Enquêtes criminelles : la technologie au service des Experts français

Jérôme Cartegini
Publié le 04 novembre 2015 à 12h04
Pour lutter contre la criminalité, les services de police se tournent vers les nouvelles technologies. Numérisation et impression 3D de scènes de crime, prédictions morphologiques, anticipation d'actes criminels, la réalité dépasse parfois la fiction. Grâce à ces nouvelles méthodes d'investigation, le taux d'élucidation des crimes et délits en tous genres ne cesse de s'améliorer. Focus sur l'arsenal technologique au service de la justice.

Les criminels n'ont qu'à bien se tenir... Un peu partout dans le monde, États-Unis en tête, des inspecteurs 2.0 armés d'ordinateurs et de tablettes réalisent de véritables prouesses techniques pour les immobiliser. Grâce aux progrès de la science et des nouvelles technologies, ils sont désormais capables d'élucider des crimes sans témoin, d'établir des portraits-robots génétiques à partir de minuscules traces d'ADN, voire d'arrêter des criminels, juste avant qu'ils ne passent à l'acte !

C'est une véritable révolution qui s'annonce pour la police scientifique.

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La 3D au service de la criminalistique

Depuis quelques années, de plus en plus de services de police technique et scientifique (NDLR : la criminalistique) effectuent des relevés en 3D pour geler une scène d'homicide, d'un cambriolage, ou d'un accident de la route. Ils utilisent principalement des scanners laser 3D portables capables d'effectuer des relevés d'une très grande précision sur plusieurs centaines de mètres en seulement quelques minutes.

Dotés d'un GPS, d'une boussole, d'un altimètre, et d'un puissant capteur photo (jusqu'à 70 mégapixels), ces appareils numérisent tout ce qui se trouve dans l'environnement, jusque dans les moindres détails, et fournissent des données topographiques précises de l'ordre du millimètre (environ 2 mm d'incertitude de mesure). À condition que la scène de crime n'ait pas été polluée et les éventuelles preuves dégradées, un scanner laser peut réaliser un schéma 3D proche de la perfection.

Ratissage numérique

Couramment utilisés dans l'architecture, la construction, la conservation du patrimoine, ou encore l'aéronautique, les scanners laser 3D s'imposent désormais comme des outils indispensables pour la médecine légale et la police scientifique. Très en avance, les services de police français figurent parmi les premiers à avoir numérisé des scènes de crime en 3D avec des scanners du fabricant américain Faro. Ils s'en étaient notamment servis en 2012 pour enquêter sur l'affaire ultra médiatisée du quadruple meurtre de la Chevaline en Haute-Savoie.

Posé sur un grand trépied, l'appareil, muni d'une tête motorisée, pivote à 360° sur lui-même et peut ainsi balayer méticuleusement une zone, jusqu'à une distance d'environ 300 mètres. Selon les modèles, les données peuvent être enregistrées sur une carte SD ou envoyées directement sur le cloud pour être ensuite visionnées sur ordinateur.

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Le scanner laser Focus3D de Faro.


Un scanner 3D ne se contente pas de fournir une image 3D d'une scène, il est également capable de délivrer de précieuses informations permettant d'analyser les angles de vision, les projections de sang, ou encore, les trajectoires balistiques. Ces données peuvent non seulement constituer des preuves numériques dans un tribunal, mais également servir à créer des simulations par le biais d'animations 3D pour reconstituer le déroulement d'un acte criminel. Autre avantage par rapport aux méthodes de relevés traditionnelles (photographies, relevés topographiques complexes...), les inspecteurs ont la possibilité de réexaminer une scène de crime virtuelle autant de fois qu'ils le souhaitent sous différents angles. Dans certains cas, cette technique permet d'éviter à la justice de devoir procéder à de couteuses reconstitutions sur les lieux d'un crime.

Ce n'est qu'un début... Des chercheurs du CSIRO (l'agence nationale de recherche scientifique australienne) ont réussi à mettre au point un scanner laser 3D baptisé Zebedee qui tient dans la main. Conçu à l'origine pour scanner des grottes et des monuments historiques en vue de leur restauration, il est aujourd'hui utilisé par la police scientifique de la ville de Queensland en Australie pour numériser les scènes de crime. Sa petite taille représente un véritable atout pour les policiers qui peuvent le porter sur eux et « geler » facilement une scène avant qu'elle ne soit contaminée.

La police scientifique française n'est pas en reste et expérimente, quant à elle, un drone capable de réaliser des images aériennes tridimensionnelles. Baptisé le VAI (Vecteur aérien d'investigation criminelle), l'appareil fournit une vision globale d'une scène, y compris dans des zones difficiles d'accès. Autre atout, il peut fonctionner de nuit grâce à un puissant système d'éclairage miniature. Un outil criminalistique à faire pâlir les scénaristes des séries TV policières.

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Scènes de crime et portraits-robots 3D

L'utilisation de l'impression 3D par la police demeure encore anecdotique, mais elle devrait être amenée à se développer dans les années à venir. La police japonaise est l'une des premières à y avoir eu recours en 2013 pour traquer le dernier responsable des attentats du métro au gaz sarin de 1995. Elle avait fait imprimer un portrait-robot 3D de l'homme, plus vrai que nature, pour le diffuser ensuite en boucle sur les chaînes de télévision. Il fut interpellé peu de temps après sans que l'on sache si c'était grâce à ce fameux portrait. Fin 2014, les forces de l'ordre nippones ont réitéré l'expérience, mais pour tenter d'élucider cette fois-ci un mystérieux quadruple meurtre qui s'était déroulé dans une maison de Tokyo.

Demeurant sans aucun indice après 13 ans d'enquête, ils ont imprimé une maquette 3D de l'extérieur et de l'intérieur de la maison, pour essayer de raviver la mémoire des inspecteurs ayant couvert l'affaire. Dans l'espoir de trouver d'éventuels témoins, la maquette fut également exposée au public. Même si cette expérience n'a pas permis de mettre cette affaire au clair, de nombreux nouveaux indices ont pu être récoltés. La police scientifique japonaise continue d'utiliser cette technique pour enquêter sur d'anciennes affaires non résolues.

Prédictions génétiques

Près de la moitié des enquêtes en France sont élucidées grâce à des traces d'ADN. Popularisées par les séries télévisées - Engrenages, R.I.S Police Scientifique, Les Experts etc. -, ces analyses génétiques combinées aux outils technologiques permettent aux enquêteurs de réaliser de véritables prouesses. Depuis les années 80, la recherche d'ADN est devenue la priorité des enquêteurs. Que cela soit sur une scène de crime ou d'un simple cambriolage, ils se mettent quasi systématiquement en quête du Graal en enfilant combinaisons jetables, gants, masques et lunettes pour ne pas contaminer les lieux. Et pour cause, il n'est plus nécessaire, comme par le passé, de détecter des traces fortement marquées (sang, salive, sécrétions corporelles...), les experts peuvent désormais identifier un code ADN sur un brin de cheveu, une cellule morte, ou même une simple trace de contact de doigt sur un objet de moins de 1 millimètre !

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Lorsqu'ils trouvaient un code ADN sur une scène de crime, les enquêteurs se contentaient de le rentrer dans le fichier national pour voir s'il correspondait à l'un des 2,5 millions de profils ADN enregistrés de personnes ayant commis des délits en France. Grâce aux progrès de la science, les enquêteurs peuvent désormais faire parler l'ADN. Depuis quelques mois, la police scientifique française notamment, utilise un logiciel de prédiction permettant d'établir des portraits-robots génétiques. Origine, couleur de la peau, des yeux et des cheveux, sexe... la prédiction morphologique représente une avancée majeure. À partir d'une simple trace ADN, le logiciel est capable de fournir des indications précises sur les caractéristiques physiques d'un individu. Bien que cette méthode n'en soit qu'à ses balbutiements, elle peut être déterminante dans certaines affaires sans témoin. Seuls quelques pays comme la France, l'Espagne, l'Angleterre, ou encore, les États-Unis autorisent pour le moment ce type d'analyses.

Le directeur du laboratoire d'anthropologie génétique de l'université de Pennsylvanie, Mark Shriver, est allé plus loin en développant un programme informatique capable de reproduire un modèle en trois dimensions d'un visage à partir d'un profil ADN. Avec son équipe, il a constitué une base de données de photographies 3D, en très haute résolution, des visages de 592 volontaires de différentes origines (Afrique, Europe, Amérique du Sud...). Les chercheurs ont superposé une grille de 7 000 points sur les images 3D et enregistré la distance précise entre chaque point. En combinant ces données avec le profil génétique des candidats, ils sont parvenus à développer un modèle statistique pour analyser comment les gènes, le sexe et l'origine, influent sur la position de ces points et donc, sur les traits du visage. Les résultats obtenus avec le logiciel prédictif de Mark Shriver sont variables, mais très prometteurs.

Pour s'en rendre compte, des journalistes du New York Times ont tenté l'expérience en envoyant aux chercheurs un échantillon de leur ADN pour se faire tirer le portrait. L'expérience s'est révélée plutôt concluante sachant que cette technologie n'en est qu'à ses prémisses et nécessitera encore plusieurs années de recherches.

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Les photos des journalistes du New York Times et leurs portraits-robots.


Anticipation de crimes

Dans le film de science-fiction Minority Report, le héros incarné par Tom Cruise dirige une agence gouvernementale qui arrête les criminels juste avant qu'ils ne commentent leurs méfaits. Pour cela, ses agents se basent sur les visions des précogs, des humains-mutants capables de fournir le nom de l'agresseur et de la victime, ainsi que la date et l'heure auxquelles le drame va se dérouler. Par contre, ils n'ont aucune information sur l'endroit où il va avoir lieu, et doivent essayer de trouver des indices sur les images transmises par le cerveau des précogs. De la science-fiction ? Pas si sûr...

Depuis quelques années, différentes unités de police à travers le monde sont équipées de logiciels de prédiction de crimes de plus en plus performants : PredPol aux États-Unis, Corto en France, Precobs en Allemagne, etc. À l'inverse du film, les agents de police ne peuvent pas connaître à l'avance l'identité des criminels, mais les lieux potentiellement criminogènes à une date donnée.

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Dans Minority Report, Tom Cruise consulte les images des futurs crimes transmises par le cerveau de mutants.


Les logiciels prédictifs ne sont ni plus ni moins que des puissants outils de statistiques qui analysent les milliers d'informations relatives aux délits enregistrés au quotidien par les policiers : type d'infraction (crimes, vols de voiture, cambriolages, agressions...), adresse, date, heure, etc. Grâce à un algorithme propre à chaque logiciel, ils sont en mesure de prédire où, et quand, un délit a toutes les chances de se reproduire. À charge ensuite aux forces de l'ordre d'augmenter leurs patrouilles dans tel ou tel secteur en fonction des indications fournies.

L'efficacité des prédictions dépend surtout de la quantité d'informations dont les logiciels disposent. Si par exemple d'une année à l'autre, un grand nombre de cambriolages se perpétue dans un quartier à la même période, ils indiquent aux policiers la zone à risques. En France, le logiciel Corto développé par la société Spallian qui est utilisé par la Police Municipale depuis 2011 fournit chaque jour des données cartographiques en temps réel avec les points chauds à surveiller. Les homicides ne font par partie des données analysées, seuls les délits répétitifs comme les vols de véhicules, les cambriolages, ou les agressions sont traités.

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Cette cartographie de Corto signale les délits par des points rouges.


Dans le domaine de la prédiction criminelle, les États-Unis font la course en tête grâce, notamment, aux prouesses du logiciel PredPol (Predictive Policing). Fruit de plus de six ans de développement d'une équipe de chercheurs et de mathématiciens de l'université d'UCLA, en collaboration avec des agents du département de police de Los Angeles, il aurait permis de faire baisser significativement la criminalité dans plusieurs villes.

Les chiffres sont impressionnants. Le département de police de Los Angeles qui utilise PredPol depuis le mois de janvier 2013, a constaté une baisse de 20 % de la criminalité globale. À Atlanta où il a été lancé quelques mois plus tard, la criminalité a baissé de 8 et 9 % dans les deux zones où il a été déployé. Dans les autres zones où les forces de l'ordre ne disposent pas de cet outil, le taux de criminalité a augmenté sur la même période de 1 à 8 % ! Des résultats qui ont incité plusieurs autres villes américaines (Seattle, Richmond, Santa Cruz, Norcross, Alhambra...) à utiliser le programme. Le record revient à la ville de Richmond qui a enregistré en 2014 une baisse de 50 % des cambriolages, et une diminution de 34 % des vols de voitures. Reste à savoir si sur le long terme les criminels ne vont pas trouver la parade et commencer à se déplacer dans d'autres secteurs moins surveillés.

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Chaque jour, les policiers américains reçoivent les prédictions de PredPol directement sur l'écran de bord de leur voiture de patrouille.

Conclusion

Ces nouvelles méthodes d'investigations policières à la pointe de la science et de la technologie métamorphosent le travail des enquêteurs. En se projetant dans le futur, on peut imaginer que la recherche d'ADN deviendra systématique et qu'à partir d'une squame invisible à l'œil nu, les enquêteurs auront la possibilité d'imprimer un portrait-robot 3D 100 % fiable pour confondre les auteurs d'homicides, de vols, d'agressions, etc. Concrètement, cela signifie que si demain les criminels laissent la moindre trace sur leur passage, ils pourront être immédiatement identifiés.

Mais peut-être qu'il ne sera même plus nécessaire de faire de telles investigations si les logiciels de prédictions permettent un jour d'arrêter les délinquants avant qu'ils ne passent à l'acte ! Ce serait évidemment sans compter sur le fait que les technologies ne sont pas infaillibles et que les criminels peuvent s'adapter et modifier leurs habitudes pour tromper ces nouveaux outils. Malgré toute leur efficacité, ils ne remplaceront évidemment jamais le travail des policiers sur le terrain, et c'est sans doute mieux ainsi.
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