Une vue d'artiste du télescope Euclid en route pour son "spot" autour du point de Lagrange L2 © ESA
Une vue d'artiste du télescope Euclid en route pour son "spot" autour du point de Lagrange L2 © ESA

Cartographier les galaxies et les grandes structures de l'Univers visible pour comprendre et décrire les propriétés de la matière et de l'énergie noire : voilà un bel objectif. C'est celui du télescope européen Euclid, qui vient de décoller avec un lanceur Falcon 9 depuis la Floride. Il se rendra d'abord au point de Lagrange L2.

Les équipes scientifiques espèrent mieux comprendre la physique fondamentale de l'Univers grâce à ces mesures.

Le plus dur est passé ?

C'était l'un des décollages scientifiques les plus importants de l'année. Non seulement pour le potentiel que représente Euclid pour les futures publications et la compréhension de notre Univers, mais aussi parce que c'est une mission phare pour l'Agence spatiale européenne, qui dépense environ 1,4 milliard d'euros pour ce véritable bijou technologique, son lancement et les opérations. Inutile de dire que de la Floride jusqu'au centre des opérations à Darmstadt, il y avait de la tension dans l'air ! Falcon 9 a décollé à 17 h 11 (heure de Paris) ce 1er juillet avec le télescope de 2 tonnes avant d'être éjecté sur une trajectoire pour rejoindre le point de Lagrange L2, situé à 1,5 million de kilomètres de la Terre.

Le trajet lui-même devrait prendre 4 semaines, au cours desquelles les instruments seront refroidis à leur température de fonctionnement. Ils prendront également leurs premières images pour commencer l'étalonnage avant même que le télescope soit entièrement en place afin de maximiser la durée de la longue campagne scientifique qui attend Euclid. Le démarrage « officiel » du télescope avec les images exploitables est attendu pour les premiers jours d'octobre. Et si cela vous paraît long, n'oubliez pas que pour le télescope James Webb (qui opère dans le même voisinage qu'Euclid), cela avait pris 6 mois !

Ceci n'est pas un petit télescope... Son "package scientifique" est considéré comme à la pointe de ce qui se fait dans le monde © ESA
Ceci n'est pas un petit télescope... Son "package scientifique" est considéré comme à la pointe de ce qui se fait dans le monde © ESA

Euclid, un outil spécialisé et perfectionné

Euclid est un télescope européen, il a donc été conçu et assemblé en Europe. Airbus Defence & Space s'est chargé de la partie « charge utile/optique » en particulier, et Thales Alenia Space (TAS) a géré l'assemblage ainsi que de nombreux composants essentiels. Euclid, qui mesure 4,7 mètres de haut, a d'ailleurs fait l'objet de nombreux travaux en France, par exemple sur le site de TAS à Cannes. Le véhicule se compose d'une partie « satellite » avec panneau solaire (il fait aussi office de pare-soleil), réservoir d'ergols, communications et ordinateur de bord, et de sa charge utile avec l'impressionnant foyer optique du télescope et son miroir primaire de 1,2 mètre de diamètre, qui permet de capturer un maximum de lumière à envoyer aux deux instruments scientifiques VIS et NISP.

La VISible Wavelength Camera est, comme son nom l'indique, un capteur optique à très haute résolution qui fonctionne dans les longueurs d'onde du visible (ici 550 à 900 nanomètres). Et ce n'est pas un appareil photo du commerce ! En son cœur, on trouve une matrice CCD de 36 éléments, chacun disposant de 4K x 4K pixels. Le but avec cet instrument très sensible est de produire des images les plus détaillées et les moins bruitées possible pour identifier un maximum de galaxies et leur forme.

L'instrument voisin, qui est son complément, est le Near-Infrared Spectrometer and Photometer (NISP), analysera le spectre proche infrarouge (900 à 2 000 nanomètres de longueur d'onde) de la lumière qui parvient dans le télescope. Sa résolution est moindre, avec une matrice de 16 détecteurs de 2 x 2K de définition, mais il est là pour analyser la lumière, pas détecter des formes. Un seul pixel lui suffit au fil du temps pour pouvoir catégoriser l'intensité lumineuse et la distance d'une galaxie !

Au cœur du télescope, les voisins VIS et NISP © ESA

Une carte 3D de l'Univers… mais pour quoi faire ?

L'objectif déclaré d'Euclid est de « dévoiler les mystères de la matière noire et de l'énergie sombre », ce qui peut paraître compliqué parce que, presque par définition, on ne sait pas quantifier la matière noire ni mesurer exactement l'énergie sombre. Surtout, quel est le rapport avec les deux instruments optique et infrarouge qu'embarque le télescope ? En réalité, le cœur de la mission d'Euclid est de produire une carte. Le télescope est conçu pour pouvoir observer, mesurer et catégoriser un maximum de galaxies présentes dans son champ de vision, jusqu'à environ 10 milliards d'années-lumière. La partie optique identifie une galaxie, la partie infrarouge la catégorise : quantité de lumière, déplacement et distance. Cela ne vous rappelle rien ? Avec des capteurs différents, c'est ce que fait la mission européenne Gaia, qui est spécialisée dans les étoiles (et qui en a déjà généré une carte, un catalogue de plus de 1,5 milliard d'étoiles).

Euclid va donc, sur le même principe et avec énormément de données, construire une carte 3D des galaxies qui entourent la nôtre. Il devrait produire environ 1,5 Go de relevés chaque jour durant ses 6 ans de fonctionnement nominal, sachant que les scientifiques espèrent déjà que les premiers bilans de santé montreront que sa durée de vie peut être plus longue.

S'attaquer à la structure de l'Univers, ce ne sera pas une promenade de santé ! © ESA

Montre-nous ton coté sombre

En exploitant cette cartographie 3D et les mouvements des galaxies les unes par rapport aux autres, les équipes vont pouvoir mieux comprendre la structure de notre univers local. Ce sera terriblement utile pour comprendre la matière noire (qui représente environ 25 % de toute la masse présente dans le cosmos) et l'énergie noire, qui est à l'origine même de l'expansion de l'Univers.

Euclid cherchera aussi à mieux caractériser la matière noire grâce à l'effet de lentille gravitationnelle. On connaît les clichés du James Webb, où d'énormes groupes de galaxies et des nuages d'étoiles déforment par leur masse la lumière des galaxies en arrière-plan. Mais il n'y a aucune raison que la matière noire ne fonctionne pas de la même façon : un effet de lentille gravitationnelle « faible » qui magnifie et déforme la lumière d'une galaxie par la masse de la matière noire. Naturellement, plus Euclid va observer longtemps les millions de galaxies que le télescope va recenser, plus il y a de chances de découvrir et de comprendre ces phénomènes.

Au passage, Euclid n'observera « que » un tiers du ciel observable environ, à cause de la Voie lactée. En effet, les étoiles de notre galaxie et de celles qui sont directement à côté perturberaient trop les mesures (même si, occasionnellement, il y aura quelques clichés). Euclid est donc là pour mesurer en priorité les zones de notre univers observable où il y a le moins d'étoiles proches. Enfin, en étudiant la distribution des galaxies des plus vieilles aux plus jeunes, les équipes scientifiques espèrent aussi retrouver les vagues et les structures observées à travers le fond diffus cosmologique, cette « photo » de l'Univers primitif dont l'écho nous parvient encore.

L'important contingent de pays qui participent à l'aventure scientifique d'Euclid © ESA

Des données sécurisées

Les données d'Euclid seront récupérées par un réseau mondial d'antennes (occasionnellement, le Deep Space Network américain viendra en support), et les données seront stockées à l'ESAC, en Espagne, avant d'être consultées et traitées par le consortium Euclid. Celui-ci regroupe environ 2 000 scientifiques répartis autour du monde, mais en particulier dans les pays européens, y compris en France avec une forte communauté sur ce projet. L'ESA s'est déjà engagée à ce que l'ensemble des mesures soient consultables, après une première période, par tous les laboratoires scientifiques du monde sans restrictions, dans sa politique d'ouverture des données.

Source : ESA