Vue d'artiste du télescope Planck dans l'espace © ESA
Vue d'artiste du télescope Planck dans l'espace © ESA

Et s’il était possible d’obtenir une image plus précise que jamais d’un écho de l’Univers jeune ? Pour capturer le « Cosmic Microwave Background » (CMB) et ses températures, l’ESA envoie en 2009 un télescope unique en son genre à 1,5 million de kilomètres de la Terre. Ce dernier est un bijou… qu’il faut garder au froid.

La mission fut une impressionnante réussite.

Une image de l’Univers jeune

À l’échelle de l’âge de l’Univers, le CMB est un flash. Comme un premier flash de lumière s’échappant d’un plasma opaque pour la première fois lorsque l’expansion, environ 300 000 ans après le Big Bang, a enfin permis aux particules de former des atomes. Ce flash traverse l’Univers sans véritable point d’origine ni fin, mais il est encore possible de le capter.

En effet, en tenant compte du décalage de fréquence de ce curieux signal, il est possible de « voir » cette étrange photo de notre univers, et ce, dans différents domaines (visible et infrarouge), même si elle reste pour les non-astrophysiciens aussi lisible qu’une première échographie. Théorisé dans les années 50, le CMB, que l’on appelle en français le « fond diffus cosmologique », est mesuré pour la première fois dans les années 60. Néanmoins, s’il fait écho dans l’Univers depuis 13,6 milliards d’années, il est difficile à mesurer sur Terre, à cause de notre atmosphère et de nos interférences.

Le CMB issu des données de la mission COBE de la NASA © NASA
Le CMB issu des données de la mission COBE de la NASA © NASA

Couple spatial

Un premier observatoire spatial de la NASA, nommé COBE (COsmic Background Explorer), est envoyé en orbite terrestre en 1989 et obtient une image de ce fond cosmologique. Il s'agit d'une découverte importante, même si COBE a des moyens limités. L’agence américaine lui prépare aussitôt un successeur nommé WMAP, tandis que les scientifiques européens plaident pour une mission indépendante. Ils l’obtiendront en 1996, en fusionnant deux projets de recherche italien et français pour obtenir un seul télescope spatial : c’est la naissance de Planck.

Il y a toutefois dans ce projet une idée originale pour tenter de faire des économies : il est couplé avec celui du télescope infrarouge Herschel. Le concept repose sur l’idée d’un seul industriel maître d’œuvre. Celui-ci utilise la même plateforme pour les deux véhicules spatiaux, avec un maximum d’éléments en commun pour éviter d’avoir deux missions « sur mesure », à l’exception évidente des instruments scientifiques qui n’ont presque rien en commun. Ils partageront aussi leur lanceur, Ariane 5, et leur destination, une orbite en forme de lasso autour du point de Lagrange L2, à 1,5 million de kilomètres de la Terre (on y retrouve aujourd’hui d’autres télescopes comme le James Webb et Gaia).

Le bloc instrumental super-refroidi au cœur de la mission Planck © ESA

Du froid, on veut du froid !

Malgré tout, coupler le développement, c’est aussi coupler les retards et les défis techniques. À l’origine, Planck et Herschel devaient décoller en 2003, mais les contraintes budgétaires et scientifiques vont repousser leur lancement de plusieurs années. Planck en particulier est équipé de deux instruments très ambitieux, le LFI (rien à voir avec le parti de gauche), pour Low Frequency Instrument, et le HFI, pour High Frequency Instrument.

Les deux sont placés dans l’axe de la partie optique avec des filtres permettant de capter des bandes de fréquences très spécifiques. Mais surtout, il faut que leurs capteurs soient refroidis, le LFI à 20 kelvins (-253 °C) et le HFI… à 0,1 kelvin. Il est possible d’envisager cet exploit technique sur Terre, comme c'est le cas pour les horloges atomiques super-refroidies, mais il représente un véritable défi sur un instrument embarqué.

Ainsi, l’instrumentation de Planck est conçue de façon à rester dans l’ombre permanente du reste du télescope, cachée par plusieurs couches isolantes pour ne requérir qu’un minimum de refroidissement actif. Pour autant, ces éléments s’avèrent indispensables pour le HFI, qui dispose d’un système à trois étages conçu par les équipes françaises de l’instrument.

3, 2, 1, du froid !

Contrairement à ce que l’on peut imaginer, ce n’est pas tant la conception que les tests qui vont prendre énormément de temps dans ce programme. Pas question en effet d’envoyer le télescope à 1,5 million de kilomètres de la Terre sans s’assurer au préalable que les instruments fonctionnent comme prévu…

Les sessions en chambre à vide prennent cependant plusieurs semaines, le temps de refroidir les instruments et de tester leur sensibilité. Malgré tout, Planck et son frère Herschel prennent forme et, à l’été 2008, passent avec succès les derniers essais. Début 2009, les deux télescopes sont transportés jusqu’au Centre spatial guyanais et forment un tandem unique sous la coiffe d’Ariane 5 pour son décollage le 14 mai 2009 ! Ce lancement est à haut risque, surveillé et sous une tension presque aussi forte que celle qui accompagnera le JWST, 11 ans et demi plus tard.

Ariane 5 sur sa table de tir, avec sous sa coiffe les télescopes Herschel et Planck © ESA / Optique vidéo du CSG

Faire la Planck

Le télescope Planck pèse pratiquement 2 tonnes au moment de son décollage, et il lui faut un peu plus de 6 semaines de trajet pour rejoindre le point de Lagrange L2. Grâce à une série de modifications très précises de sa trajectoire, il entame son orbite dite de Lissajous autour du L2, ce qui lui assure entre autres de ne jamais se retrouver de manière prolongée dans l’ombre de la Terre. Le 3 juillet, au moment où il s’injecte en orbite, l’instrument HFI réussit à atteindre 0,1 Kelvin. De quoi démarrer l’étalonnage des instruments, qui va durer 8 semaines… Cet été est chargé pour les équipes, car d’habitude, la période de « recette » d’un télescope est bien plus longue, mais pour Planck, les scientifiques ont mis le pied sur l’accélérateur afin d’obtenir plus de mesures, et plus longtemps.

Ils ont bien fait. Planck fonctionne à merveille et va poursuivre sa mission pendant plus de deux ans et demi pour l’instrument HFI, qui finit par épuiser la réserve d’hélium qui lui était nécessaire pour son refroidissement. L’instrument LFI, de son côté, n’a pas besoin d’autant de refroidissement actif, et les équipes réussissent à le pousser dans ses retranchements pour qu’il continue de collecter des mesures jusqu’au mois d’octobre 2013. Cette durée impressionnante vient saluer les efforts consentis !

En fin de compte, Planck est parvenu à « scanner » l’ensemble de l’univers visible au moins trois fois pour construire son image du CMB avec le HFI, et presque cinq fois avec l’instrument LFI. Une moisson de données exceptionnelle ! Après plusieurs résultats intermédiaires, les astrophysiciens dévoilent les résultats « finaux » le 10 août 2015, en ouvrant également les jeux de données en libre accès aux équipes du monde entier.

Le télescope Planck en préparation avant son décollage © ESA

Redéfinir un peu l’Univers

Les résultats de Planck écrasent, pour ainsi dire, ceux de la mission WMAP, pourtant lancée en orbite moins de 10 ans plus tôt. Ils permettent de dresser le portrait le plus précis jamais réalisé du fond diffus cosmologique, mais aussi, par l’interprétation des données, de cadrer les limites matérielles de l’Univers grâce à cette empreinte unique de sa jeunesse.

La constante de Hubble, qui régit la vitesse d’expansion de l’Univers, est révisée grâce aux résultats de Planck, tout comme la proportion de matière (4,9 %), de matière noire (26,6 %) et d’énergie noire (68,6 %). Bref, c’est toute la physique de l’infiniment grand, mais aussi celle de notre « point d’origine » qui sont réalignées grâce aux résultats de mesure de ce télescope. Ce dernier vient au passage confirmer les collectes de données de ses prédécesseurs (eh oui, ce ne sont pas que des générations aléatoires de points rouges et bleus…).

L'image la plus connue des résultats de Planck et ses mesures du fond diffus cosmologique © ESA / Planck Collaboration

Planck, avec son image trois fois mieux résolue que tous les autres, reste aujourd’hui inégalé. De nos jours, il n’existe aucun projet avancé pour aller capturer des données plus précises, que ce soit en Europe ou aux États-Unis (quelques projets sont évoqués en Chine, et la mission franco-chinoise SVOM pourrait apporter quelques résultats complémentaires). L’une des pistes les plus sérieuses pour l’installation d’un télescope capable de surpasser les données de Planck concerne une potentielle construction dans un cratère, sur la face cachée de la Lune. Ce ne sera pas pour tout de suite. Mais le fond diffus, lui, sera encore là.