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Et si les drones étaient des outils indispensables pour mieux connaître la nature ? Et s’ils devenaient de précieux alliés pour combattre la pollution et juguler les effets du changement climatique ?

Moonshots est une rubrique de Clubic présentant de façon résolument optimiste des technologies innovantes et futuristes, susceptibles d’apporter des solutions concrètes aux problèmes de notre monde à moyen ou long terme. Idées improbables, innovations de rupture et solutions crédibles : de quoi faire (un peu) rêver à un monde meilleur, un mercredi sur deux.

Les drones n’ont pas toujours très bonne presse. C’est d’autant plus vrai que le même mot — drone ou UAV — recouvre des appareils et des usages de natures très différentes. Initialement apparus dans le domaine militaire, les drones sont souvent associés à des usages violents, dangereux et même dystopiques, faisant craindre un nouveau type de surveillance globale. Même les drones de loisir, dont l’usage est sévèrement régulé (voire interdit dans au moins une douzaine de pays), sont parfois synonymes de nuisances urbaines ou de nouvelles formes de pollution (bruit, accidents, recyclage des batteries...). Quand on évoque des solutions écologiques, les drones sont donc rarement en tête de liste.

Pourtant, l'usage environnemental des drones est déjà une réalité, et leur potentiel dans ce domaine est plus que prometteur. « Les drones peuvent jouer un rôle critique en matière de réponse globale au problème du réchauffement climatique », argue par exemple Ewan Kirk, entrepreneur et philanthrope britannique, qui soutient depuis 2020 un nouveau programme de recherche de l’Université de Southampton destiné à améliorer l’efficacité des drones et la durée de vie de leur batterie.

© Flash Forest
© Flash Forest

Drones agricoles, pour observer et traiter

L’intérêt le plus évident des drones est leur apport en matière d’observation aérienne. C’est en particulier vrai pour les cultures ou les forêts, couvrant des surfaces très étendues et pour lesquelles les drones apportent une solution complémentaire — et parfois alternative – aux méthodes plus lourdes ou plus coûteuses que sont les satellites, les hélicoptères et les avions. 

Depuis de nombreuses années, des prestataires proposent aux exploitants agricoles des services d’observation pointus, permettant de mieux suivre et contrôler parcelles et pâturages. « Le drone pour la surveillance devient l’outil au quotidien des céréaliers et des éleveurs pour de multiples usages », décrit Latitude GPS, fournisseur de solutions « d’agriculture de précision » depuis 20 ans, en France et en Afrique. « Grâce à sa caméra et aux capteurs embarqués, le drone permet de mesurer de nombreux indicateurs sur l’état et les besoins des cultures. Il apporte ainsi des informations plus précises et fournit une panoplie de données : niveau d’azote, de chlorophylle, biomasse, taux d’humidité, stress hydrique… », explique l’entreprise. Tout cela permet d’établir des cartes et de détecter les zones les moins fertiles et les plus dégradées par des animaux sauvages ou des maladies, et donc de décider rapidement des actions à mener.

En se faisant de plus en plus « intelligent », le drone agricole laisse ainsi entrevoir des bénéfices écologiques importants. Les Chambres d'agriculture de la Somme et de l’Aisne ont par exemple lancé depuis peu un programme expérimental de détection d'adventices (mauvaises herbes) par drone, qui pourrait conduire à réduire l'utilisation des herbicides de 70 à 90 %. Sur la base d’algorithmes maison ou de solutions disponibles sur le marché, on automatise la détection pour mieux cibler l’application des herbicides aux seules zones concernées, réduisant ainsi les volumes déversés tout en économisant du temps aux agriculteurs. Le programme est testé actuellement pour détecter les chardons envahissant des parcelles de betteraves sucrières. 

Un procédé similaire est déjà utilisé en Australie, où la start-up InFarm déploie des drones pour capturer des images haute résolution des jachères, ensuite analysées par des algorithmes d’intelligence artificielle. Images aériennes, Big Data et IA sont ainsi combinées en données directement actionnables : une clé USB compatible avec le système informatisé de son tracteur est remise au fermier, et seuls les endroits nécessitant un traitement seront effectivement pulvérisés — soit une économie de 97,5 % des herbicides utilisés, selon la start-up.

Si le drone sert là de moyen de repérage avant le traitement, il peut aussi lui-même servir d’outil pour mener à bien ce traitement. Au Maroc, la société MISE (Moroccan Industry Services & Engineering) développe ainsi un drone adapté à l’observation et surtout au traitement des cultures. Comme le soulignent les responsables du projet, les avantages des drones en la matière sont multiples. D’abord, « ils permettent de traiter les cultures et parcelles à accès difficiles comme le riz, la canne à sucre, le maïs, le colza, le tournesol…». Ensuite, ils sont autrement plus efficaces puisque le drone peut traiter entre 10 et 12 ha par heure, soit un potentiel de 100 ha par jour et par drone, contre 15-20 ha par jour pour un traitement effectué par tracteur (sans compter que les tracteurs endommagent les cultures, pouvant occasionner des pertes significatives de la production pour les cultures difficiles d’accès). Tout cela engendre des économies substantielles : les partisans de cette solution estiment que le traitement de seulement 10 % de la superficie agricole marocaine par drone pourrait permettre d’économiser l’équivalent du besoin annuel en eau d’une ville de 70 000 habitants.

Le drone, ami des animaux

Les drones sont également utilisés depuis longtemps pour mieux connaître les animaux — et mieux les protéger.

Les avantages sont connus. « Les drones sont sans danger pour les opérateurs, moins bruyants que les aéronefs habités et capables d'accéder à des zones dangereuses ou éloignées. Ils permettent de répéter le même plan de vol dans le temps, de capturer des images avec des résolutions définies par l'utilisateur et de transporter plusieurs capteurs (par exemple une caméra thermique), améliorant considérablement la qualité des données obtenues », résume une étude publiée en 2020 par des chercheurs argentins, consacrée à l’observation des guanacos (lamas sauvages). Ils mettent toutefois en lumière quelques-unes des limites de l’usage des drones pour observer ou recenser des populations d’animaux terrestres, susceptibles d’être effarouchés ou perturbés par des engins volants à basse altitude.

Malgré tout, d’innombrables études académiques montrent tout le potentiel des drones pour étudier les animaux, en particulier marins. « Les drones offrent une alternative plus sûre, moins chère et plus silencieuse aux méthodes traditionnelles d'étude de la mégafaune marine dans un environnement naturel », conclut par exemple une étude brésilienne publiée en février 2021. Pendant près de deux ans, les chercheurs ont procédé à une trentaine de vols de drones quotidiens et récolté près de 180 h de vidéo en 4K pour surveiller et étudier oiseaux marins, tortues et cétacés. Ils ont ainsi développé une véritable méthodologie « permettant d'approfondir les connaissances en écologie comportementale ».

© SnotBot

Et le procédé ne se limite pas à la simple observation ou au comptage des populations animales. Fin 2017, des chercheurs australiens avaient publié les résultats de travaux reposant sur une méthode originale pour étudier les baleines : des drones spécialement conçus pour les survoler  et prélever des échantillons des jets qu’elles expirent en remontant à la surface. La méthode est bien plus aisée qu’en bateau, et permet des analyses précises de la santé des baleines, à commencer par les virus qu’elles abritent. Les chercheurs concluaient que « les drones personnalisés sont un nouvel outil prometteur pour la recherche sur la mégafaune marine et pourraient avoir de vastes applications en matière de surveillance et de gestion des populations de baleines dans le monde ». Le procédé est aujourd’hui généralisé et il est même central dans le programme SnotBot de Ocean Alliance. « Baleines et dauphins sont en danger. Nous avons besoin de solutions audacieuses, non invasives et innovantes pour collecter des données plus abordables et de meilleure qualité pour comprendre les menaces qui affectent ces animaux. Nous pensons que la solution, ce sont les drones ! », décrit l’ONG.

Un drone pour analyser le souffle des baleines — © SnotBot

Des drones à tout faire

Le drone est donc bien loin d’être une simple « caméra volante ». Outre d’innombrables capteurs, il peut embarquer des outils divers et variés, notamment destinés à automatiser des tâches répétitives et fastidieuses.

Un exemple montre tout le potentiel du drone en dehors des missions d’observation : la collecte d’échantillons d’eau. Mesurer la qualité de l’eau dans les mers, lacs et rivières exige des prélèvements fréquents, effectués à la main et très coûteux. A New York, la société Reign Maker vient de lancer Nixie, un dispositif d’échantillonnage de l’eau à l’aide de drones DJI — et le procédé est clairement avantageux. « La ville de New York collecte actuellement environ 30 échantillons d’eau par jour, à l'aide de bateaux comprenant un capitaine et une équipe de trois personnes. Nixie peut, lui, prélever 120 échantillons en 7 heures », décrit-on.

Une économie en temps qui se traduit par des gains en termes de coûts : « En moyenne, chaque échantillon d’eau coûte plus de 100 $ à la ville. Avec l'échantillonnage par drone le coût descend à 10 $ par échantillon ». Effectuer des prélèvements quatre fois plus vite et pour 10 fois moins cher qu’habituellement permet d’augmenter le rythme et le nombre d’échantillons, qui sont aussi plus précis (positionnement GPS quasi millimétrique) et bien plus facilement automatisables. En somme, l’usage du drone conduit à une eau mieux surveillée — donc de meilleure qualité.

Drone-planteur d'arbre — © Flash Forest

Un autre exemple pas forcément très connu concerne la reforestation. Planter des arbres est très consommateur en temps et en énergie, surtout quand il s’agit de zones montagneuses ou difficiles d’accès. Planter des arbres avec des drones ? L’idée paraît saugrenue, presque « science-fictionesque ». C’est pourtant ce que proposent plusieurs start-ups comme Flash Forest au Canada, DroneSeed aux Etats-Unis, ou Droneconia en Espagne. Le procédé est plus ou moins identique : le drone est équipé d’une sorte de canon vertical tirant des « pods » abritant les graines et les nutriments. Comparée aux pelles et aux pioches, la solution est autrement plus efficace. Flash Forest estime que ses drones peuvent planter des arbres 10 fois plus vite que via des solutions manuelles — et pour un coût quatre fois moins élevé. Avec en ligne de mire « l’automatisation de la reforestation » : l’entreprise ambitionne de planter un milliard d’arbres d’ici 2028, en commençant par un million d’arbres en Alberta dès 2022, en vertu d’une bourse attribuée en mai dernier par la province.

Drone solaire — © Sunbirds

Le drone, solution écologique

Economies d’eau, d’énergie, d’herbicides et de temps, ajoutées à une meilleure connaissance des animaux, des cultures, de l’environnement... Les bénéfices des drones au plan écologique sont évidents. Et l’on comprend dans tout cela que le drone est infiniment plus versatile et polyvalent qu’on ne pourrait le penser. Il peut surveiller, contrôler, analyser, collecter, traiter, ensemencer, planter... tout en autorisant des économies souvent drastiques et en réduisant la facture carbone par rapport à des solutions traditionnelles.

Des projets de plus en plus ambitieux — et de plus en plus automatisés — confirment tout l’intérêt de ces solutions pour mieux étudier et comprendre les effets du changement climatique. Les drones pourraient être ainsi la clé pour comprendre l’évolution de la végétation en Arctique, analyser la biomasse aux Etat-Unis (en complément des images des satellites), ou comptabiliser les chauve-souris en Australie quasiment sans intervention humaine, via des caméras thermiques et de l’apprentissage automatique.

Comptage des chauve-souris via imagerie thermale — © Western Sydney University

Il faut d’ailleurs souligner que le design et l’efficacité énergétique des drones eux-mêmes évoluent et vont dans le sens d’un faible impact environnemental. La société française Sunbirds développe par exemple le SB4 Phoenix, un drone à usage professionnel, autonome et propulsé à l’énergie solaire. Il peut rester en vol pendant huit heures et couvrir 50 km. De son côté, Delair, autre entreprise française, met au point Hydrone, un drone à ailes fixes fonctionnant à l’hydrogène. « Pour des missions d'observation similaires en termes de performances, une heure d'hélicoptère dépense en moyenne 100 kg de kérosène, alors qu'une heure d'Hydrone dépense… 25 g d'hydrogène. Ainsi, la réduction des émissions de kg eq. CO2 est d'environ 99,99 % ».

L’usage de drones (sous différentes formes) pour mieux connaître notre planète, mieux gérer les ressources et mieux juguler les changements climatiques ne peut donc que se généraliser, et probablement s’automatiser, dans les années et les décennies à venir. Le drone présente donc un incroyable potentiel pour l’écologie.