John MacFarlane
est le fondateur et PDG de la société Sonos. Californien mélomane, il a cette idée, ambitieuse au début des années 2000, de faire rentrer la musique dans toutes les pièces de la maison. Sonos voit le jour en 2002. Le système d'enceintes sans fil se développera au fil du temps, autant sur le plan de la gamme de produits que sur les fonctionnalités proposées.
Initialement, les enceintes Sonos jouaient la musique stockée sur le réseau local et les quelques webradios compatibles de l'époque. Puis, les services de streaming musical sont apparus, adoptés par Sonos quasi systématiquement. Le dématérialisé à la demande : quoi de plus commode pour des enceintes réseau ? Aujourd'hui, Sonos est présent dans plus de 50 pays et emploie plus de 600 personnes dans le monde.
Restée longtemps seule ou presque sur ce marché du multiroom, la marque californienne doit aujourd'hui affronter une concurrence intense : Samsung, Panasonic, Cabasse, Bose ou encore Denon pour les plus connus.
John MacFarlane, vous vouliez nous parler de streaming...
Il y a beaucoup de changement dans l'écosystème de la musique. Comme vous le savez, Apple arrive en juin avec un service payant de streaming ainsi qu'un service de radio gratuit, et ça va chambouler tout l'écosystème à échelle mondiale. On est au début de quelque chose de nouveau. Chez Sonos, nous sommes plutôt contents de l'arrivée d'Apple sur le marché du streaming. On ne supportera pas le service dès le premier jour, mais on le supportera assurément.
Quel est le principal service de musique en ligne dans la galaxie Sonos ?
C'est dur de répondre à cette question car il faut la considérer pays par pays. Par exemple, aux Etats-Unis le vrai géant c'est Pandora. Grosso modo, c'est de la radio de nouvelle génération. On ne trouve le service qu'aux Etats-Unis parce qu'il est régi par une législation américaine spécifique, mais il diffuse plus de musique que YouTube dans le monde entier, alors qu'il ne couvre que les USA. C'est plus de 80 millions d'utilisateurs, un superbe service de « Free digital radio », et c'est de loin le plus populaire. Il représente plus de la moitié du temps d'écoute sur les enceintes Sonos aux Etats-Unis. Ceci dit aux Etats-Unis, les abonnements payants à des services de streaming affichent la plus faible pénétration, plus faible qu'en France.
Quel est le ratio payant / gratuit en règle générale ?
Il varie en fonction des pays. L'autre pays dont je vais vous parler maintenant est sans surprise la Suède, où le géant Spotify accapare 90 % des abonnements de streaming payants : ça représente quelque chose comme 20 % de leur population. C'est un scénario complètement différent, avec un engagement énorme. Donc si on jauge le marché du streaming en fonction des utilisateurs payants, la Suède serait numéro 1, suivie par la Grande-Bretagne, puis par la France et l'Allemagne, deux pays très proches, et les USA figureraient tout en bas.
Comment Apple devrait s'y prendre pour pénétrer sur ces marchés ?
Apple doit se poser la question : « Comment faire quelque chose de bien en Suède ? » puisque c'est un superbe marché pour Apple. Bien sûr, Apple ne pourra pas faire de l'offre payante à la demande parce que Spotify a la main mise dessus. Donc ce qu'Apple apportera, c'est ce que Pandora a fait, mais à échelle mondiale, c'est-à-dire de la radio numérique via Internet. Vous verrez une fantastique radio Internet gratuite sur iOS et Android, et je pense que ça marchera très bien en Europe.
A l'inverse aux Etats-Unis, Apple devrait se concentrer sur une offre payante à la demande, en raison de la faible pénétration de ces offres outre-Atlantique, et parce que Apple a beaucoup de facilité pour vendre aux Etats-Unis. Donc ça dépend vraiment des pays où on se place, mais je pense que globalement, ça va pousser l'ensemble de l'écosystème de la musique vers le futur.
Vous savez, quand nous avons commencé Sonos il y a 13 ans, nous nous sommes dit « probablement que dans 5 ans le monde évoluera vers le streaming ». En fait, nos prévisions ont été légèrement dépassées puisque ça n'arrive finalement que maintenant, en 2015. Mais ça se produit, ça y est !
Sonos repose sur des services de streaming dont aucun n'est bénéficiaire : est-ce que ça ne peut pas mettre en danger votre modèle économique ?
Je dirais que jusqu'à maintenant, le challenge, c'était de convaincre les labels de travailler avec le streaming. Je pense que ça change, parce que les labels voient désormais le streaming comme un levier essentiel pour leur futur. A l'échelle planétaire, le nombre d'utilisateurs de services de streaming payants est environ de 40 à 50 millions : c'est très peu. Quand il passera à 200 millions, on verra émerger plein de sociétés profitables, ça ne fait que commencer.
La clé réside donc simplement dans le nombre d'utilisateurs ?
On peut faire le parallèle avec Internet. Si vous revenez en arrière, au moment où Internet n'avait que 50 millions d'utilisateurs, probablement vers 1996, Yahoo! n'était pas profitable, Altavista (le moteur de recherche) n'était pas profitable, Google n'existait pas encore, Amazon était loin de faire des bénéfices, tout comme Netscape. Ils ont tous dû attendre. Ce n'est que le début. Chercher à faire des bénéfices immédiatement est une erreur, aujourd'hui, tout le monde travaille sur la croissance. Parce quand vous avez 20 % de la population française qui a souscrit à un abonnement payant de streaming, vous savez, les choses sérieuses commencent ; tout de suite, on est peut-être sous les 5 %.
Tout cela, ce n'est ni plus ni moins que des mathématiques. Si votre marge brute est de 50 %, vous serez bénéficiaire avant celui qui réalise une marge de 30 %. Spotify réalise une marge brute d'environ 30 %, il me semble à l'heure actuelle. C'est tendu, il faut beaucoup d'utilisateurs. Mais vous savez, avec ses 15 millions d'utilisateurs, Spotify pourrait très certainement faire le choix de la profitabilité dès maintenant sans trop de soucis. Mais Spotify fait le choix de la croissance, donc, n'est pas profitable. Pourtant, avec 1,8 milliard de chiffre d'affaires, je vous garantis que Spotify pourrait être profitable s'il le voulait.
Est-ce que 10 euros par mois est le bon prix ?
Le prix me semble correct. Mais il va falloir surveiller le marché de près. A 30 % de marge brute, vous ne ressemblez pas vraiment à une société de logiciels ou de services. C'est bien mieux que les 15 % de HP ou Dell mais vous n'êtes pas un Microsoft, par exemple. Les sociétés vont devoir réussir à trouver des dimensions adaptées à leur offre : si l'offre de Tidal fonctionne, 20 euros par mois pour une meilleure qualité, d'autres pourront se calquer dessus. Je ne suis pas sûr que ça va marcher, pour un très grand nombre de personnes, 10 euros par mois représente déjà une somme importante. Ce prix reste un bon point de départ. Mais on devrait voir émerger plein de modèles économiques différents.
Qu'est-ce qu'Apple peut changer sur ce marché ?
Je pense qu'Apple va tout accélérer, donc nous sommes vraiment excités à l'idée de les voir arriver. Tout le monde va presser le pas et réfléchir davantage. Tout cela est très bon, les quelques années à venir vont être fabuleuses.
Vous semblez très optimiste sur la façon dont va évoluer le marché du streaming demain.
- Je suis très optimiste. Puis-je vous demander votre âge ?
- Oui, j'ai 34 ans.
- Ok, donc avant que vous passiez votre baccalauréat, vous faisiez des recherches avec des livres dans des bibliothèques, exact ?
- Oui, c'est juste.
- N'importe quel étudiant préparant des examens de nos jours effectue ses recherches sur Internet, via Google. Le monde a changé entre le moment où vous et moi étions à l'école, et maintenant. Le monde de l'information se résumait à une bibliothèque dans laquelle vous alliez chercher ce dont vous aviez besoin. Maintenant, ce sont toutes les informations du monde qui sont à portée de main, et on se heurte à un nouveau problème très différent, à savoir, comment je vais extraire ce que je veux de cette masse de données ?
La musique est en train de subir cette transformation en ce moment même. Traditionnellement, un label de musique découvrait des groupes sur le point de percer, puis enregistrait des CD, les livrait en magasin, et vous découvriez la discographie du groupe dans votre Fnac, achetiez un ou deux CD. Vous n'aviez alors qu'un petit fragment de la musique produite dans le monde. Maintenant avec le streaming, c'est toute la musique du monde qui devient disponible, partout dans le monde.
Et il se pose un nouveau problème désormais : comment est-ce que je trouve la musique que je veux écouter, y compris la musique dont je ne connais même pas l'existence ? Je pense que ce problème est une fantastique opportunité, et il commence tout juste à trouver des solutions. On peut aller sur Spotify ou Deezer et rechercher le groupe dont un ami nous a parlé. Ça c'est la méthode de l'Internet de 1996, où l'on ne trouvait que ce que l'on cherchait. La magie opère quand les systèmes deviennent assez intelligents pour suggérer de la musique, vous aider à trouver des nouvelles chansons ou à découvrir des artistes intéressants. Ces comportements vont continuer à s'améliorer au fil du temps.
Et quid de la rémunération des artistes par le streaming qui est régulièrement décriée ?
C'est un sujet passionnant qui n'a pas été assez étudié mais, au risque de me répéter, avec 50 millions de souscriptions payantes dans le monde, il manque de l'argent pour tout le monde. Le nombre magique se situe autour de 200 millions d'utilisateurs dans le monde, il nous faut définir comment les artistes doivent être payés d'ici à ce qu'on en arrive là, et quand on atteindra le milliard d'utilisateurs, il y aura plein d'argent pour tout le monde. Mais déjà à 200 millions d'utilisateurs, l'industrie de la musique sera supérieure au pic qu'a connu le CD. On va y venir, c'est juste un gros changement qui doit s'opérer.