La première image en champ profond du télescope James Webb © NASA / ESA / CSA / Webb
La première image en champ profond du télescope James Webb © NASA / ESA / CSA / Webb

Depuis le mois de juillet et la publication des premiers clichés scientifiques du télescope James Webb, les laboratoires du monde entier se livrent une course à la fois silencieuse et médiatique. Astrophysique et poétique aussi… La quête des premières galaxies, qui sont les plus lointaines.

Allons interroger directement les chercheurs pour le savoir !

Au cœur des champs profonds

Ce sont des images qui, sans grande surprise, font rêver. Les centaines, les milliers de galaxies visibles sur les photographies des champs profonds de Hubble ou du télescope James Webb nous en mettent plein les yeux. Mais il ne faudrait pas oublier que devant leur poésie manifeste, il y a de la science, et que cette science, appelée à évoluer à toute vitesse grâce aux nouveaux instruments à la disposition des astrophysiciens, fait l’objet de convoitises. Entre course à la publication et découvertes des galaxies les plus lointaines (et donc les plus anciennes), nous avons échangé avec l'astrophysicien David Elbaz.

Le Hubble Ultra Deep Field, l'une des références avant l'arrivée du JWST © NASA / ESA / HST
Le Hubble Ultra Deep Field, l'une des références avant l'arrivée du JWST © NASA / ESA / HST

Pour commencer, pouvez-vous expliquer quel est votre rôle avec les données du télescope James Webb, et à quoi vous vous consacrez ?

David Elbaz : Nous tentons d’observer et d’étudier les galaxies les plus anciennes de l’Univers. Mais avant d’y revenir en détail, j’aimerais bien expliquer comment nous obtenons les images avec lesquelles on travaille actuellement. Il faut connaître le fonctionnement particulier de la communauté qui gravite autour de l’étude du « Deep Field », les images les plus profondes de notre Univers. Il y a pour l’exploitation du télescope James Webb trois grandes familles d’observation, trois façons par lesquelles on peut obtenir des images. La première, c’est grâce aux créneaux réservés à ceux qui ont construit ou financé les instruments scientifiques, avec un temps garanti. Au CEA, nous avons la chance d’avoir participé à l’instrument MIRI, mais l’essentiel des observations que nous avons choisies gravite autour des exoplanètes. Ensuite, il y a les propositions de recherche en fonction des objectifs scientifiques principaux, et enfin, les images publiées en « early access » par les agences responsables du télescope.

Mais il faut savoir que nous avons une chance inouïe pour les champs profonds. Depuis Bob Williams en 1995 avec le premier « Deep Field » de Hubble, il y a une tradition qui consiste à donner l’accès public à tous les observatoires et laboratoires de recherche. Ainsi, dès que le James Webb observe les confins de l’Univers, nous obtenons les données dans la foulée, ce qui est assez unique. Pour le premier champ profond du JWST, deux jours après le discours de Joe Biden, nos recherches avaient déjà commencé ! C’est une philosophie qui me tient beaucoup à cœur, et que je tenais à expliquer pour y avoir également participé avec d’autres missions et télescopes comme Herschel ou ALMA.

Chaque point de cette image du télescope Herschel est une galaxie © ESA / SPIRE / Hermes

Pour revenir sur nos travaux, nous tentons comme plusieurs autres groupes autour du monde de répondre à trois quêtes, trois périodes ou questions fondamentales. La première est évidemment de savoir ce qu'il s’est passé à l’aube de l’Univers. La deuxième est de comprendre l’apparition de la première grande vague d’étoiles, et la réionisation. Et la dernière concerne les galaxies et leur naissance. Le James Webb va particulièrement nous permettre de confronter nos théories sur les premières galaxies avec les observations, et c’est ce qui rend le domaine aussi excitant aujourd’hui.

Spectroscopie ou analyse couleur ?

Dès la toute première série de clichés du télescope Webb avec le « First Deep Field », les agences ont mis en avant les capacités du JWST à détecter des galaxies lointaines. Pouvez-vous rappeler comment cela fonctionne ?

C’est finalement un domaine qui est encore très jeune. La technique originelle consiste à utiliser la spectroscopie complète d’une galaxie pour donner son âge, pour analyser son décalage vers le rouge. C’est une méthode intelligente pour utiliser les mesures dont on dispose afin de, façon de parler, faire passer une image du champ profond de la 2D à la 3D. Mais la spectroscopie, bien que restant une source très fiable d’information, est chronophage. Pour obtenir un « premier jet », une représentation beaucoup plus rapide de l’âge d’une galaxie, on peut se contenter (en connaissant la source du cliché et les caractéristiques du télescope) d’étudier sa couleur. Et là, c’est un traitement particulièrement facile. On peut observer des milliers de galaxies en une seule fois : celles qui nous apparaissent les plus rouges sont les plus vieilles. Bien sûr, ensuite, il convient de vérifier cette information, et malheureusement, c’est là que certains s’arrêtent… Car c’est évidemment un peu une course à la recherche de la galaxie la plus ancienne, surtout lorsque l’on dispose d’un nouvel outil aussi performant que le James Webb.

La lecture et la détection des galaxies les plus lointaines n'est pas un exercice très graphique pour le grand public © A Long Time ago in a galaxy far far away, A candidate Z12 Galaxy in Early JWST Ceers imaging, Finkelstein et al. 2022

Quand la première image, le « First Deep Field » que nous appelons SMACS 0723, a été publiée, le monde entier s’est précipité dessus. Il faut dire que l’intérêt était réel, car sur ce cliché, on voit un effet de lentille gravitationnelle : l’amas de galaxies au centre courbe l’espace et « zoome » sur des régions aux distances insoupçonnées. On y retrouve plusieurs galaxies dans le rouge, et c’est passionnant… Même si, à mon sens, il y a énormément d’autres détails qui sont tout aussi intéressants. On voit par exemple la lumière diffuse d’étoiles arrachées à leurs galaxies, que l’on n’avait jamais observées aussi bien.

Prendre la mesure des petites galaxies

En astronomie, comme pour l’exploration spatiale en général, il y a souvent des surprises. Quelles surprises pourrait-on avoir dans l’observation de galaxies super-lointaines/super-anciennes ?

L’une des premières pistes qui semble aller à l’encontre des modèles théoriques concerne la taille des galaxies les plus anciennes. On pourrait d’abord se demander comment on mesure la taille d’une galaxie sur un cliché du James Webb, et cela pourrait en fait vous faire sourire : avec une règle ! Nous avons une chance avec ces galaxies qui naît d’un phénomène tout à fait contre-intuitif. On a en référence un effet de perspective : lorsque l’on regarde quelque chose de proche, il nous apparaît plus grand que lorsqu’il est lointain. Pour l’Univers, ça ne marche pas bien, car celui-ci est en expansion. On a donc des images qui « gonflent », et des effets qui se compensent avec la distance. Résultat : sur des clichés comme les champs profonds, la taille d’une galaxie ne change pas vraiment en fonction de sa distance, et donc de son âge. On a pu vérifier cela sur des études plus poussées déjà, c’est étonnant. Donc bref, on peut mesurer leur taille avec une règle.

Des galaxies partout, tout le temps, c'est le quotidien des images du JWST © NASA / ESA / CSA / Webb

Pour en revenir à ce que l’on observe avec les galaxies les plus anciennes que l’on connaît, ainsi que les premières qui apparaissent sur les clichés du télescope James Webb, c’est leur taille. Elles sont petites, cela, on l’avait déjà observé et théorisé, mais à quel point ? Au passage, c’est un élément déterminant pour prouver la théorie du Big Bang et de l’évolution de l’Univers, car ce dernier est très différent aujourd’hui de ce qu’il était il y a 13 milliards d’années. Et les derniers résultats sont très perturbants pour nous !

Que ce soit GN-Z11 ou les galaxies qui sont en train d’émerger dans les publications les plus récentes comme la galaxie Maisie ou GLASS-z13, lesquelles sont datées environ 300 millions d’années seulement après le Big Bang, toutes sont trop massives. Et surtout, elles sont si massives qu’elles ne correspondent pas à nos modèles et à nos simulations. En matière de surprise, c’est déjà quelque chose, car cela veut dire que nos modèles se trompent quelque part. Joli résultat après seulement quelques mois ! Même si tout cela est encore à valider par spectroscopie et qu’il faudra des semaines, voire des mois de travail avant de prouver qu’il y a véritablement une foule de galaxies qui ne rentrent pas dans les cases.

La grande quête des origines

Il semble qu’il y ait, autour des clichés du JWST (comme auparavant pour ceux de Hubble), une « course à la Galaxie » entre différentes équipes autour du monde. Que se passe-t-il et quels sont les enjeux ?

Eh bien, c’est justement de confronter nos connaissances actuelles avec ces nouvelles mesures en champ profond. Il faut bien comprendre que ce n’est qu’un début, parce que ces galaxies que l'on observe, on n’en voit que de la lumière, laquelle est générée par leurs étoiles. Il faut comprendre leur formation, la « recette », pour ainsi dire, qui a permis l’émergence de ces galaxies. Comprendre cette matière diffuse et cette dynamique. Est-ce dû aux trous noirs ? À la matière noire ? Au problème dit de l’« overcooling » qui est bien connu des astrophysiciens ?

Quelque part, cette course scientifique est un peu une quête universelle, car en montrant les mécanismes qui ont pris place juste après le Big Bang, on veut remonter le temps jusqu’à la naissance de la Voie lactée, et avant. C’est la grande quête de nos origines, même si elle est toujours un peu biaisée. Est-ce que l’on verra un jour la « première étoile » ou la « première galaxie » ? Pas vraiment. Mais est-ce important ? Oui et non. On aura une meilleure compréhension, et cela va se poursuivre au fil du temps avec les multiples observations que l’on pourra faire avec le James Webb en particulier, des formes, des origines et des caractéristiques de nombreuses très anciennes galaxies. Mais dans le même temps, il faudra nous assurer que dans cette quête, nous ne sommes pas victimes d’un biais de sélection, à n’observer par exemple que d'antiques galaxies nées dans les zones les plus denses de l’Univers, puisque c’est là que l’on a le plus de chances d’en trouver.

Tous les mécanismes concernant les galaxies (qui plus est les plus anciennes) restent encore peu connus © NASA / ESA / HST

C’est un questionnement que j’ai et qui fait un peu contrepied à ce foisonnement de publications qui sont en gestation en ce moment même. Certains, c’est mon avis et je m’interroge d’autant plus facilement que je suis directeur de rédaction du journal européen Astronomy & Astrophysics, sont en train de sauter sur l’occasion pour publier à une vitesse phénoménale… alors même qu’il manque une partie du processus de vérification habituel. Il y a des étapes qu’il ne faut pas considérer comme accessoires dans nos recherches, car sur ce genre de découverte, il ne faut pas se tromper, il y a beaucoup d’attentes du public. C’est pourquoi il faut attendre les études des spectres, ce qui est plus complexe que les couleurs, car on décompose toute la lumière d’une galaxie, intégrée sur un certain temps d’observation. On se pose alors des questions plus complexes également, comme l’âge et le nombre d’étoiles, la présence de gaz, la matière « recrachée » par ces galaxies, etc. C’est à ce moment-là, et ce moment-là seulement, que l’on peut scientifiquement avancer sur une surprise, remettre en cause nos modèles et comprendre où nous nous sommes trompés dans notre compréhension de l’Univers, car l’âge de ces galaxies sera correct.

Trouver vite, prouver longtemps

Selon les spécialistes de la mission, le télescope James Webb sera capable de fonctionner au moins 20 ans dans les conditions actuelles. Est-ce que la durée apportera quelque chose à cette « chasse à la galaxie », ou bien est-ce qu’il peut y avoir une pépite « définitive » dès les premiers mois ?

Aujourd’hui, on ne peut pas vraiment le savoir… Mais c’est possible, bien sûr, qu’il y ait cette pépite ! Nombreux sont ceux qui la cherchent, et chacun souhaite observer sur ses données une galaxie, ou même juste un point qui sortirait des modèles. Mais… Je vais vous donner un exemple de ce qu'il s’est passé très récemment. Il y a eu un premier papier scientifique soumis à Nature, très sérieux, dont le brouillon, le draft, était disponible publiquement. Cette étude montrait des mesures absolument exceptionnelles, avec des estimations de masses de galaxies qui ne « collaient » absolument pas. Pensez donc, une galaxie loin dans le rouge (donc théoriquement très ancienne) qui était aussi imposante que la Voie lactée.

Un deuxième papier scientifique, reprenant les résultats du premier quelques jours plus tard, expliquait qu’aucun modèle ne pourrait fonctionner avec ces mesures, même en additionnant 100 % de la matière avec 100 % des gaz et 100 % de la matière noire estimée dans l’Univers… Il s’est avéré que les calculs initiaux étaient faux d’un facteur 10. Bien sûr, une erreur est toujours possible, et le fait qu’elle ait été détectée est sain, c’est le processus scientifique. Mais cela montre un peu la fébrilité de notre domaine actuellement. Il faudra se méfier, dans les mois qui viennent, à ne pas reprendre tel quel n’importe quel brouillon avant publication dans des revues à comité de lecture !

Ce qui est bien avec les champs profonds, c'est qu'un autre télescope peut ensuite revenir observer au même endroit avec d'autres capacités. C'est le cas sur ce cliché en orange avec le télescope ALMA sur fond du "Deep Field" de Hubble © B. Saxton (NRAO / AUI / NSF) / ALMA (ESO / NAOJ / NRAO) / NASA / ESA Hubble

En cela, notre équipe est un peu plus fortunée, car pour être précis, nous avons focalisé nos recherches non pas sur les premières centaines de millions d’années après le Big Bang, mais sur une époque postérieure, étendue aux premiers milliards d’années. Nous sommes d’ailleurs en train de rédiger nos propres articles scientifiques, mais sur une période qui se compte en mois, pas en semaines… Ce qui ne veut pas dire que c’est moins passionnant en découvertes ! Nous avions publié en 2019 dans Nature sur la population inédite de galaxies massives dans ces périodes d’environ un à deux milliards d’années après le Big Bang (détectées grâce à d’autres télescopes). Et en étudiant le regard du James Webb, nous sommes en pleine confirmation de nos résultats !

La rédaction de Clubic souhaite remercier David Elbaz pour nous avoir consacré cette interview, de même que la communication du CEA.