Le 1er avril 1976, Steve Wozniak, Steve Jobs et Ron Wayne créent la société Apple Inc. et commercialisent l'Apple I, premier micro-ordinateur à destination du grand public. Un essai transformé qui les pousse à concevoir le célèbre Apple II (1977). En quelques mois, et malgré un système de distribution presque confidentiel, il s'en vend plus de 8000 unités. En juin 1979, apparaît l'Apple II+ et ses 48 Ko de RAM, l'entreprise travaillant déjà à son nouveau projet, Sara, plus connu sous le nom d'Apple III. Il voit le jour en septembre 1980, mais connaît très vite de gros problèmes qui en ternissent la réputation. En dépit de nombreux efforts et corrections de bugs, Apple ne parvient pas à en redorer le blason et le retire du marché en avril 1984.
En décembre 1979, la société Xerox invite les ingénieurs d'Apple à découvrir son concept d'interface à base de fenêtres, utilisable à la souris. Impressionnés, ils lancent le développement en parallèle de deux idées : Lisa et Macintosh. Tous deux font partie de la gamme Apple qui, après l'Apple II+, accueille l'Apple IIe (1983), l'Apple IIc (1984) et l'Apple IIgs (1986) qui clôt la série. Lisa, sorti en 1983 et construit autour du concept de Xerox, est un échec retentissant. Là encore, Apple tente vainement de sauver son rejeton. Renommé Macintosh XL en 1985, Lisa disparaît en 1986. Ces revers successifs n'entament pas le moral de Steve Jobs qui, face à une concurrence de plus en plus présente, s'apprête à jouer sa dernière carte : la révolution informatique est en marche.
Le sourire de la Jo(bs)conde
Apple utilise la plus médiatique des manifestations sportives américaines, le Super Bowl, pour lancer la campagne promotionnelle de sa dernière merveille baptisée Macintosh. Le film publicitaire, réalisé par Ridley Scott et inspiré de 1984 de George Orwell, présente un monde dominé par un sombre dictateur (IBM ?) réduisant l'informatique à une chose inhumaine et sans vie. Une jeune sportive, armée d'une masse, fait exploser cette image passéiste, libérant le peuple du joug de l'oppresseur, tandis qu'une voix-off explique qu'avec l'arrivée du Macintosh « l'année 1984 ne sera pas comme 1984. » L'impact est d'autant plus important qu'aucune image de la machine elle-même n'est visible dans ce spot, Steve Jobs se réservant l'exclusivité de sa présentation officielle.En janvier 1984, quelques jours après la diffusion de la publicité, Apple organise une manifestation grandiloquente avec, en point d'orgue, la révélation de ce qu'est le Macintosh. Le visage souriant, conçu par Susan Kare, qui apparaît lors du démarrage du système, fait l'effet d'une bombe. Premier « visage humain » à être présenté par un ordinateur individuel, il impose la vision singulière d'Apple. L'idée est alors de proposer un « ordinateur personnel à visage humain », comprenez une machine facile d'accès et utilisable par le plus grand nombre. En seulement 100 jours, et malgré un prix de vente atteignant les 2495 dollars, plus de 50 000 personnes adoptent le Macintosh !
Happy Mac !
L'un des atouts de la réussite du Macintosh s'appelle Susan Kare, créatrice de l'interface graphique du Mac. Diplômée d'art à l'université de New York, elle rejoint Apple en 1982 suite à l'invitation d'Andy Herzfeld (concepteur de la bête), qui lui demande de créer une batterie d'icônes pour le système, ainsi que des polices de caractères. Quand elle se lance dans l'aventure, tout est à inventer : « À cette époque les icônes n'existaient pas, il n'y avait que des mots dans des boîtes ! ». Elle axe sa recherche sur ce qu'elle nomme « l'économie d'expression », soit la nécessité pour une icône de transmettre sa signification d'un simple regard. Sa technique ? Les envisager comme des indications routières et non comme de banales illustrations : « Nous essayions d'obtenir quelque chose qui puisse devenir instinctivement familier et clair, à même de guider les néophytes. »Le pot de peinture, la montre ou encore la bombe, chacun de ces symboles fait désormais partie de la culture populaire. Il en va de même pour le légendaire « Happy Mac » qui a servi d'image d'accueil lors de l'allumage de tous les Mac durant 18 ans, et remplacé par le logo Apple depuis le Mac OS X 10.2. Leur disparition après tant d'années du bureau propriétaire d'Apple, marquant une longévité unique dans l'histoire, démontre la force du talent créatif de Susan Kare.
Susan take Kare
Évidemment Steve Jobs, en patron avisé (et souverain), est le seul à pouvoir valider les icônes qui seront intégrées au produit final. Pourtant, Susan Kare n'a jamais ressenti la moindre pression : « Je travaillais principalement avec Andy Hertzfeld et l'équipe de programmeurs. » Lorsque ces derniers avaient besoin d'une icône, ils demandaient à Susan Kare de s'en charger. À partir de là, elle faisait diverses propositions suite aux discussions visant à définir la meilleure approche possible.Susan Kare
Mais l'implication de Kare ne se limite pas à la seule création d'icônes : « Je devais aussi me charger des polices de caractères. Cela m'a obligé à lire une quantité astronomique de livres traitant de typographie. Puis j'ai utilisé cette matière pour tenter de créer quelque chose qui soit agréable, pratique et propre au Mac, tout en respectant un cahier des charges strict. Après des semaines de recherche, la première police validée fut Chicago (un classique employé pour les menus de l'iPod, ndr.) qui est la police système par défaut du Mac dans les versions 1 à 7.6 »
A savoir
- Si vous demandez à Susan Kare de choisir son icône favorite sur Mac, elle vous répondra le Happy Mac , la première icône informatique à avoir rencontré le grand public en 1984.
- Susan Kare a créé toutes les icônes visibles lors des débuts du Macintosh (1984). Elle est aussi l'auteure de nombreux outils de dessins pour le programme MacPaint datant de 1983.
- Le célèbre Pot de Peinture, que l'on retrouve dans la plupart des applications dédiées au dessin, est le fruit de l'union de Susan Kare et de l'équipe en charge du développement logiciel : « J'en ai proposé énormément de versions différentes et nous avons longuement réfléchi à savoir laquelle serait la plus adaptée. » En dernier lieu, c'est Steve Jobs qui a donné son feu vert.
- Après avoir quitté Apple Inc., Susan Kare est recrutée par Microsoft pour créer une batterie d'icônes à destination de leur nouveau système d'exploitation, Windows 3.0 : « C'est l'opportunité de travailler en couleurs qui m'a convaincue ! ».
- Le site Folklore contient plus d'une centaine d'anecdotes à propos de l'histoire du Macintosh.
Influence planétaire
L'influence de Susan Kare sur le design des interfaces informatiques est inimaginable. Ses créations ont montré la voie à suivre quant au développement d'icônes efficaces pour les décennies suivantes. Et bien que celles d'aujourd'hui soient plus proches de l'illustration, nombre de créateurs se réclament de son école. À l'instar de Dave Brasgalla, fondateur du site Icon Factory, qui continue de puiser son inspiration dans les œuvres de Susan Kare : « Le Happy Mac en ouverture de programme reste un symbole universel pour toute la profession. Depuis l'apparition du Macintosh, les multiples icônes qui en composent le bureau (ou finder) ne sont pas seulement représentatives de la marque, mais de l'ensemble de la recherche graphique dans le domaine. Cela me rappelle Leo Fender (inventeur de la première guitare basse électrique au début des années 50, ndrl) et sa Precision Bass, l'exemple parfait de celui qui arrive au bon moment pour conquérir le monde entier sans le vouloir. »Non contente d'avoir conçu le premier set d'icônes sur Mac, Susan Kare est à l'origine de celui de Windows 3.0. Face à la polémique qui s'ensuivit, la guerre entre les deux géants étant déjà très vivace, elle conserve un certain détachement : « Je n'étais plus employée d'Apple lorsque cette opportunité s'est présentée. Et puis je trouvais assez excitante l'idée d'utiliser de la couleur ! ».
Aujourd'hui, elle travaille toujours dans le design, à San Francisco, avec une palette d'outils réduite, pour produire entre autres des icônes qui soient aussi fortes et percutantes que celles du Mac en son temps. Et pour ce faire, elle applique toujours la même règle : « Ne pas faire dans le voyant et le tape-à-l'œil pour se concentrer sur la pertinence et la compréhension immédiate de sa fonction. »