Star Wars 7 : du film aux produits dérivés, qui influence qui ?

Denis Brusseaux
Publié le 27 janvier 2016 à 11h05
Avec La Guerre des Etoiles, Georges Lucas inventait une nouvelle forme de stratégie commerciale, au point de concurrencer voire d'éclipser ses films par le chiffre d'affaires exponentiel des jouets. Et quand Disney réactive l'univers d'origine, il devient rapidement clair que les produits dérivés ne peuvent que s'inclure dans la fiction, jusqu'à la façonner.

Attention, si vous n'avez pas encore visionné Star Wars : Le Réveil de la Force, la dernière partie de cet article contient quelques légers spoilers sur le film. L'intertitre vous signalera quand vous arriverez à la partie de l'article en question.

D'un point de vue marketing, l'histoire de la première trilogie Star Wars (1977-1983) est d'abord et avant tout celle d'une prise de pouvoir des jouets sur les films qui les ont inspirés. Visionnaire, George Lucas négocie avec Alan Ladd Jr, producteur à la 20th Century Fox, les droits d'exploitation des produits dérivés de La Guerre des Etoiles, une demande alors à contre-courant. Ladd y consent sans se douter qu'il offre au jeune réalisateur une estimable poule aux œufs d'or. Et le résultat ne se fait pas attendre, puisqu'une véritable pluie de dollars s'abat très vite sur le wonderboy qui a d'ailleurs pris soin de s'arroger, au passage, l'exclusivité sur toute suite à son bébé.

Lucas peut désormais s'auto-produire de manière parfaitement indépendante au travers de sa société Lucasfilms, fondée en 1971 sur le modèle d'American Zoetrope, la compagnie de son mentor Francis Ford Coppola. Pour autant, le maître du Skywalker Ranch ne remise pas les figurines au placard, bien au contraire, et décide même de passer à la vitesse supérieure : au lieu de sortir les produits dérivés de l'Empire contre-attaque concomitamment à la sortie de celui-ci, il décide de les dégainer bien avant, décuplant ainsi l'attente des fans.

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Désolé pour Harrison Ford, mais son personnage était devenu trop rentable chez les marchands de jouets : plus question de le sacrifier.

La stratégie est brillante : Lucas a compris que les personnages, costumes et vaisseaux n'ont plus besoin d'être présentés, ils sont désormais ancrés dans la culture populaire. Les « poupées » Luke, Han ou Leia ont leur public indépendant de celui du film, leur succès personnel. Elles ont aussi le mérite d'attirer l'attention du futur spectateur sur les éléments inédits (monstres, costumes, armes) qu'il s'apprête à découvrir dans le film à venir, comme si ce dernier était en réalité le produit dérivé de ses propres jouets. On voyait déjà poindre le début d'une mutation, l'œuvre cinématographique se mettant au service du marketing et non l'inverse. Quant au clou, George Lucas l'enfonce définitivement lors de la préproduction du Retour du Jedi, qui le voit renoncer au revirement majeur du scénario - la mort de Han Solo, qui achevait ainsi sa mutation de bad boy égoïste à héros sacrificiel - pour l'unique raison que les revenus assurés par les ventes de sa figurine n'autorisent plus une telle prise de risque.

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Kenner, la société fabriquant les jouets Star Wars en 1977, a l'idée de fournir ce bon de commande pour faire patienter les enfants face à l'inévitable rupture de stocks.

Le coproducteur Gary Kurtz, présent aux côtés de Lucas depuis American Graffiti en 1973, n'apprécie guère cette concession de trop au business et déplore l'abandon d'un choix artistique validé depuis longtemps. Si bien qu'il quitte le navire, laissant de fait Lucas libre d'aller encore plus loin : avec les Ewoks, gentils oursons remplaçant au pied-levé les monstres initialement prévus, il franchit une nouvelle étape. Cette fois, c'est carrément une donnée stylistique du film qui est adoptée afin de vendre des peluches à un nouveau public, celui des maternelles. Qu'on le veuille ou non, la saga Star Wars s'est métamorphosée en « toy story »...

Le réveil du culte

Trente-deux ans plus tard, Star Wars : Le Réveil de la Force ne se contente pas d'inaugurer la troisième trilogie de la licence Star Wars, il réactive les figures iconiques popularisées par George Lucas et que la prélogie n'avait pas réussi à faire oublier. Ni Anakin, ni le jeune Obi-Wan, ni Padmé, encore moins Jar-Jar, n'ont éclipsé Luke et ses compagnons rebelles, idem du côté des méchants. Pire, ou mieux, c'est selon, la manière agressive dont Lucas a revisité la série initiale en la caviardant d'images de synthèse et de nouveaux doublages pour renforcer la continuité avec ses préquelles controversées a provoqué une levée de bouclier, ravivant la passion des fans pour les idoles de départ, revendiquées plus que jamais comme les seules détentrices de l'esprit Star Wars.

Disney, qui a racheté Lucasfilm en 2012, le sait pertinemment et mise toute sa communication sur ce retour aux sources, n'hésitant pas au passage à repousser les offres de collaboration de Lucas pour mieux se faire l'écho du ressentiment des aficionados à l'encontre de l'homme pourtant à l'origine du mythe. Mais au fait, ce come-back, pour raconter quoi ? Il s'avère progressivement que l'essentiel n'est pas là, il réside plutôt dans la satisfaction du fétichisme collectif portant sur les Faucon Millenium, X-Wings, Chasseurs TIE, Destroyers Stellaires, monstres en tous genres, panoplies intactes de nos héros... Bref, le culte s'est cristallisé pour toujours autour de silhouettes et d'objets qui se sont depuis longtemps affranchis de leur support filmique grâce aux produits dérivés et surtout, aux jouets et figurines, devenus l'essence de Star Wars.

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Si vous n'avez pas eu la patience d'amasser la collection complète des figurines vintage, achetez tout simplement celle d'un autre sur le net.

Phénomène d'autant plus prégnant pour le jeune public, qui a plus souvent manipulé son propre sabre laser en plastique chez lui ou à la Jedi Academy de Disneyland, qu'il n'a vu et revu en boucle l'usage que Luke en faisait au cinéma. Le réalisateur J. J. Abrams avait beau en rajouter sur le secret autour du tournage, faisant monter le buzz autour des fameux « twists » scénaristiques, son pari était gagné à la seconde où la première bande-annonce dévoilait tout le catalogue de vaisseaux, gadgets, bruitages et musiques attendus, un cahier des charges autosuffisant qui ne racontait en réalité qu'une seule chose : ce 7e Star Wars allait être le reflet exact du monde imaginaire qui tournait dans nos têtes depuis des décennies... celui entretenu et incarné par les jouets ! Tant il est vrai que c'est bien grâce à eux que l'impact culturel de la première trilogie a été décuplé et a pu irradier dans le monde entier tout en maintenant son aura pendant si longtemps.

Un signe qui ne trompe pas : dans les ventes aux enchères consacrées aux jouets d'antan, ceux qui ont été écoulés à l'occasion des trois films de 1977, 1980 et 1983 s'arrachent à prix d'or, à condition bien sûr d'être toujours dans leur emballage d'origine. En 2013, un masque de Chewbacca est parti à 172 000 dollars, tandis qu'un lot de sept figurines de l'Empire Contre-attaque, contenues dans la même boîte, et distribué seulement par la chaîne de magasins Sears (avec un personnage en exemplaire unique) a atteint les 35 000 dollars devant un commissaire-priseur en décembre 2015. Si l'anecdote est importante, c'est qu'elle est porteuse d'une idée forte : ces figurines d'époque, synonymes du Star Wars qu'on aime, sont inaccessibles car trop chères. Heureusement, voilà toute une batterie de nouveaux jouets (presque) identiques et à prix raisonnable pour les remplacer. Et c'est précisément de cela que parle, en creux, le scénario de Star Wars : Le Réveil de la Force.

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Le célèbre AT-AT de l'Empire Contre-Attaque n'est plus qu'une ruine : normal, il est le temps de le remplacer par la nouvelle gamme.

Des héros aussi fans que nous (spoilers)

Dans le film d'Abrams, la jeune Rey est une pilleuse d'épaves qui se faufile dans les vestiges de quadripodes AT-AT ou de Destroyer impériaux afin de ramener quelques babioles à monnayer au marché noir. Significativement, elle n'est pas encore impliquée dans les événements du nouveau film - qui opposent la Résistance au Premier Ordre - mais vit a contrario dans un univers uniquement composé d'éléments faisant référence à la trilogie d'origine.

Rey est tout simplement l'alter-ego du fan nostalgique : elle évolue symboliquement à l'intérieur de notre mémoire d'enfance, et récupère les souvenirs comme le ferait un collectionneur de base. Rappelons, à ce titre, que deux fans ont déterré il y a quelques années, dans le désert tunisien servant de décor à Tatooine, un fragment du squelette du dragon Krayt en polyester utilisé comme monture par un Stormtrooper dans Un Nouvel Espoir, pièce par la suite mise aux enchères !

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Dans Le Réveil de la Force, les méchants partagent avec le spectateur le même culte pour Dark Vador, ça crée des liens.

Alors si Rey est notre représentante dans la fiction, les vestiges qu'elle explore ont eux aussi une valeur allégorique : ils renvoient à nos vieilles figurines, abîmées ou cassées, qui prennent la poussière à la cave, ces objets trop rétro qui nous rappellent surtout que nous avons vieilli. « Toi qui aime Star Wars - semble nous dire J. J. Abrams - délaisse tes anciens jouets et préfère plutôt les nouveaux, ce sont les mêmes en mieux ». De fait, le film met par la suite en scène des engins (chasseurs TIE, Destroyers etc) ressemblant très fortement à ceux de nos jeunes années, mais avec un style légèrement amélioré, un profil un peu modernisé. Une mise en abyme qui souligne l'ambition réelle du film : raconter la renaissance du mythe Star Wars au travers de son merchandising.

On remarque d'ailleurs que les personnages eux-mêmes sont tous fans des premiers films : Rey et Finn jubilent à la seule évocation du nom de Luke Skywalker, le méchant Kylo Ren se rêve en émule de Darth Vader, le Premier Ordre copie l'Etoile Noire de l'Empire (en la baptisant Starkiller, en référence « cinéphilique » au premier nom de Luke) et ainsi de suite. Le Réveil de la Force se soucie donc moins de continuité narrative que de fétichisme à l'état brut et on peut pousser la réflexion jusqu'à émettre l'hypothèse que toutes ses séquences, ou presque, mettent en scène des jouets et non des personnages. Voir ainsi Han Solo utiliser l'arbalète de Chewbacca, les rebelles piloter un chasseur TIE, un non jedi manier le sabre laser, entendre un autre non jedi affirmer qu'il connaît la Force, tout cela participe de la même logique que celle d'un enfant qui s'amuse à se raconter ses propres aventures en donnant à un héros l'équipement d'un autre, en lui attribuant un rôle qui n'est pas le sien, au gré de son imaginaire.

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Les incroyables figurines réalistes de la société Hot Toys recréent fidèlement des scènes du film, mais permettent aussi de se faire son propre film. Quel impact sur Star Wars 8 ?

Le symbole a pris le dessus sur sa signification et la figurine est devenue le guide narratif de son modèle en chair et en os. La boucle de Lucas a été bouclée par Disney. Paradoxalement, il n'est pas certain que cette approche se justifie uniquement par la seule volonté d'assurer la promotion de produits dérivés qui, de toute façon, sont sortis avant le long-métrage. Il s'agit plus simplement d'entrer en résonance immédiate avec un public qui, à son corps défendant, est depuis longtemps façonné par la culture du marketing. Les spectateurs ont changé, les films aussi...
Denis Brusseaux
Par Denis Brusseaux

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