Batman pourrait-il vraiment exister dans la réalité ?

Denis Brusseaux
Publié le 22 mars 2016 à 10h43
Alors qu'il s'apprête à en découdre avec l'Homme d'Acier dans Batman v Superman (Zack Snyder, 2016), sorti sur les écrans le 23 mars, nous nous sommes demandés si l'existence du justicier de Gotham - sans doute l'un des super-héros les plus crédibles jamais imaginé, notamment du fait de son absence de super-pouvoirs - était envisageable dans le monde réel.

Si la question se pose moins pour l'extraterrestre Kal-El, alias Superman, on peut se demander si un personnage tel que Batman pourrait exister dans la vraie vie. Pour certains, le justicier de Gotham n'est finalement qu'un geek surentraîné avec énormément d'argent pour s'acheter tous les gadgets nécessaires à sa lutte contre le crime. Mais en réalité ? On fait le point en 10 questions fondamentales.

Le costume effraie-t-il vraiment les voyous ?

Outre son utilité pour dissimuler les traits du justicier et éviter les représailles sur lui-même ou ses proches, le costume de Batman est souvent décrit dans les comics et au cinéma comme une arme psychologique à part entière. Sa couleur sombre l'aide à se confondre avec l'obscurité et génère un stress lié à une relative invisibilité, tandis que l'aspect général - inspiré d'un animal qu'on relie parfois au mythe du vampire - lui donne une aura fantastique et effrayante. Mais ça, c'est la théorie !

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Batman n'a jamais été incarné par des spécialistes de l'action bourrine, comme pour mieux souligner qu'il appartient aussi à la société civile

En pratique, on peut légitimement se demander si un homme vêtu d'une longue cape encombrante et d'une cagoule surmontée d'oreilles pointues n'aurait pas plutôt tendance à faire rire ses ennemis, au lieu de les pétrifier de peur. Cette méthode a pourtant des précédents, dont les plus pertinents, en provenance du Japon. Ainsi, l'armure des samouraïs se complétait souvent d'un Menpo, c'est-à-dire d'un masque de protection en fer ou en cuir, recouvrant tout ou partie du visage. Généralement, ces masques prenaient la forme de visages maléfiques et grimaçants, inspirés des Kami, c'est-à-dire des esprits de la nature dont le style évoque celui de nos démons occidentaux. Quant à l'habit intégralement noir, c'était l'atout-maître des ninjas, assassins qu'on ne présente plus et dont l'aptitude à frapper en surgissant de nulle part générait la terreur de leurs ennemis.

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Cornes, visage grimaçant... Les samouraïs étaient de grands guerriers, mais ils ne négligeaient pas l'arme psychologique.

Oui, mais - rétorqueront les sceptiques - ce qui faisait peur à l'ère féodale fonctionne-t-il encore de nos jours ? Bien sûr, le déguisement de Batman, vu en plein jour, donnera l'impression de sortir d'une boutique de farces et attrapes et fera tout juste détaler les voleurs de sacs à main. On peut douter de son efficacité sur des criminels très déterminés. Mais n'oublions pas que Batman joue beaucoup sur l'ambiance et l'effet de surprise, et qu'une apparition nocturne bien minutée est susceptible de donner l'avantage. Après quoi il faudra frapper fort...

Pourcentage de crédibilité : 70%

Peut-on garder une identité secrète ?

Cette question est au cœur de la plupart des récits de super-héros et on comprend facilement pourquoi : un justicier dont l'identité est connue risque de subir des représailles à l'encontre de ses proches, mais aussi d'être tout simplement entravé dans son action (médias, police, contrôle fiscal...). Le meilleur moyen de la préserver est encore d'agir à visage couvert, problématique que partagent, dans la vie réelle, les membres des forces d'intervention de type RAID (police) ou GIGN (armée), toujours cagoulés par mesure de sécurité.

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Les unités spécialisées dans l'intervention ont le culte du secret, avant tout pour leur propre sécurité.

Mais est-ce suffisant ? Imaginons un seul instant qu'un « vigilante » comme Batman se taille une solide réputation auprès des médias après une série de coups d'éclat, au point d'être pris très au sérieux. Il y a fort à parier pour que la course au scoop entre chaînes d'information continue et autres tabloïds, combinée à la profusion des smartphones équipés d'appareils photo, aient vite raison du secret de notre héros. Un « vrai » Batman se verra donc contraint de porter un masque intégral, de ne jamais parler (le coup de la voix rauque, ça ne trompera pas les logiciels de reconnaissance vocale) et d'éviter toute apparition publique. Contraignant, certes, mais susceptible d'accentuer son aura énigmatique.

Pourcentage de crédibilité : 60%

Milliardaire, ça laisse du temps libre ?

En poussant à fond l'hypothèse d'un Batman s'enracinant dans le monde réel, il faut aussi considérer son autre versant, Bruce Wayne. Etre milliardaire s'avère bien sûr un atout pour s'offrir les gadgets high-tech du justicier, mais cette figure publique est aussi très envahissante quand il s'agit de se libérer toutes les nuits afin d'empêcher crimes et délits. Cette question peut sembler triviale, mais elle est cruciale : si à chaque fois que le héros fait une sortie, son alter-ego décommande un rendez-vous galant, une soirée huppée ou une inauguration, le rapprochement sera automatique.

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Richard Branson, patron de Virgin, sur son île privée : ça laisse peu de temps pour patrouiller dans les rues...

Alors que faire ? Trop jeune pour se retirer des affaires comme Bill Gates, notre milliardaire/justicier ne peut pas non plus prendre le prétexte d'un week-end sur son île privée comme Richard Branson (trop facile à vérifier). La meilleure solution consistera à se forger, avec le temps, une image acceptée par tous et compatible avec la rareté médiatique : artiste amateur souvent reclus, collectionneur de tableaux aimant se retirer pour méditer au milieu des toiles, amoureux de la chasse ou de la pêche (sans sortir de son immense propriété, bien sûr). Les solutions sont peu glamour, mais elles ne manquent pas...

Pourcentage de crédibilité : 60 %

Ne jamais tuer : une gageure ?

Un vrai héros ne doit pas s'abaisser à employer les mêmes méthodes que ses ennemis : plus ces derniers sont brutaux, plus il doit s'interdire le recours à une violence gratuite. Dans le cas de Batman, cela va encore plus loin : pétri d'un code de l'honneur en acier trempé, il se refuse à tuer, sans que cette règle ne souffre la moindre exception. Et pourtant, les tentations furent nombreuses, notamment lorsque Robin fut massacré par le Joker...

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Dans Dark Knight, Frank Miller imagine que, de guerre lasse, Batman met enfin un terme à la vie du Joker. Brillant, mais grosse entorse au personnage !

Dans la réalité, un « vrai » Batman se heurterait ici à un véritable défi, car face à des criminels nombreux, armés et sans aucune limite, les principes moraux du personnage se mueraient en handicaps. Soyons clair, il est rigoureusement impossible de neutraliser plusieurs adversaires relevant du crime organisé (on ne parle pas ici d'une bagarre de rue) en agissant seul et à mains nues, il suffit de se remémorer l'effroyable fusillade qui a conduit à l'arrestation de Joaquin « El Chapo » Guzman, chef du cartel de Sinaloa, pour s'en convaincre. Et c'est sans doute là que Batman se rattache par nature à la fiction super-héroïque, sa force et ses réflexes dépassant de loin ce dont serait capable n'importe quel champion de Mixed Martial Art. Précisons également que les techniques de combat rapprochées les plus semblables à celles de Batman, telles que le Krav Maga ou le Kali Arnis Eskrima (qui privilégie l'emploi d'armes de contact) s'avèrent la plupart du temps mortelles si utilisées en dehors de la simple self-defense. Et sous l'effet du stress, même un combattant entraîné aura du mal à retenir la force de ses coups s'il se bat pour sa vie.

Pourcentage de crédibilité : 30%

Quelle mobilité avec une armure ?

La question est un peu un cliché quand il s'agit de Batman, mais il convient de la soulever si l'on s'interroge sur la possibilité de rencontrer son équivalent dans notre quotidien. En effet, Batman porte un costume qui, au fil du temps, est passé du simple collant à l'armure anti-balle. Celle que l'on voit dans les films est si enveloppante, épaisse et bardée de technologie, qu'elle semble aussi lourde et peu maniable qu'une armure du Moyen Âge. Cet équipement est inenvisageable en vrai, tant il empêcherait notre justicier de courir, de se battre, de sauter, ou d'utiliser son fameux grappin.

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Évidemment, rien ne vaut une tenue de protection pour le déminage, mais elle pèse 30 kilos : pas très pratique pour le close-combat.

A l'heure actuelle, la protection pare-balle intégrale n'existe pas, les gilets les plus résistants (Type IV en céramique, capable de stopper les calibres 5.56 et 7.62) se limitant au torse et à la partie supérieure des cuisses. Mais on peut imaginer qu'un justicier fortuné soit capable de se faire développer sur-mesure une tenue moulante et légère, à base de nouvelles composantes comme des nanotubes de carbone ou un liquide non-Newtonien appelé STF (Shear-Thickening Fluid), actuellement à l'étude chez l'institut polonais Moratex et qui réduit la déformation sous l'impact de 4 cm de profondeur à 1 cm. La réalité dépasserait-elle la fiction ?

Pourcentage de crédibilité : 40%

Gotham City : ville ou pays ?

Dans le monde de Batman, et quel que soit le niveau d'alerte déclenché par les attaques des supervillains (qui, par certains aspects, ressemblent souvent à des terroristes, cf. les gaz mortels utilisés par le Joker ou l'épouvantail), les autorités municipales semblent ne jamais tomber sous la tutelle de l'État et ce, alors même que toutes les conditions de la loi martiale sont réunies. Avec son taux de criminalité affolant, ses psychopathes hyper-médiatisés, son justicier dont les actes soulignent l'impuissance de la police, Gotham City est une ville en crise maximale, dont le niveau d'insécurité semble avoisiner celui d'une ville d'Amérique du Sud tombée sous la coupe de narcotrafiquants.

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Simple ville en apparence, Gotham City concentre sur elle tous les maux d'une société : en réalité, il y aurait un peu plus de temps mort...

Et d'ailleurs, comment justifier une telle centralisation de criminels qui - tous - figureraient en réalité sur la liste des Most Wanted du FBI, de même que leur concentration, dans le même établissement pénitentiaire (l'Asile d'Arkham), quand la logique serait de les ventiler dans toutes les prisons de haute sécurité du pays. N'en jetons plus, car l'explication est finalement assez simple : métaphore d'une Amérique gangrenée par sa violence, Gotham City n'est pas une ville à proprement parler mais un mini-État, un pays en version réduite. Ce qui laisse penser qu'en aucun cas notre « vrai » Batman n'aurait autant de pain sur la planche s'il se contentait d'œuvrer dans une agglomération de taille moyenne. Mais soyons clair, il serait quand même très occupé !

Pourcentage de crédibilité : 50%

Quel diagnostic, docteur ?

Bruce Wayne, l'homme derrière le masque de Batman, présente une personnalité pour le moins complexe, que les auteurs des comics n'hésitent pas à montrer sous les angles les plus pathologiques. D'ailleurs, les articles de presse qui s'amusent à consulter tel ou tel psy pour établir le profil psychologique de Batman ne se comptent plus. Et les diagnostics les plus alarmants s'accumulent : trouble dissociatif de l'identité, dépression, stress post-traumatique, personnalité antisociale, trouble obsessionnel compulsif.

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Lutter contre le crime devient difficile avec une camisole de force : mieux vaut un justicier à peu près sain d'esprit.

Ces « problèmes » justifient aussi bien son dévouement quasi-monastique à sa croisade anti-crime, que son étrange relation avec les fous furieux qu'il combat, et qui rêvent de le voir les rejoindre à l'Asile d'Arkham. La question ici est simple : un homme souffrant de tous ces maux pourrait-il, en réalité, être assez structuré pour devenir quand même Batman ? Il est permis d'en douter. Si la fiction interprète souvent les troubles mentaux comme des déclencheurs de l'action, dans la vraie vie, ils sont plutôt des freins à celle-ci. D'où notre conviction qu'il ne vaut mieux pas relever de la psychiatrie lourde pour endosser le costume de l'homme chauve-souris. Même si une large dose de psychorigidité semble indispensable...

Pourcentage de crédibilité : 45%

Le Joker, un criminel plausible ?

Qui dit héros, dit méchant à la hauteur, et de ce point de vue, Batman est particulièrement gâté. Dans la réalité, pourrait-il tomber nez-à-nez avec un équivalent du Joker ? Bizarrement, ce dernier est bien plus plausible que Batman lui-même, dans la mesure où ses actes sont plus en rapport avec ses troubles mentaux. Son sadisme, son goût pour les mises en scène macabres, les armes perverses, la violence gratuite, renvoient aussi bien à certains tueurs en série du XXe siècle (en particulier Ted Bundy, dont le cursus politique le rapproche aussi de Double-Face/Harvey Dent) qu'aux exactions de super-criminels (entendez par là ceux qui fondent leur action sur une recherche constante de l'excès, de préférence médiatisée) comme les cartels mexicains ou les groupes djihadistes.

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Ted Bundy, tueur en série américain deux fois évadé et finalement exécuté en 1989, dépasse l'entendement de l'homme de la rue, comme le Joker...

L'autre versant du personnage, à savoir un esprit assez facétieux le poussant à jouer avec la police et l'opinion publique, peut évoquer (toute proportion gardée) un hors-la-loi comme Jacques Mesrine, chez qui la passion pour sa propre notoriété finit par dépasser ses priorités de braqueur en cavale. En mixant ces profils et quelques autres, on obtient un portrait assez proche du Joker...

Pourcentage de crédibilité : 80%

Police et « vigilantisme » : une alliance possible ?

S'il est une scène emblématique du mythe de Batman, c'est bien sûr la sempiternelle rencontre entre notre justicier masqué et le commissaire Gordon, sur un toit et en pleine nuit. L'image symbolise, dans la fiction, la nécessaire entente entre deux formes de justice, l'une officielle et soumises à certaines règles légales, l'autre officieuse et régie uniquement par ses codes moraux. Une belle idée, certes, mais qui paraît totalement impensable dans la réalité. Un policier de haut rang comme Gordon, en s'en remettant à Batman, ferait de facto le constat de l'incapacité totale des institutions à protéger le citoyen ; cela devrait même le dissuader de tenter l'expérience, ne serait-ce que par fierté professionnelle.

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Pour la police, faire appel à un « vigilante » hors-la-loi reviendrait à abdiquer toute autorité : ce serait la fin des haricots.

A la seconde où cette collusion serait connue - à plus forte raison si Gordon emploie un projecteur géant comme dans les comics - c'est toute la machine politique qui s'effondrerait, entraînant peut-être des émeutes en réaction à cette forme de trahison du contrat social (eh oui, à quoi servent les impôts, alors ?). S'il n'est pas impossible que dans l'avenir, l'ordre soit en partie délégué à des sociétés de sécurité privées, celles-ci ne se substitueront pas à la police. Alors que Batman, clairement, prend la relève d'une maréchaussée dépassée. On peut poser le problème autrement : un Batman peut-il apparaître demain dans votre quartier, même mal famé ? A priori, non, car le personnage est intrinsèquement lié aux situations d'alerte maximale, de quasi-guerre civile.

Pourcentage de crédibilité : 10%

L'expérience a-t-elle déjà été tentée ?

Oui, mais non. Les quelques deux cents hommes et femmes en costumes de super-héros qui patrouillent vraiment dans leurs villes respectives, principalement aux USA, au Canada et en Angleterre, sont surtout des bénévoles donnant un coup de main aux SDF (en distribuant couvertures et nourriture) tout en mettant en fuite quelques ivrognes et autres voleurs de voiture. Méritoire, mais assez anecdotique.

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On se croirait dans Civil War : Phoenix Jones, accusé d'agression (au gaz-poivre !), est contraint de se démasquer en plein procès (2011). Puis il révèle son identité secrète à un parterre de journalistes...

Le plus crédible en la matière, et aussi le plus célèbre, est Phoenix Jones, le « gardien » de Seattle. Il s'est confectionné une jolie armure venant recouvrir un vrai gilet pare-balles, il a fait du MMA en professionnel, son look est digne d'un comics et il fait même partie d'un mouvement, les Real Life Super-Heroes (RLSH), au sein duquel œuvrent des avocats chargés de veiller à ce que nos justiciers n'enfreignent jamais la Loi. Son titre de gloire ? Avoir empêché un meurtre de justesse, en 2015, et arrêté lui-même les trois agresseurs. Tout cela s'est fait avec une grande prudence, bien sûr, mais les quelques vidéos montrant Phoenix Jones intervenir dans une émeute, tandis que des policiers casqués couvrent ses arrières, activent forcément chez le fan de comics un réflexe conditionné, le forçant à esquisser un sourire de plaisir. C'est un début...

Pourcentage de crédibilité : 50 %

Conclusion

Avec un pourcentage de crédibilité total de 50%, on peut dire que Batman a d'ores et déjà un pied dans la réalité. Faut-il pour autant espérer voir un jour un clone du Caped Crusader sévir dans une grande ville gangrenée par l'ultra-violence ? L'idée peut séduire, mais le mieux reste encore que les forces de l'ordre fassent leur travail pour éviter d'en arriver là...

Pourcentage total de crédibilité : 50%

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