Pour comprendre ce qu'est le Myo, il faut commencer par dire pourquoi il a été conçu. D'après les créateurs de la jeune start-up canadienne Thalmic Labs, ce brassard répond à la question fondamentale suivante : « Comment connecte-t-on le monde réel avec le numérique, alors que l'on se dirige vers une informatique omniprésente et revêtue » ? Autrement dit, à nouveaux schémas d'usages et de pratiques technologiques, il faut des nouveaux outils. Le Myo en est un, et son truc à lui, c'est les muscles.
Vidéo de démonstration du Myo en studio. A l'époque de notre achat, en décembre 2013, le Myo était proposé en précommande à 129 € (livraison comprise). Maintenant, c'est 200 €, d'où l'écart entre ce qui est dit en conclusion et la réalité d'aujourd'hui.
Stephen Lake, Matthew Bailey et Aaron Grant ont planché sur le sujet dans leur thèse. Leur constat peut aisément être partagé : les techniques d'affichage ont bien progressé, mais les interfaces de contrôle ne sont pas à la hauteur. Le contrôle par la voix dérange, notamment en public, les systèmes basés sur des caméras façon Kinect ou Leap Motion manquent de mobilité. D'où l'idée du Myo : une nouvelle interface homme-machine au contact direct de l'utilisateur.
Le Myo est un brassard qui se porte là où l'avant-bras est le plus épais, juste avant la pliure du coude. Son but : analyser la gestuelle des mains et des doigts afin de contrôler différents appareils à distance, dont l'ordinateur. Mais Thalmic Labs préfère décrire des domaines d'application plutôt que des objets précis à piloter : Myo pour les présentations, Myo pour la maison connectée, Myo pour le contrôle radio, Myo pour le multimédia, l'exception étant Myo pour les smartphones. Dit de la sorte, ce distinguo donne un petit côté Oui Oui à l'univers Myo, mais au moins on cible tout de suite le potentiel du brassard. Comment le dispositif fonctionne ? Voyons ça tout de suite.
Le Myo à la loupeA ce stade, ceux qui ont fait du grec - et des examens cliniques musculaires - recollent peut-être les morceaux : myo comme dans électromyographie. Abrégée EMG, l'électromyographie consiste à enregistrer l'activité électrique des muscles au moyen d'électrodes posées sur la peau.
Eh bien là, c'est pareil : le brassard comporte huit capteurs EMG propriétaires qui vont sonder l'activité électrique des muscles de l'avant-bras. A ces informations s'ajoutent des données spatiales collectées par l'unité de mesure des mouvements (gyroscope, accéléromètre et magnétomètre, chacun sur trois axes). L'unité de calcul intégrée au brassard (processeur ARM Cortex M4) va décrypter les signaux reçus à l'aide d'algorithmes que Thalmic Labs affine en permanence pour comprendre les gestes qui ont été effectués.
Le reste de la fiche technique est commun - ou presque - à tout objet de wearable computing : une batterie lithium ion, un port micro USB pour la recharge et du Bluetooth 4.0 pour la communication avec les appareils pilotés. Pour assurer un retour entre le Myo et son porteur, Thalmic Labs a doté son brassard d'une LED et d'un moteur de retour haptique.
En apparence, l'objet peut faire penser à une chenille de tank : huit rectangles en enfilade (cinq fins, trois plus larges), reliés par une double couronne crénelée de plastique élastique (circonférence allant de 19 à 34 cm). L'ensemble serre plus ou moins selon la morphologie du porteur. Toutefois, pour que le Myo fonctionne bien, il doit tenir fermement. Au besoin, on peut le tendre en ajoutant un ou plusieurs des petits crochets fournis. En revanche, on ne peut pas le détendre. Et malgré un avant-bras cobaye pas vraiment athlétique (27 cm), le Myo joue vite les garrots.
Tout est fait en matériaux synthétiques, à l'exception des capteurs EMG en acier inoxydable « de qualité médicale », nous dit Thalmic Labs. La conception et la fabrication sont assurées au Canada. L'ensemble est visuellement surprenant mais de finition sérieuse.
Mise en route et paramétrage
Le premier contact avec le Myo est épineux : comment allume-t-on ce fichu brassard ? Déjà qu'une nouvelle interface homme-machine n'est jamais simple à appréhender, si en plus on nous prive de bouton marche - arrêt... Après une exploration minutieuse de l'objet, on se résout finalement à le brancher en USB. Le Myo se réveille, s'allume et se recharge. Par la suite, il suffira de porter le brassard afin de l'activer (les capteurs de mouvements font office de bouton marche - arrêt).
La mise en route se déroule sans accroc : après avoir téléchargé et installé le logiciel Myo Connect, on raccorde le petit adaptateur Bluetooth et le Myo au PC ou Mac. Puis on se laisse guider par une interface limpide - à moins d'être totalement bridé par l'anglais - et largement illustrée de vidéos. On apprend à exécuter les cinq gestes que le brassard reconnaîtra, ainsi que le mouvement de synchronisation du Myo avec son dongle Bluetooth. Et on découvre l'étrange sensation des vibrations dans l'avant-bras, un membre peu habitué aux retours haptiques.
Simple, mais une fois cette phase initiatique accomplie, mieux vaut lancer une calibration sur mesure du Myo pour améliorer la détection et s'éviter des crampes. Petite subtilité à connaître : le Myo doit être porté deux ou trois minutes avant de commencer à l'utiliser. Ça lui permet de faire « chauffer » ses capteurs EMG.
C'est à peu près tout ce qu'il y a à paramétrer. Si vous le souhaitez, vous pouvez contribuer à des exercices de collecte volontaire de données auprès de Thalmic Labs (par défaut, le Myo en fait de manière continue en arrière-plan). Maintenant, il est grand temps de passer aux choses sérieuses en allant faire un tour sur le Myo Market (en bêta) !
Un Myo, cinq univers, deux utilités
Thalmic Labs découpe les usages possibles du Myo en cinq univers : les présentations, le smartphone, le multimédia, la maison connectée et le contrôle radiocommandé. En fait, pour l'heure et dans la pratique, nous serions tentés de ramener les interactions du Myo au nombre de deux : avec un ordinateur ou avec un smartphone. C'est en tout cas ce à quoi il faut se résoudre en arpentant le magasin applicatif, encore certes en bêta. 54 applications, ou plutôt 9 applications et 45 connectors ou plugins.
Dit autrement, dans la majorité des cas, le store de Myo propose des modules complémentaires à des programmes ou jeux qu'il faudra installer et/ou acheter séparément. Myo se greffe à l'existant en somme. L'avantage : ça sera sûrement plus simple et plus rapide pour les développeurs que de créer des programmes de A à Z. L'inconvénient : il faut se limiter à des choses déjà en place. Parmi les logiciels que les plugins se proposent de compléter, on trouve principalement :
- des outils de présentation (Powerpoint, Slide, Keynote, Prezi) ;
- du multimédia (Spotify, VLC, Netflix, iTunes, Media Player, Play Music, Deezer, Foobar2000, Popcorn Time, PicasaPhoto Viewer) ;
- un peu de bureautique (Web browser navigation, Facebook, Safari, Gmail, Adobe Reader, Trello) ;
- du jeu (Strong Bad's Cool Game for Attractive People, Audiosurf, Race the Sun, Civilization V et Beyond Earth, Kerbal Space Program, World of Tanks, Saints Row IV, Minecraft, Enviro-Bear 2000, Back to the Future, Broken Age, Armanita Design Adventures, ScrummVM, To The Moon, Sam and Max, The Journey Down, The Blackwell Series, Indiana Jones and the Fate of Atlantis, Monkey Island Series, Dan and Ben Adventures).
Le mode opératoire est simple : il n'y a qu'à télécharger et installer le connector avant de lancer le programme maître. Côté applications, les neuf titres sont surtout pour Android (Myo Hero, 2048 Myo, Dialer, Tasker Plugin, Air-Guitar), un peu pour iOS (My GoPro) ou pour les deux (Myo Music) mais aussi parfois pour Windows (Myo Duino, Mapper for Myo en démo).
Un "connector" et une application
Sur une échelle de 1 à 10, la palpitation n'est pas vraiment à son comble, même si comme nous le verrons après, le Myo colle bien à certains usages. Et deux en particulier : le multimédia et les présentations. C'est que le Myo n'a pas encore abattu toutes ses cartes sur la table. D'ailleurs, ce n'est que le début de la partie, l'indulgence reste donc de mise. Dans les projets imminents qu'on aurait bien aimé tester, il y a Garage Band, AR-Drone 2.0 de Parrot, Sphero et Smart Things.
Le Myo dans la pratique
Le Myo adopte toujours plus ou moins le même comportement. Quand on se rappelle du joyeux bazar dans les rangs du Leap Motion à sa sortie, on se dit que ce semblant d'unité ne fait pas de mal. Quel que soit le logiciel, un double tap entre le majeur et le pouce va déverrouiller un court instant la gestuelle du Myo : une double vibration et une icône pop-up « Ready » à l'écran préviennent que vous pouvez effectuer vos mouvements. Une fois la gestuelle terminée ou en cas d'inactivité pendant deux secondes, la pop-up affiche « locked » et une simple vibration indique que le Myo se verrouille. Quelle est donc cette gestuelle ?
Du bon...
Sur les applications de présentation, c'est basique : un mouvement de la main vers la droite pour passer à la diapositive suivante, un mouvement vers la gauche pour aller à la précédente. A la longue ça casse un peu le poignet, mais lorsqu'on fait une présentation debout devant des gens (à l'exception de Thierry Ardisson qui maîtrise déjà parfaitement cette technique), l'effet « whaou » est garanti.
Avec le multimédia, le Myo s'avère également probant. Ces mêmes mouvements de la main à gauche et à droite font changer de chanson (ou avancer et reculer dans une vidéo). Afin de lancer la lecture ou mettre en pause, il faut écarter tous les doigts de la main, pour modifier le volume, on ferme le poing et on le tourne dans un sens ou l'autre. Cette prise en main distante permet de garder le contrôle sur sa liste de lecture sans rester planté devant son ordinateur, ni devoir porter un smartphone, une tablette ou une télécommande. En soirée par exemple, le propriétaire du Myo peut faire le DJ à portée de Bluetooth. Par contre, pour rechercher de la musique ou changer d'artiste, il faut revenir aux interfaces habituelles.
Dans cette même veine mais en version mobile, l'application Myo Music (Android et iOS) nous plaît également. C'est peut-être bien la seule au passage... Son avantage : une fois lancée, elle permet de piloter l'application musicale de son choix. Y compris des applications exclues du spectre du Myo par défaut. Par exemple : Sonos, Napster, Qobuz, etc...
... et du moins bon
Est-ce utile pour contrôler son smartphone, casque sur les oreilles, dans les transports en commun ? Pas tellement. Déjà, il faut assumer ses nouveaux tics et les regards jugeurs des autres usagers. Mais comprenons-les : ils s'habituaient tout juste à ceux qui parlent à leur technologie, alors quelqu'un qui gesticule dans le vide... Au-delà de ça, quand on n'y prête pas garde, on déclenche aisément le Myo en mettant les mains dans les poches, en attrapant les barres du métro ou en cherchant un livre dans son sac. Le Myo se met à vibrer, le volume fait du yoyo, bref, on désactive vite son Bluetooth...
Il est également difficile de cacher notre déception au niveau des jeux. Il faut dire que la vidéo de présentation, où l'on voit un joueur de FPS qui tire avec l'index et change d'arme en allant en chercher une autre dans son dos, faisait saliver. Mais pour l'instant, la réalité est toute autre. Soit le Myo ne permet pas de faire grand-chose (se déplacer latéralement dans Audiosurf, bouger la carte ou changer d'unité dans Civilization V, remplacer une souris dans un point and click), soit la jouabilité est très mauvaise. Dans ce dernier cas, on pense à World of Tanks, où fermer le poing pour tirer tout en stabilisant la visée bras tendu tient de la gageure, mais aussi à Saints Row IV, où la caméra à la troisième personne, la visée et la commande de tir sont tout bonnement incontrôlables ! Et on ne dira rien sur l'éventail restreint de jeux, en espérant qu'il s'étoffe rapidement.
Ceci nous amène à cette observation : si les gestuelles des doigts et de la main sont bien interprétées, les mouvements du bras manquent de précision et de finesse. Le Myo, pour l'heure, n'est pas efficace du tout pour pointer (curseur ou vue à la troisième personne dans les jeux). Pour scroller dans son navigateur Web, un des deux plugins existants préfère d'ailleurs faire fermer le poing et tourner le poignet. On regrette également que les gestuelles soient aussi peu nombreuses. Thalmic Labs va devoir faire évoluer son Myo rapidement. Et quand bien même il deviendrait efficace pour pointer, ce n'est pas dit qu'il soit agréable pour autant. Garder le bras en l'air face à un écran n'est pas ergonomique. Cette critique avait déjà été formulée à l'encontre du Leap Motion.
Quid des autres usages plus « funs », ceux qui sortent de la sphère de l'écran d'ordinateur ? Ils ne sont malheureusement pas encore disponibles. On pense au pilotage radiocommandé de véhicules ou d'équipements connectés de la maison. Ce qu'on sait simplement, c'est que le Myo contrôlera ces appareils par le biais de leur application smartphone ou tablette respective. Ce seront probablement eux qui permettront le vrai décollage du Myo, s'il devait un jour se produire.
Conclusion
Imaginer et concevoir une nouvelle interface homme-machine n'est pas une mince affaire. Qui ose s'atteler à la tâche estime déjà que l'existant ne donne pas entière satisfaction. Ou du moins qu'il est possible de faire mieux. Thalmic Labs le sent. En pleine mutation de l'informatique, à cheval entre le traditionnel (ordinateur fixe ou portable), l'actuel (smartphone et tablette) et le renouveau (objets connectés et wearable), c'est peut-être bien le moment de repenser nos interactions avec les technologies. Le Myo va dans ce sens et propose une manière inédite de piloter ordinateur et smartphone. Plus mobile que l'analyse visuelle (Kinect ou Leap Motion), moins envahissante que la reconnaissance vocale, l'électromyographie est assurément une méthode originale.
Maintenant, comme pour chaque invention disruptive, il y a un cap à passer. Il faut s'approprier l'objet et s'habituer à la nouvelle gymnastique qu'il implique, mentale comme physique ici. Le Myo en est à ses débuts, et il aurait été étonnant qu'il ne souffre d'aucun défaut. Le brassard serre fort et devient vite inconfortable. A plus forte raison si on garde le bras tendu trop longtemps, une position heureusement moins fréquente avec le Myo qu'avec le Leap Motion. En outre, la gestuelle reconnue est trop peu variée, tout comme le nombre et le type d'applications proposées sur le Myo Market, rappelons-le, encore en bêta. Il manque des développements pour l'instant, toutefois comme l'écosystème du Myo privilégie les plugins aux applications propriétaires, le store devrait vite évoluer. Par ailleurs, Thalmic Labs a encore des progrès à accomplir sur la précision de ses algorithmes, la détection étant parfois timorée, parfois trop sensible, ce malgré un calibrage en bonne et due forme.
Dans certains domaines - et contextes -, l'usage du Myo s'avère plutôt convaincant, tout du moins prometteur (présentation et multimédia, plutôt en intérieur). Mais en jeu vidéo ou comme pointeur, le Myo nous déçoit. Il reste la radiocommande de drones ou consorts et l'expérience maison connectée que nous n'avons pas pu tester, faute de développement (c'est imminent nous dit-on). Possiblement les domaines où le Myo exprimera le mieux son potentiel. Pour l'instant, nous ne sommes pas vraiment enclins à conseiller la dépense de 229 $ port compris (environ 200 €), mais qui sait ce que l'avenir sauce Myo nous réserve !
Un "connector" et une application