouvementée. Sans jamais sombrer dans l'échec, les équipes de Hayabusa ont du rester patientes et vigilantes… Pour une bien maigre récolte. Retour sur une mission qui a tout de même marqué l'exploration spatiale.
Surtout, les erreurs d'Hayabusa, une fois corrigées, ont mené à la superbe mission Hayabusa2 !
En route pour les astéroïdes
À la fin du XXè siècle, l'agence spatiale japonaise, qui n'a pas de moyens comparables avec sa cousine américaine, peut néanmoins apporter son expertise et innover sur des missions d'exploration. Les scientifiques japonais de l'ISAS (agence qui sera fusionnée avec deux autres pour former la JAXA en 2003) en sont convaincus, eux qui ont réussi leur survol de la comète de Haley en 1986. Après plusieurs années d'études et de partenariats internationaux, ils lancent en 1995 un projet appelé MUSES-C (Mu Space Engineering Spacecraft C), qui doit permettre d'étudier l'astéroïde Nereus et d'en ramener un échantillon.
L'intérêt scientifique est majeur : les météores récupérés sur Terre après leur traversée de l'atmosphère sont profondément altérés, et de nombreux astéroïdes sont les témoins directs des origines bouleversées de notre Système Solaire.
La sonde MUSES-C, 510 kg sur la balance, embarque un petit robot (MINERVA) qu'elle va larguer sur la surface, un dispositif de collecte d'échantillons pour son astéroïde, et plusieurs instruments qui auront pour mission d'observer et documenter un maximum l'astéroïde pendant les quelques mois où la sonde l'accompagnera. On retrouve dans l'attirail un capteur optique AMICA, et deux spectromètres en bande X et Infrarouge pour évaluer la surface et les matériaux qui la composent.
C'est assez rare pour être souligné : le développement du véhicule ne prendra pas de retard ! Cependant, MUSES-C est victime de plusieurs autres événements. Pour commencer, la NASA retire son partenariat en 2000 pour des questions de budget : un petit robot déployable conçu par le laboratoire JPL ne pourra finalement être du voyage.
Premières alertes pour le transit
En février 2000, une fusée M-V (ou Mu-5) identique à celle qui devait emmener MUSES-C échoue après seulement 42 secondes de vol. Le temps de mener l'enquête et de résoudre les problèmes avec ce lanceur, la date de décollage pour la sonde japonaise est décalée à la fin de l'année 2002. Sauf qu'à ce moment-là, l'astéroïde Nereus n'est plus à portée de vol. La mission reporte donc son attention sur 1998 SF36, petit astéroïde qui sera renommé Itokawa (en hommage à l'un des pères du programme spatial japonais). Toutefois, les soucis pré-vol ne sont pas encore tout à fait terminés.
À quelques semaines du lancement, coup de théâtre : il faut vérifier tous les joints des propulseurs de la sonde par suite d'un problème de matériau. MUSES-C ne pourra finalement décoller que le 9 mai 2003. Une fois en route, elle est (enfin) baptisée Hayabusa, le « Faucon pèlerin ».
Les chercheurs et responsables de la mission ne savent pas en 2003 qu'avec le décollage, les ennuis ne sont malheureusement pas terminés : ils vont devoir lutter 7 ans contre l'acharnement de la loi de Murphy. Absolument tout ce qui pouvait aller de travers a déraillé, et pourtant ils ont toujours été au rendez-vous pour remettre la mission sur le droit chemin et réussir ses objectifs ambitieux. L'un des exemples le plus parlant est celui qui a affecté la propulsion d'Hayabusa. Le véhicule utilisait (très innovant pour l'époque) quatre moteurs électriques-ioniques.
Mais le 4 novembre 2004, une gigantesque éruption solaire a lieu. Comble de malchance, la sonde prend de plein fouet une véritable vague de particules chargées, qui endommagent l'un de ses moteurs et ses panneaux solaires de façon permanente. Hayabusa peut continuer son voyage, mais elle aura besoin de deux mois supplémentaires pour rejoindre l'astéroïde Itokawa.
Le faucon repère sa proie
Il faudra donc attendre le 12 septembre 2005 pour que Hayabusa soit à son poste d'observation, 20 km « derrière » Itokawa. L'astéroïde se révèle fascinant, avec sa forme patatoïde qui résulte probablement de la fusion de deux corps plus petits. Malgré sa petite taille (530 x 300m grossièrement), sa surface est très inégale, avec de petites plaines poussiéreuses et différentes landes rocheuses.
Il est de la famille des astéroïdes à haute teneur en Silicate (Type S), et fascine le public comme les scientifiques de la mission, qui savent pourtant qu'ils vont passer un moment difficile pour préparer l'atterrissage de Hayabusa. Pourtant, il n'y a pas une minute à perdre : la sonde ne dispose que de trois mois pour boucler toutes ses opérations scientifiques avant de repartir.
Les six premières semaines sont utilisées pour les mesures. Observations optiques, survols pour évaluer la gravité : tout se passe bien. Mais il faudra être plus ambitieux pour réussir les dernières opérations, et c'est là que la situation se corse. Le 3 novembre, la sonde (perturbée par son altimètre) rate une descente près de la surface et échoue à larguer un marqueur de cible pour les futurs prélèvements.
Le 7 novembre cependant, Hayabusa réussit une descente et un largage simulé à seulement 70 m de la surface ! Les équipes reprennent confiance, d'autant que l'exercice a permis de voir que le premier site d'atterrissage envisagé était trop rocailleux.
Le 12 novembre, ils retentent l'opération avec une descente à 50 mètres, qui doit aboutir au largage du petit robot indépendant MINERVA, équipé d'une caméra et d'un dispositif qui le rend capable de sauter sur la surface. Mais une erreur de timing va survenir, et MINERVA est largué après que le véhicule se soit propulsé pour sa remontée. Résultat : MINERVA ne touchera jamais l'astéroïde, et dérivera sans possibilité de retour.
La collecte d'échantillons, véritable feuilleton
Il n'y a cependant pas le temps d'évaluer cet échec. Une semaine plus tard le 19 novembre, Hayabusa tente de se poser pour collecter ses échantillons. La méthode est théoriquement simple : descendre jusqu'à frôler la surface avec la trompe de l'instrument, puis tirer un projectile dans le sol, qui fera remonter dans la trompe les particules de poussière de la surface. Après quoi il suffira de fermer le collecteur… Le véhicule n'a pas le temps d'échanger ses commandes avec la Terre, et doit tout réaliser de façon automatisée.
Par malchance, les équipes au sol ne pourront même pas suivre le déroulé de l'opération : l'antenne grand gain est mal orientée, et un saut dans les télécommunications induisent un « blanc » de plusieurs heures. Lorsque la sonde reprend contact, elle est à 100 km de l'astéroïde et révèle qu'elle s'est mise en sécurité. Les scientifiques ne le savent pas alors, mais le système de collecte n'a pas fonctionné : le projectile n'a pas été tiré et Hayabusa s'est couché (en douceur) près de 30 minutes sur la surface d'Itokawa…
Puisque le véhicule est encore fonctionnel, les équipes estiment qu'il y a peut-être des échantillons dans le collecteur, mais décident tout de même de tenter un second prélèvement. Cette tentative se passe mieux… jusqu'aux dernières secondes, car s'il touche bein la surface, le véhicule subira en revanche un problème de propulseurs lors de la remontée.
L'équipe scientifique estime que cette fois, la collecte s'est mieux passée (ils l'ignorent mais cette fois encore, le projectile… ne s'est pas déclenché). La sonde est abîmée, mais les équipes peuvent tout de même célébrer : Hayabusa devrait revenir sur Terre en juin 2007. Malheureusement pour eux, ils ne sont pas au bout de leurs surprises.
Des efforts, encore des efforts
Dès le 27 novembre, les problèmes s'accumulent. Un propulseur d'attitude (qui permet d'orienter le véhicule) est endommagé. Puis les équipes constatent une dérive du véhicule, qui n'arrive pas à « pointer » correctement une position. Au sol, les corrections s'enchaînent, mais le 8 décembre, la sonde perd totalement le contrôle, et les responsables pensent un moment qu'elle sera perdue. Tant pis, Hayabusa restera à sa position le temps qu'il faudra : tant qu'ils peuvent encore reprendre contact, il y a de l'espoir.
Ils y travailleront… 16 mois. Le 25 avril 2007, Hayabusa prend le chemin de la Terre. Elle est alors handicapée de deux moteurs ioniques, de 4 batteries sur 11, d'une partie de ses cellules solaires… Pourtant, les manœuvres fonctionnent. Le 14 juin 2010, au terme d'un voyage qui s'apparente à une bataille contre les éléments, la sonde largue sa petite capsule atmosphérique, puis se désintègre dans l'atmosphère comme prévu. Près de Woomera en Australie, les scientifiques peuvent laisser éclater leur joie : les parachutes ont fonctionné et le retour s'est passé comme prévu.
Tout ça… pour ça !
Ultime coup du sort lors de l'ouverture de la capsule de retour au Japon : elle est… vide. Du moins, c'est ce qu'il semble au premier coup d'œil. Toutefois, pas question de désespérer. En analysant méticuleusement le collecteur dans un environnement contrôlé, les scientifiques retrouvent environ 1 500 « grains » de poussière de météorite, dont les tailles s'évaluent en micromètres. Cela peut paraître décevant, mais des études suivantes montreront qu'ils sont presque tous issus de la surface de l'astéroïde ou de son environnement immédiat, ils ont donc pu être analysés sur Terre avec une grande précision.
Différents grains ont été envoyés dans les laboratoires du monde entier, et ont mené à plus d'une dizaine de publications majeures (on y apprend que l'astéroïde est par exemple issu d'un corps parent, et que son origine remonte au moins à 8 millions d'années).
Grâce à leur ténacité, les membres de l'équipe de mission Hayabusa ont montré qu'ils pouvaient surmonter les erreurs. La majorité d'entre eux répondra d'ailleurs présente pour une deuxième mission encore plus ambitieuse, qui décollera en 2014 : Hayabusa2.