Sous l'œil d'un scanner, on aperçoit son corps autrement, c'est le moins que l'on puisse dire, au-delà des apparences, des vêtements, et même de la peau. Pourrait-on alors se reconnaître face à une image de nous si différente ? On a posé la question à un Schwarzenegger bien remonté, en pleine quête d'identité.
Que serait la science-fiction sans ses inventions qui nous fascinent ? Anticipations perspicaces de l’avenir ou véritables sources d’inspiration pour les scientifiques, certains de ces fantasmes technologiques ont transcendé la fiction pour accéder aux portes du réel. Dans Les inventions de l'imaginaire, nous vous parlons d’une technologie qui a d’abord été mentionnée dans une œuvre de science-fiction avant d'apparaître au grand jour. Embarquez pour un voyage tantôt littéraire, tantôt cinématographique, où l’imaginaire fait plus que jamais partie de la réalité…
« Plus facile de détecter une arme en passant sous le regard d'un scanner corporel que de se voir vraiment tel que l'on est, en se sondant de l'intérieur », telle pourrait être la morale de Total Recall, l'œuvre dans laquelle nous nous plongeons aujourd'hui pour découvrir une nouvelle invention de l'imaginaire : le scanner corporel.
La science-fiction propose de voir le monde sous un angle décalé, en partant d'une réalité différente, souvent pour y aborder plus librement une dimension humaine, sociale ou sociétale. Mais que se passe-t-il quand le héros lui-même ne sait plus qui il est ?
Total Recall, se reconsidérer sans se prendre au sérieux
Total Recall (1990) de Paul Verhoeven avec Arnold Schwarzenegger et Sharon Stone est inspiré, comme c’est le cas pour tant d’autres œuvres cinématographiques de SF, d’un récit de Philip K. Dick, en l’occurrence Souvenirs à vendre (We Can Remember It for You Wholesale) publié au printemps 1966.
Dick fait partie des auteurs qui ont le mieux pressenti ce que serait le monde du futur, qu'il s'agisse des relations entre humains ou de notre utilisation grandissante de la technologie. Dans toute son œuvre, il interroge avec force notre rapport, en tant qu’être humain, à la réalité.
Si, du côté de l’intrigue, Total Recall n’est pas l’exacte réplique de la nouvelle originelle, le réalisateur a su en réutiliser les enjeux pour en faire un long métrage percutant, dans lequel il intègre sa signature : sexe, violence, rapport frontal et grande maîtrise de l’action… On est bien dans un film de Verhoeven.
Ce gros succès de box-office est devenu un film culte, qui a contribué à populariser la science-fiction au cinéma. Son esthétique savoureusement kitsch participe clairement au plaisir de le visionner des années après sa sortie. Comme la mode est aux remakes, une seconde adaptation a été proposée en 2012 par Len Wiseman sous le titre de Total Recall : Mémoires programmées. Elle reprend globalement la même trame que le premier film… Le talent et Schwarzenegger en moins. Mais venons-en au pitch.
Nous sommes en 2048, dans un système solaire colonisé où Mars est gouverné par un terrible dictateur. Alors qu'il coule une vie paisible sur Terre auprès de son épouse, Douglas Quaid est perturbé par un rêve récurrent qui le mène immanquablement sur Mars retrouver une mystérieuse femme brune. Doug sait bien qu’il n’a jamais mis les pieds sur la planète rouge, mais lorsque la société Rekall lui offre l’occasion de prendre des vacances virtuelles grâce à l’implantation d’un faux souvenir, sa destination est vite trouvée.
Il ira donc sur Mars, sera un agent infiltré et participera à une mission aux côtés d’une charmante femme aux cheveux foncés... Cependant, le personnage réagit mal à l’opération et, comme pris d’un accès de démence, il devient violent et nie sa propre identité. À partir de cet instant, la vie de Doug n'aura plus rien de paisible.
À l'époque, aucun portique de sécurité n'est utilisé de cette façon : l'effet sur le spectateur est garanti.
Le scanner corporel apparaît comme si de rien n'était au tout début du film, lorsque Doug emprunte l'itinéraire habituel des voyageurs désireux de prendre le métro. Cette apparition vient poser le décor du film et appuie son appartenance au genre science-fictionnel. À l'époque, aucun portique de sécurité n'est utilisé de cette façon : l'effet sur le spectateur est garanti. En outre, Verhoeven a l'intelligence de nous présenter l'invention en situation normale avant de l'utiliser comme élément dramatique : Doug et d'autres usagers passent, nous voyons leur squelette, RAS, tout est sous contrôle.
« Grâce à la présence d'Arnold, le film prenait un ton un peu plus léger, et je trouve que c'est un élément important dans les histoires de Philip K. Dick. Si on l'avait fait trop sérieusement, je ne suis pas sûr que ça aurait marché »
Paul Verhoeven (2012)
La situation bascule lorsque Doug retourne prendre le métro, cette fois-ci après le bouleversement de l'action. Il est armé, et on peut alors jouir du spectacle : la réaction de la machine qui signale le revolver, celle de Doug, coincé et hésitant, et celle des agents de contrôle, paniqués, se précipitant dans le scanner corporel. Une scène aussi impressionnante que cartoonesque qui contribue au bon équilibre du film dans lequel la violence et le propos, difficile, du trouble de l'identité, sont en permanence contrebalancés par une fraicheur et un humour salutaires.
Des rayons X aux ondes térahertz
La technologie qui offre la possibilité de scanner une partie du corps humain, soit d'obtenir une image radiographique de l'anatomie, ne date pas d'hier. Elle correspond à l'invention des rayons X, en 1895, par Wilhelm Röntgen, un physicien allemand qui recevra d'ailleurs le premier prix Nobel de physique quelques années plus tard pour ces travaux.
Rappelons qu'un rayon X est une radiation électromagnétique composée de photons. C'est un procédé ionisant, c'est-à-dire que la matière traversée va absorber une partie des rayons en fonction de sa densité, et de l'énergie de ces derniers. C'est ce qui va permettre de collecter des renseignements sur la partie intérieure du matériau en question.
Depuis la première radio, les rayons X n'ont cessé de prouver leur utilité dans divers domaines, en médecine bien sûr, mais également dans le champ de la sécurité, où ils se transforment en outil tout à fait intéressant.
Jusqu'alors, depuis les années 70, on ne trouvait que des portiques détecteurs de métaux.
C'est justement au cours de la dernière décennie du XXe siècle (on rappelle que le film est sorti en 1990) que les rayons X vont être utilisés à des fins de détection. Ils vont faire leur apparition dans quelques aéroports après que l'Organisation de l'aviation civile internationale a demandé de mettre en place des dispositifs pour contrôler les bagages en soutes. Jusqu'alors, depuis les années 70, on ne trouvait que des portiques détecteurs de métaux.
L'implantation, un peu partout dans le monde, de ces nouveaux appareils scannant les bagages et les effets personnels des passagers devait s'effectuer petit à petit, mais un événement vînt tout bousculer. Le 11 septembre 2001, les tours du World Trade Center s'effondraient, laissant les États-Unis et le monde entier dans un état de sidération. On apprenait alors que les terroristes qui avaient détourné les quatre avions ce jour-là avaient pris le contrôle des appareils en menaçant et en tuant leurs victimes avec de simples cutters et couteaux de poche : des armes que les détecteurs de métaux n'avaient pas repérées.
Dans les années 2000, la réalité va rejoindre la fiction en accouchant d'une technologie proche de celle que l'on peut voir dans Total Recall.
C'est après ce traumatisme que les scanners à rayon X se déploient de façon exponentielle dans les aéroports, pour sonder sans relâche les bagages des passagers. Ils deviennent même obligatoires dans plusieurs pays, et notamment en France en 2006. Ce sont également ces attentats, les plus meurtriers de l'Histoire, qui ont poussé les autorités à renforcer drastiquement les dispositifs de contrôle et à commencer à intégrer un autre type de scanner, corporel cette fois.
C'est ainsi que, dans les années 2000, la réalité va rejoindre la fiction en accouchant d'une technologie proche de celle que l'on peut voir dans Total Recall. Le scanner corporel permet en effet de diminuer les risques d'incident tout en évitant de passer par les fouilles avec contact physique.
Deux types d'appareils se développent alors : un portique utilisant, là encore, des rayons X, et un second dispositif à ondes millimétriques. Le principal problème du premier est qu'il n'est pas sans effet sur la santé. Sujet à controverse, il a ainsi été strictement interdit en France, qui n'autorise l'utilisation des rayons X qu'à des fins médicales.
Le second dispositif est bien plus intéressant : ne comportant pas de risques connus pour le corps humain, ses ondes peuvent pénétrer de nombreuses matières et ainsi repérer facilement la présence d'objets suspects (armes, métaux, liquides, explosifs, etc.) à travers les vêtements.
Les scanners à ondes millimétriques ont d'abord été imaginés en 2001 par Safeview, une entreprise israélienne, avant que d'autres sociétés ne reprennent le même procédé. Ces dispositifs de sécurité sont désormais installés dans de nombreux aéroports et, comme la recherche avance, ils devraient se multiplier dans les années à venir.
En effet des ondes offrant des résultats encore plus précis se sont distinguées récemment et pourraient venir renforcer (entre autres) l'efficacité des scanners corporels. Le nom de ces ondes à la destinée ultra prometteuse : les térahertz.
« Comme les micro-ondes, elles possèdent un fort pouvoir pénétrant leur permettant de traverser des matériaux comme les vêtements, le bois, le plastique. Et comme la lumière visible, elles se laissent focaliser, pouvant révéler des détails fins, de l’ordre du millimètre, voire moins. Enfin, comme l'infrarouge et à l’inverse des rayons X, elles sont non ionisantes, et donc a priori sans danger pour le vivanT. »
Eric Freysz, du Laboratoire ondes et matière d'Aquitaine (CNRS Bordeaux)
C'est au club des ondes électromagnétiques, sagement installées entre les ondes produites par nos fours et le spectre visible, que se nichent les térahertz, nouvelles chouchoutes des scientifiques et des industriels donc. Aussi appelées « rayons T », ces ondes ont une fréquence qui s'étend de 0,1 à 10 THz.
Contrairement à ce que l'on pourrait croire, elles ne viennent pas d'être découvertes. Les scientifiques les connaissent depuis maintenant 110 ans, mais elles étaient jusque là, comme qui dirait, difficiles à dompter. Cela fait à peine quelques années qu'elles sont exploitables, ouvrant la porte à de nombreuses possibilités.
Médical, télécommunication, et bien sûr sécurité : les domaines d'application de ces rayons T ne manquent pas. Aussi, quelque chose nous dit que nous les retrouverons très bientôt dans notre quotidien… mais saurons-nous les reconnaître, et nous reconnaître à leur contact ?