Industrial Light and Magic : 40 ans d'effets spéciaux au service de Star Wars

Louis-Charles Rostand
Publié le 14 décembre 2015 à 14h41
2015 est une année importante pour le studio Industrial Light and Magic (ILM), racheté par Disney en même temps que Lucasfilm. Elle marque le retour de Star Wars sur les écrans, saga qui est à l'origine de la naissance du studio en 1975, une date qui implique que cette année nous célébrons le 40e anniversaire d'ILM. Et quoi de mieux que Le Réveil de la Force pour fêter ça : la boucle est bouclée !

Les Aventuriers de l'Arche perdue (1981), E.T. l'extra-terrestre (1982), Star Trek 2 (1982), Les Goonies (1985), Retour vers le Futur (1985), Qui veut la peau de Roger Rabbit ? (1988), Abyss (1989), Total Recall (1990), Le Parrain 3 (1990), Terminator 2 : Le Jugement dernier (1991), Jurassic Park (1993), Twister (1996), Titanic (1997), Harry Potter à l'école des sorciers (2001), Pirates des Caraïbes : La Malédiction du Black Pearl (2003), Le Jour d'après (2004), Le Monde de Narnia : Le Lion, la Sorcière blanche et l'Armoire magique (2005), Avengers (2012), Fast & Furious 7 (2015) et bien sûr la saga Star Wars (1977).

Outre le fait que tous ces films sont des immenses succès public et critique, leur point commun est que leurs effets spéciaux sont tous l'œuvre d'Industrial Light & Magic (ILM pour les intimes), une filiale de Lucasfilm dont l'empreinte sur le cinéma moderne est colossale. 40 ans après sa création, ILM règne (presque) sans partage sur le domaine des effets spéciaux, seul le studio Weta Digital, créé par Peter Jackson en 1986, parvient à rivaliser avec le géant que nous retrouvons aujourd'hui derrière les effets du très attendu Star Wars : le Réveil de la Force.

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Il y a bien longtemps...

Pour comprendre comment ILM a atteint son statut incontournable en seulement 40 ans, il faut revenir au printemps 1975, lorsque le jeune George Lucas, tout juste auréolé du succès d'American Graffiti (1973), obtient le feu vert pour mettre en scène son space opera, titré alors The Star Wars, puis Adventures of the Starkiller. Il s'agit d'un film dont personne n'attend grand-chose, que Lucas lui-même imagine comme un « petit film fantastique qui ne laissera pas une empreinte indélébile ». Cependant, Lucas aspire plus que tout à préserver son indépendance, convaincu que les studios, obnubilés par l'appât du gain, sont incapables de comprendre la moindre démarche artistique. S'ajoute qu'aucune structure n'est à même de mettre en scène ce qu'il imagine. Face à la complexité du projet, l'unique solution pour garder la main est de créer son propre département dédié aux effets visuels du film.

Durant la phase de préproduction, George Lucas envisage de confier les effets spéciaux à Douglas Trumbull, à qui nous devions ceux de 2001, l'Odyssée de l'espace (1968). Malheureusement, déjà engagé sur Rencontre du troisième type (1977), il décline cette proposition mais suggère à Lucas le nom de John Dykstra, son assistant. Ce dernier accepte et prend la tête d'une équipe de créatifs composée d'artistes, d'ingénieurs et d'étudiants. « Nous avons embauché environ 45 personnes, dont la moyenne d'âge tournait autour des 25 ans, se souvient George Lucas. C'était presque des enfants en réalité, et la plupart n'avait jamais travaillé pour le cinéma. »

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Cette structure, qui n'a pas encore de nom, doit désormais relever un défi de taille en réalisant ce qui n'a jamais été fait jusqu'à présent : « J'ai reçu un appel de George et nous nous sommes rencontrés dans un bungalow d'Universal, raconte John Dykstra. Il voulait que Star Wars ressemble à ces films d'affrontements aériens tournés durant la Seconde Guerre Mondiale, afin de plonger les spectateurs au cœur de l'action. » « Je savais que ça allait être très compliqué, avec de nombreux plans très rapides et une gigantesque station spatiale à la fin, ajoute Lucas. Le problème est qu'à l'époque, vous ne pouviez pas faire ça ! J'ai pensé : "Nous ferions mieux d'abandonner tant que c'est encore possible !" J'étais presque résigné à ce que nous échouions ! ».

Dykstraflex

John Dykstra est plus optimiste et il affirme qu'il peut obtenir ce que veut le réalisateur. Mais cela implique la fabrication d'une caméra de contrôle de mouvement. Lucas, conscient que sans cela son film ne verra pas le jour, accepte de financer son développement. À partir d'une caméra VistaVision, Dykstra met au point un dispositif qui évoque une grue motorisée et pilotée par informatique. Ce système permet de bouger la caméra à l'envie sur plusieurs axes : panoramique vertical et horizontal, rotation horaire et antihoraire, travelling avant-arrière-latéral, mouvement en courbe...

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Pour simuler l'impression de déplacement et de vitesse, les objets sont fixes et c'est la caméra qui bouge autour, enregistrant axe par axe avant de diffuser le tout en même temps. À l'écran le résultat est inédit et bluffant, faisant d'ILM un studio à la pointe de la technologie et des effets visuels, place qu'il conserve à ce jour. Ce système de motion control, pour lequel John Dykstra obtint un Oscar en 1978, fut baptisé Dykstraflex. Il révolutionna le rapport aux effets spéciaux en ouvrant des voies nouvelles dans le domaine, faisant d'ILM une référence.

Ombre & Lumière

George Lucas, qui avait créé ILM afin d'assurer toute la post-production de son Star Wars, envisage très rapidement d'en faire une structure à part entière qui pourrait intervenir sur d'autres films. Reste à lui trouver un nom : « Nous étions en train de réfléchir à l'avenir de notre petite équipe et nous avons réalisé que pour lui donner corps, il fallait qu'elle possède un nom, raconte Lucas. Nous étions installés dans une zone industrielle, nous construisions cette gigantesque machine qu'est la Dykstraflex afin de faire les prises de vue. Nous avions déjà « l'Industrial » et la Lumière (Light) utilisée pour la photographie. Mais tout ceci ne voulait pas dire grand-chose si nous ne parvenions pas à insuffler un peu de magie. Sans cela nous étions voués à l'échec et personne ne voudrait de notre film. C'est ainsi que le nom Industrial Light & Magic est apparu ! »

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Pendant ce temps, dans les couloirs de la Fox, les grincements de dents commencent à se faire entendre à mesure que Star Wars prend du retard. Initialement programmé pour être sur les écrans au mois de décembre 1976, la sortie est repoussée au printemps 1977. Le producteur Alan Ladd Jr., qui faisait le tampon entre le studio et Lucasfilm depuis des mois, se voit opposer un ultimatum : dans les 15 jours à venir, les caméras doivent cesser de filmer d'autant que le budget est largement dépassé ! Une décision brutale pour un George Lucas physiquement très affaibli et hospitalisé pour surmenage. Du côté d'ILM, les choses sont au plus mal. Pas un plan n'est utilisable alors que la moitié du budget a été engloutie ! Qu'à cela ne tienne, George Lucas se retrousse les manches et enchaîne les heures de travail. Deux jours par semaine il supervise les avancées d'ILM, consacrant le reste de son temps au montage, lui aussi catastrophique. Finalement ce n'est que lorsque John Williams, qui vient de composer la musique des Dents de la mer de Steven Spielberg (1975), livre sa partition que l'ensemble trouve sa cohérence.

Star Wars : un nouvel espoir sort le 25 mai 1977 aux USA et remporte un succès sans précédent. En quelques mois, le film engrange près de 79 millions de dollars, pour un budget de 11 millions (au lieu des 8 prévus), mais là où les plus grosses productions de l'époque amassaient - au plus - 37 millions ! Ce que tout le monde présentait comme une « petite série B sans avenir » est une réussite éclatante, bouleversant dans le même temps notre approche des effets spéciaux : un nouvel espoir venait de naître !L'accueil triomphal réservé à Star Wars appelle une suite logique dont la sortie est rapidement fixée au printemps 1980. ILM doit encore évoluer, parfaire ses techniques et technologies, ce qui passe par un changement d'environnement et plus de moyens. George Lucas décide de déplacer sa structure au Nord de la Californie, ce qui n'est pas du goût de tous, à commencer par John Dykstra qui préfère quitter la jeune ILM. Il faut dire que les retards conséquents sur la production du Nouvel espoir ont entamé sa relation avec Lucas et le divorce semblait inévitable.

L'équipe se renforce de nouveaux venus et se lance à corps perdu dans la production de L'empire contre-attaque (1980) : « Il reste le film le plus difficile sur lequel j'ai eu la chance de travailler, confie le directeur créatif Dennis Muren. Il nous fallait former des gens à des outils et des techniques que nous maîtrisions à peine, ce qui n'était pas toujours facile. » Ce second Star Wars est une école formidable pour ILM qui peut désormais envisager d'autres films que ceux de la saga imaginée par Lucas.

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Les premiers à en profiter sont Les aventuriers de l'Arche Perdue - production Lucasfilm - et Le dragon du lac de feu (1981) pour Disney. « Nous avons passé presque deux ans sans travailler sur un Star Wars, poursuit Dennis Muren. Dans l'intervalle nous avons fait 6 films, dont Le dragon du lac de feu pour lequel nous voulions repousser les limites de l'animation en stop-motion. Nous avions un dragon miniature fabriqué par Phil Tippett que nous faisions bouger tout doucement plutôt que d'avoir un animateur chargé de le bouger image par image. Nous avons reçu un prix pour ça et beaucoup de gens trouvent encore que c'est l'un des dragons les plus réussis du cinéma. »

L'âge du numérique

« L'informatique en était encore à ses balbutiements, mais je pressentais que les possibilités allaient être immenses, explique George Lucas. C'est pourquoi j'ai voulu mettre sur pied un département dédié qui rassemblait de nombreux développeurs. Mais comme les gens d'ILM ne voulaient pas entendre parler d'eux, ils se sont installés dans un bâtiment attenant à celui d'ILM. Mon objectif était de créer un système d'édition digitale exploitant les effets spéciaux par ordinateur. C'est en mettant au point une machine capable de gérer ça que nous avons créé « le Pixar ». La première chose que nous avons réalisée avec ce système fut un plan pour Star Trek II, lorsqu'ils transforment une planète stérile en terre fertile. »

Après des années de travail, le film Le secret de la pyramide (1985) allait servir de carte de visite à ILM grâce à une séquence spectaculaire et inédite : « John Lasseter, qui réalisera plus tard les Toy Story, devait se charger de toute la réalisation d'une séquence du film dans laquelle un chevalier jaillit d'un vitrail dans une église, pour attaquer un prêtre, raconte Steven Spielberg. Le résultat à l'image est tellement formidable que nous nous sommes tous mis à rêver des possibilités qui s'ouvraient à nous. L'ère des effets numériques sur ordinateur venait de commencer ! ».

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Désormais ILM est un studio incontournable, dont les réalisations font la joie des spectateurs et l'enthousiasme des producteurs. À l'instar de Star Wars ou Le secret de la pyramide, deux autres films achèvent d'inscrire le nom d'ILM dans l'Histoire : Terminator 2 : Le Jugement dernier (1991) et Jurassic Park (1993). « Robert Patrick, qui interprète le T-1000, a accepté de se prêter au jeu des nouvelles technologies en devenant notre marionnette, raconte Mark Dippé en charge des VFX. Il devait rester debout, comme crucifié, pendant que les maquilleurs dessinaient consciencieusement les lignes de son visage afin de bien le recréer sur ordinateur. Nous avons digitalisé son visage ! C'était vraiment très pénible, mais il a joué le jeu. » Encore une fois, les prouesses d'ILM font merveille et Terminator 2 acquiert une réputation phénoménale, grâce en grande partie aux effets liés au T-1000. Jurassic Park fut l'ultime claque qui rendait tout le reste possible. En découvrant ces dinosaures sur l'écran, le public du monde entier éprouva les mêmes émotions que les personnages du film. ILM entrait dans la légende grâce à des créatures disparues depuis des millions d'années, mais ramenées à la vie par la « Magic » du 7e Art !

Retour aux sources

La suite fut un festival de progrès, d'audace, de créativité et d'un perfectionnement toujours plus fascinant dans les techniques et les usages. Il suffit aujourd'hui de parcourir la liste de tous les films dans lesquels on retrouve la patte ILM pour comprendre que sans ce studio, le cinéma tel que nous le connaissons depuis 40 ans n'aurait pas la même saveur, même si l'abondance de fonds verts a fini par lasser une partie des professionnels et du public.

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Heureusement ILM a bien d'autres savoirs et compétences qui vont bien au-delà de l'écran d'un ordinateur et de la tablette graphique ! Pour preuve Star Wars : le réveil de la Force que le réalisateur J. J. Abrams a toujours voulu comme un retour aux sources du mythe (Star Wars) et de la légende (ILM). « Ce qui fait la force de la période cinématographique actuelle est que nous avons plus d'outils à notre disposition, mais cela ne signifie pas pour autant qu'il s'agit automatiquement des bons outils !, affirme Abrams. Il y a de nombreuses situations pour lesquelles nous avons fonctionné sur ce film « à l'ancienne » plutôt que de nous contenter d'effets numériques. Au final le numérique nous a surtout permis de supprimer des choses plutôt que d'en ajouter ! Nous tenions absolument à construire le plus de décors possibles, ce qui permet de rendre le film plus réaliste, plus authentique en termes de qualité, car vous savez que ce qui est à l'écran est vrai, que les personnages évoluent dans un véritable environnement, que l'éclairage n'est pas factice. Pour les scènes en extérieur comme en intérieur, je ne voulais pas me contenter d'un écran vert sur lequel rajouter les décors en post-production. C'était vraiment, à mes yeux, une condition essentielle à la réussite de ce projet. »

Retour vers le futur

ILM est un studio à part dans l'industrie du cinéma. Tout comme Weta Digital depuis la trilogie du Seigneur des anneaux, il paraît difficile de faire un film à grand spectacle sans se tourner vers ces génies du numérique et de l'image de synthèse. Et ceux qui aspirent à moins d'images de synthèse seront ravis d'apprendre que nous entamons une nouvelle étape dans l'évolution du secteur, après quelques années de surconsommation numérique.

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Ainsi nous observons actuellement un retour à des valeurs plus classiques, où la technique vient en complément et non en remplacement, ce qui a toujours été l'ambition de George Lucas : « Nous avons traversé le portail technologique. Nous sommes passés de l'ère du cinéma muet à celle du son. Aujourd'hui nous sommes dans celle du numérique et je pense que nous allons y rester une cinquantaine d'années. Tout le monde nous accusait au début de vouloir remplacer les comédiens. Vous ne pouvez pas remplacer un acteur. Nous ne créons que des clones sans âme qui ne peuvent rien faire par eux-mêmes, en particulier improviser. Mais j'ai souvent rencontré des gens qui affirmaient que telle ou telle chose était impossible à réaliser. J'ai toujours fait la même réponse : « Notre travail est de rendre l'impossible possible » » Et c'est ce qu'ILM fait depuis 40 ans !
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