C'est la fusée qui décolle le plus en 2022, et de loin, avec plus de 30 décollages depuis le début de l'année. Mais c’est quoi exactement, Falcon 9 ? De ses débuts timides en 2010 aux cadences infernales de la réutilisation, en passant par ses deux échecs majeurs en 2015 et 16, découvrez le cheval de trait de SpaceX !
On ira un peu plus loin loin pour comprendre comment elle est devenue aussi fiable.
Falcon qui ?
Il faut remonter jusqu’à 2005 pour trouver les origines de Falcon 9. SpaceX développe alors son premier lanceur, Falcon 1. La fusée est nommée en hommage au Faucon Millenium de Star Wars, et possède un unique moteur Merlin 1A. Il est alors question d’en créer un dérivé plus imposant, avec cinq moteurs : la Falcon 5. Mais les capacités de cette nouvelle fusée, si elles intéressent de nombreux clients privés, sont trop faibles pour transporter le projet de capsule que SpaceX envisage d’envoyer ravitailler l’ISS. Dès 2005 surtout, Elon Musk évoque Falcon 9, un lanceur lourd et « totalement réutilisable ». Le développement n’est cependant pas au premier plan, entre les déboires de Falcon 1 et les problèmes financiers de SpaceX, qui peine jusqu’à 2008…
Falcon 9 doit son existence initiale à la NASA, et son contrat de développement pour la capsule cargo Dragon devant ravitailler la Station Spatiale Internationale. Alors que SpaceX, basée à Hawthorne, avait déjà commencé à développer son nouveau lanceur, l’assurance d’avoir des contrats pour la capsule, avec en plus le chèque de l’agence permettent une avancée rapide… peut-être même trop rapide. Le premier exemplaire est pratiquement un prototype, mais il réussit à passer ses tests d’allumages statiques au sol avant d’être transporté sur le premier site de lancement équipé, le LC-40 à Cape Canaveral. Et il passera plusieurs mois sur place, avant un décollage inaugural le 4 juin 2010. La fusée fonctionne comme prévu, et SpaceX peut fêter un succès d’emblée pour son premier tir… L’entreprise est félicitée par la NASA, s’est assurée une publicité mondiale et démarre correctement sa très longue liste de lancements.
Merlin l’enchanteur
Falcon 9 est alors dans sa toute première version. C’est une fusée à deux étages, le premier est équipé de 9 moteurs Merlin-1C disposés en trois rangées de 3, ainsi qu’un seul moteur Merlin 1C adapté au vide (1C-Vac) sur l’étage supérieur. Elle fonctionne avec deux ergols, le kérosène RP-1 et l’oxygène liquide. Le moteur est d’une architecture « simple », mais progressivement poussée dans ses retranchements, avec un rapport poids/puissance (TWR) qui atteint 1/198, et une turbopompe unique alimentée par un générateur de gaz en cycle ouvert. Les versions évoluent à partir d’une base unique en 2006 (Merlin 1A) jusqu’à 2016 (Merlin 1DV) pour intégrer des améliorations, en particulier au service des réutilisations. Les 9 moteurs du premier étage sont tous isolés les uns des autres par des parois capables de résister (en théorie) à la destruction d’une des unités en vol.
Première version
En 2010, la fusée est encore petite par rapport à la version la plus connue aujourd’hui avec 47,8 m de haut, et une capacité vers l’orbite de 10 tonnes au maximum. Surtout, même si les essais initiaux et la première campagne de tir se sont bien passé, elle ne répond pas encore à la logique industrielle de SpaceX. La production est théoriquement capable de gérer l’assemblage d’une Falcon 9 tous les trois mois environ, mais cela exclut tous les soucis qui surviennent au fur et à mesure des premières campagnes… qu’il faut alors résoudre et corriger sur le modèle suivant.
La deuxième tentative de vol est prévue en décembre, mais Falcon 9 arrive en Floride pour sa préparation au lancement dès le mois d’août ! Les reports sont légion et pour ce deuxième vol, il a même fallu bricoler en coupant une partie de l’anneau extérieur de la tuyère moteur sur l’étage supérieur : à l’inspection, les équipes y avaient trouvé des fissures…
La p’tite fusée qui grimpe, qui grimpe…
Tous les premiers vols sont au service de la NASA, dans le cadre du projet de cargo Dragon pour ravitailler l’ISS. Très en retard sur le planning initial (mais moins que son concurrent, Orbital Sciences), SpaceX repousse les vols commerciaux à plus tard… Malgré les attentes qui grimpent car l’entreprise a annulé le développement de Falcon 5, et continue d’engranger des contrats en promettant des prix plancher, moins chers que ceux pratiqués par Arianespace et ILS, qui commercialise Proton à l’international ! Le troisième vol avec Dragon n’a lieu qu’en mai 2012, et l’entreprise n’est pas encore sortie de la phase initiale de développement pour Falcon 9.
D’une part parce qu’elle prépare l’évolution de son moteur le Merlin-1D, de l’autre parce qu’elle sera face à son premier échec partiel lors du tir suivant le 8 octobre. Dans les dernières phases de la montée du premier étage, l’un des neuf moteurs s’arrête trop tôt… Résultat, le satellite expérimental Orbcomm-OG2 est éjecté sur une orbite trop basse, même si le cargo Dragon, qui est la charge utile principale de ce vol, atteint pour sa part la Station Spatiale Internationale comme prévu. Il faudra encore pratiquement six mois pour le lancement du dernier exemplaire de Falcon 9 V1.0, qui aura lieu le 1er mars 2013.
Le Falcon nouveau est arrivé
Falcon 9 change de version ensuite pour la V1.1, et c’est pratiquement un changement de lanceur ! Cette fois, les 9 moteurs du premier étage forment un cercle de 8 + une unité au centre. La poussée est mieux gérée, et surtout le Merlin 1D profite d’une meilleure puissance ! En conséquence, ses réservoirs sont allongés et la fusée est plus haute (68,4m)… Les capacités augmentent de plus de 3 tonnes en orbite basse. C’est aussi la version que SpaceX attendait de produire pour démarrer les lancements commerciaux. L’entreprise en réalise deux avant la fin de l’année 2013, et Falcon 9 qui commence à détenir une réputation correcte : la fiabilité est au rendez-vous, les primes d’assurances baissent, le rythme augmente. Mais il faut encore convaincre que la méthode de SpaceX (qui fabrique l’intégralité de Falcon 9 en interne) est adaptée à une augmentation du rythme. En 2014, SpaceX a deux objectifs principaux : gagner en cadence, et tester progressivement les technologies qui permettront le retour du premier étage de la fusée.
Pour ce qui est du rythme, les objectifs sont rapidement remplis : SpaceX démontre qu’il est possible de faire décoller Falcon 9 toutes les 5 à 6 semaines environ. Pourtant, la production comme les sites de lancements n’y sont pas encore totalement adaptés, d’autant que la fusée continue d’évoluer. L’entreprise grandit et vise plusieurs fronts à la fois, commence à démanteler les installations des navettes spatiales sur le site LC-39A du Centre Spatial Kennedy pour adapter le site à Falcon 9 et à l’arrivée de la version Heavy… L’augmentation des cadences se heurtera pourtant à un gros frein le 28 juin 2015, lorsque le lanceur explose en vol à 40 kilomètres d’altitude : son premier véritable échec de mission. Un coup dur contrebalancé moins de six mois plus tard par une réussite inattendue… Lors de son retour en vol Falcon 9 réussit à envoyer le premier étage de la fusée se poser à terre à Cape Canaveral. C’est aussi le tout premier vol de la version « full thrust » de Falcon 9 ! Elle gagne encore en puissance, et utilise à présent des ergols super-refroidis pour les densifier au maximum.
Des échecs qui masquent les avancées
L’année 2016 est celle d’un tournant pour SpaceX, où vont être mis en place les procédés qui vont assurer fiabilité et cadences. Falcon 9 « FT » arrive et s’impose rapidement en emmenant des charges utiles de plus en plus imposantes vers l’orbite de transfert géostationnaire, tout en réussissant à poser le premier étage pour la première fois en mer. Pourtant, 2016 restera aussi comme celle d’un autre échec spectaculaire, avant même le jour du décollage : lors du dernier test de mise à feu statique de la mission Amos-6 sur le site de lancement, avec le satellite installé sous la coiffe, le deuxième étage de Falcon 9 explose, et l’ensemble se termine en flammes qui ravagent le site LC-40 de Cape Canaveral. Alors que de nombreux observateurs se demandent si SpaceX arrivera à sortir de cette période difficile, Falcon 9 est en réalité à l’aube d’une période faste. Le deuxième site de la côte, au Centre Spatial Kennedy, est entré en service, et les premiers étages réutilisés vont bientôt décoller en série… Et avec une fiabilité qui ne sera pas remise en question.
Stakhanovistes des tirs
En 2018, SpaceX utilise le retour d’expérience de 3 ans de récupérations de premiers étages, ainsi que de plusieurs réutilisations, pour mettre en service la version « finale » de Falcon 9, annoncée plusieurs mois à l’avance. Ce sera donc la « block 5 » qui est la plus puissante, la plus optimisée, et surtout la plus adaptée à la réutilisation. Depuis, l’entreprise poursuit l’évolution à minima de Falcon 9, mais les grandes évolutions ont laissé place à de petits ajustements… Pour récupérer et réutiliser les coiffes, par exemple. Et surtout à une cadence industrielle de lancements, même si la production est « calme » car SpaceX ne met en service qu’une poignée de premiers étages par an. Falcon 9 décolle 21 fois en 2018. Mais ce n’est qu’un avant-goût au déploiement futur de la constellation Starlink, lequel démarre fin 2019. Les records de réutilisation comme de rythme de lancements vont s’enchaîner. 26 tirs en 2020, puis 31 tirs en 2021… Et déjà 31 tirs à la mi-2022.
Ironiquement, Falcon 9 qui fut moquée pour ses retards et ses cadences de lancements au début des années 2010, puis pour sa fiabilité en 2015 et 2016, explose les statistiques en 2021-2022. Plus de 130 lancements réussis d’affilée, des étages qui ont réussi 13 tirs d’affilée, Falcon 9 est devenu le maître étalon des décollages de fusée dans le monde entier, en 12 ans !