Le Centre Spatial Guyanais : de la jungle à l'espace

Eric Bottlaender
Par Eric Bottlaender, Spécialiste espace.
Publié le 25 mai 2020 à 08h18
Une fusée Ariane 5 au décollage, en mars 2012 au centre spatial de Kourou, en Guyane
Ariane 5 décolle du Centre Spatial Guyanais. © ESA/CNES/CSG

La France et l'Europe font décoller leurs fusées au plus près de l'équateur, dans un site unique, mélangeant l'humidité chaude de la jungle amazonienne et l'excellence technologique de 50 ans d'expérience.

Et maintenant ? Le Centre Spatial Guyanais se prépare même à faire atterrir des fusées...

Il faut quitter Hammaguir!

Lorsque la France a commencé à s'intéresser aux lancements de fusées, d'abord pour des ambitions militaires puis scientifiques, elle a utilisé sa base d'Hammaguir, située dans l'Ouest algérien, et alors colonie française avec le statut de département.

Les décollages des fusées-sondes, puis du programme des « pierres précieuses » permettent à la France d'entrer, en 1965, dans le club très fermé des pays devenus puissances spatiales, notamment avec Diamant-A1 et le satellite Asterix-A1. Toutefois, le centre d'Hammaguir est toujours en Algérie, et l'Algérie est devenue une nation indépendante. Il faut alors trouver un nouveau site pour les fusées du CNES et quitter le désert avant la fin 1967, dans le cadre des accords d'Evian...

Ce sera donc la Guyane ! Le Centre Spatial Guyanais, ou « CSG », ouvre ses portes en 1968 après une première période d'aménagements : la piste de l'aéroport est rallongée, et un port autonome est installé pour ramener du matériel depuis l'Hexagone.

Centre Spatial Guyanais
Le CSG vu depuis l'orbite. Juste retour des choses ! © ESA/Sentinel 2 CC BY-SA 3.0 IGO

Bienvenue à Kourou...

Installé sur les communes de Kourou et Sinnamary, le Centre Spatial Guyanais est un énorme territoire de 660 km², soit pratiquement la taille de la Martinique ! Le site est idéalement placé pour faire décoller des fusées : très près de l'équateur terrestre (les lanceurs bénéficient ainsi d'un effet de fronde et peuvent donc économiser des ressources), entouré de zones très peu, voire pas du tout peuplées et d'un canal d'accès à la mer, sa position permet même d'envoyer des satellites sur des orbites très inclinées.

Bien sûr, il y a un revers à la médaille, à commencer par les conditions sur place. La jungle est un environnement humide et chaud : sans entretien, routes et bâtiments disparaissent vite sous la mousse et les fougères. En outre, il pleut beaucoup, et la faune locale (vous aimez les araignées ? Les chauve-souris ?) met l'isolation des bâtiments à l'épreuve.

Toutefois, un centre spatial au milieu de la jungle présente d'autres avantages. D'une part, les zones d'exclusion sont faciles à faire respecter. De l'autre, entre les zones construites utilisant moins de 10 % du territoire, et l'interdiction de chasse et de coupe du bois, le personnel évolue dans un véritable paradis pour la faune et la flore locale : 12 écosystèmes différents, des pumas et des jaguars, des biches et même des ruches - la santé des abeilles étant un très bon indicateur de la pollution sur un tel site. Pour cause, contrairement à ce que l'on imagine, un décollage ne perturbe l'écosystème que pour quelques heures.

Ariane 5 coiffe
Mise sous coiffe d'un satellite avant un vol d'Ariane 5. © ESA/CNES/CSG/Arianespace/JM Guillon

Le meilleur site du monde ?

À Kourou, les lanceurs arrivent en bateau depuis l'Europe et la Russie, tandis que les satellites, et les équipes qui accompagneront la préparation finale de ces joyaux de technologie, débarquent en avion du monde entier. Aujourd'hui, c'est une base efficace et rodée, dont quelques formes architecturales et moquettes rappellent qu'une part importante des bâtiments a été érigée dans les années 1970.

Rappelons par ailleurs que le CSG a aussi été le théâtre de tensions et de grèves ces dernières années, la Guyane restant un territoire pauvre au sein duquel le Centre Spatial peut être perçu comme une enclave favorisée. En outre, si nombre d'employés du centre sont français, certaines communautés vivent à l'écart, à l'image des équipes russes qui disposent de leur propre « village ».

Ariane 1
Le site a bien changé depuis le décollage d'Ariane 1, il y a un peu plus de 40 ans ! © ESA

Depuis le début des années 70, le CSG s'est beaucoup étoffé. Après les fusées-sondes et quelques décollages de Diamant, les européens ont tenté d'unir leurs efforts avec un grand lanceur : Europa, un échec retentissant.

Toutefois, la « base au milieu de la jungle » trouvera quand même son salut, avec la toute jeune agence spatiale européenne (ESA) et les efforts du CNES pour proposer une fusée : Ariane. La première du nom décolle le jour de Noël 1979, et fera battre le cœur des passionnés de l'espace pour plusieurs décennies.

L'agence française, friande d'acronymes, fait ériger les ELA (« Ensemble de Lancement Ariane ») sous la canopée, et les versions se succèdent, commercialisées par Arianespace et lancées avec une fiabilité qui a fait la fierté et la célébrité du site Guyanais, tourné vers les clients internationaux. De très nombreuses personnalités politiques et industrielles se sont déjà assis sur le velours rouge de la salle de contrôle Jupiter, pour sortir deux minutes avant le tir sur le balcon afin de voir Ariane 5, à près de douze kilomètres de là, s'élancer vers le ciel.

Vega lanceur
Le pas de tir de Vega, le plus léger des lanceurs européens

Ariane, Vega et Soyouz...

Mais Ariane 5 n'est pas seule au Centre Spatial Guyanais. Elle fut rejointe en 2011 par Soyouz (lanceur de moyenne capacité), installé sur un tout nouveau pas de tir assez éloigné de celui d'Ariane... Fait cocasse d'ailleurs, puisqu'il est courant de désigner le CSG en disant « Kourou », alors que le pas de tir de Soyouz est beaucoup plus proche de Sinnamary.

Enfin, en 2012 c'est le petit lanceur Vega qui décolle pour la première fois du CSG. Il est taillé pour envoyer de plus petits satellites que Soyouz ou Ariane, d'une masse inférieure à deux tonnes, mais a surtout été développé pour envoyer des satellites d'observation de la Terre en orbite basse. Depuis bientôt une décennie, ces trois fusées coexistent au milieu du site, où sont répartis une myriade de bâtiments destinés à leur préparation, à celle des carburants et, bien sûr, des satellites ou de leur mise sous coiffe. On retrouve également des sites de tests sur place, pour des fusées sondes et pour la mise à feu de nouveaux moteurs.

portique-mobile-ariane-6.png
La construction du site dédié à Ariane 6 doit se terminer cette année.

Le « port spatial européen »

Face à la concurrence internationale, le paysage des lanceurs européen évolue, et le Centre Spatial Guyanais doit suivre le rythme, même si ce n'est pas tâche facile. La France, qui porte aussi le développement du « port spatial européen », a demandé plus d'aide à ses partenaires européens, et souhaiterait faire de Kourou un écosystème plus ouvert pour de nouveaux acteurs privés tels que les petites start-up qui préparent des lanceurs.

En attendant, un pas de tir tout neuf est en construction depuis 2015, ELA-4, qui accueillera Ariane 6 pour un premier décollage en 2021. Vega aussi évolue. L'industriel Avio est chargé des opérations sur place avec le lanceur, qu'une nouvelle version va rendre plus puissant. De son côté Soyouz sera progressivement mis à la retraite dans la décennie à venir : avec Ariane plus souple, et Vega plus puissant, la nécessité du lanceur s'amenuise.

D'autant plus que d'ici là, une autre nouveauté aura fait son apparition au Centre Spatial Guyanais : des fusées revenant s'y poser. En effet, Callisto et Themis sont engagés pour étudier les technologies de lanceurs réutilisables, et le site sera bien placé lorsque les industriels passeront à la réalisation grandeur nature de ces projets. Une chose est sûre, de belles surprises vont encore surgir de la jungle guyanaise...


Eric Bottlaender
Par Eric Bottlaender
Spécialiste espace

Je suis un "space writer" ! Ingénieur et spécialisé espace, j'écris et je partage ma passion de l'exploration spatiale depuis 2014 (articles, presse papier, CNES, bouquins). N'hésitez pas à me poser vos questions !

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nirgal76

Merci, ça me rappelle plein de souvenir :smiley:

Element_n90

– ça ce visite le CSG? Comme cape canaverale en Floride? Ça vaut le coup, ils ont aménagé des trucs pour les visiteurs?

– donc, les popov ont prévu de quitter la Guyane? Ils pourraient y faire décoller une autre de leur fusée (Angara). Vu la différence de latitude entre chez eux et chez nous, ça doit finir par être le jour et la nuit côté performances.

– des araignées là-bas? Bin ici aussi non? :blush:

– l’Algérie était à l’époque un département français, comme la Corse, l’Alsace et la Guyane, pas une colonie (comme le statut du Sénégal par ex). Bon, après, il y a eu les « événements » mais d’un point de vue officiel…

ebottlaender
  • Oui ça se visite, mais pas avec les mêmes conditions d’accès que Cape Canaveral qui a organisé une vraie « base touristique ». La raison est simple : il y a beaucoup moins de touristes sur la zone.

  • A moyen terme oui, même s’il n’y a pas encore de date gravée dans le marbre : ils ont pas mal de contrats avec Soyouz ! Quant à Angara, l’Europe ne donnerait probablement pas son accord, puisqu’elle est dans la même gamme de puissance (et donc concurrente) d’Ariane 6…

  • On parle d’araignées grosses comme la main et velues, et d’autres relativement dangereuses en cas de morsures, rien à voir avec l’hexagone.

  • Au moment des décollages les plus importants, l’Algérie était déjà indépendante. Ce sont les accords d’Evian qui ont permis à la France une « rallonge » des activités sur place. Cela dit, c’est vrai. Je vais voir si je dois modifier.

Avi84

L’Algérie était une province Française composé de 4 départements immatriculés de 91 à 94.
Et avant 1830, date du débarquement des militaires Français en Afrique du Nord pour faire cesser l’esclavage des blancs par les Ottomans, aucun pays ne s’appelait l’Algérie (nom donné par les Français), cela s’appelait La Barbarie.

angel_heart

oui ça se visite j’y suis pas aller mais il parrait que ça vaut le coup

angel_heart

il faut arrêtre avec le mythe de la Guyanne ou tu rencontres a tout les coins de rues des mygales et le reste.
J’ai vécu 2 ans la bas et pas vu une seul grosse araigné a partir du moment ou tu vis en ville Cayenne, Kourou, Salint Laurent ou Saint George.
Même la Foret tu y vas on est pas dans Indiana Jones c’est comme en France les animaux on peur de l’homme.
Le gros soucis c’est son peu de dévelopement ils ont 20 ans de retard.(du côte de Cayenne)
Et oui il pleut mais c’est 6 mois de plus intensif et 6 mos de chaleur je sais que c’est un peu hors sujet mais je pense qu’il y a certaine vérité à dire

Xiqyti

Oui tu peux le visiter, il y a un musée et une visite organisée de la salle jupiter et du plateau.
Il y a des araignées, mais en Guyane aucune n’est vénimeuse :slight_smile: Par contre il y a une dizaine de serpent mortel, mais rare à rencontrer.

ebottlaender

Pour le reste de la Guyane je ne me prononce pas, mais pour le CSG il y a quelques lieux où le nombre de pensionnaire à 8 pattes excède de loin celui des humains (notamment le site d’observation du chantier Ariane 6 sur la colline donc je ne me souviens plus du nom).

Je ne dis pas que c’est Indiana Jones, mais ça reste bien une jungle au sens strict du terme, donc avec beaucoup d’humidité. Après les autres grands sites ont des inconvénients aussi (énormes écarts de chaleur à Baïkonour, ouragans à Cape Canaveral, etc).

kroman

@Element_n90 C’est sympa à visiter. On peut y voir des moteurs de fusée exposés, aller sur les différents pas de tir y compris descendre dans la fosse où passent les fumées et visiter une salle de contrôle.
Mais le Kennedy Space Center est beaucoup plus impressionnant à visiter. Entre autres on peut y voir une vraie fusée Saturn V du projet Apollo couchée dans un hangar, voir la navette spatiale et passer un moment avec un ancien astronaute.

La Guyane c’est mieux pour les araignées par-contre ! J’ai vu un belle mygale, de la taille de la main au milieu d’un chemin de randonnée sur la petite montagne en face du CSG !

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