Hardcore Henry : quand le cinéma s'inspire un peu trop du jeu vidéo

Audrey Oeillet
Publié le 12 avril 2016 à 12h07
Dans les salles le 13 avril, Hardcore Henry pousse à l'extrême l'usage de la caméra subjective au cinéma, en s'inspirant ouvertement du genre vidéoludique du FPS. Un ovni cinématographique qui nécessite d'avoir le coeur bien accroché, pour de multiples raisons.

Mort d'une manière aussi violente que mystérieuse, le dénommé Henry se réveille dans un laboratoire, aucun souvenir de sa vie passée. Face à lui, Estelle, une scientifique qui lui explique être son épouse, et qui a fait de lui un cyborg pour le ramener à la vie. A peine les retrouvailles terminées qu'Estelle se fait kidnapper par Akan, un méchant pas très net doté d'étranges pouvoir. Henry part immédiatement à sa poursuite, et ne recule devant aucun carnage pour accomplir sa mission.

L'histoire de Hardcore Henry tient sur un timbre-poste et pourrait être celle de n'importe quel film d'action de série B, du genre de ceux qu'on regarde en avalant du pop-corn entre amis. Seulement, la différence avec ce film, c'est que vos amis les plus sensibles au motion sickness ne garderont peut-être pas très longtemps leurs pop-corn dans leur estomac. Car Hardcore Henry est entièrement filmé en vue subjective.

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Henry se transforme en cyborg dès le début du film.

J'entends d'ici les cinéphiles avertis crier au loup : des films tournés en vue subjective, il y en a déjà eu, et même beaucoup. Le début des années 2000 a notamment vu l'avènement du genre du found footage, avec des films comme Blair Witch, Cloverfield et autres REC. Mais la vue subjective se faisait la plupart du temps à travers une caméra ballottée par un personnage, en train de filmer l'action en direct.

Hardcore Henry est d'un genre différent : on voit la totalité du film à travers les yeux du personnage, mi-homme, mi-machine. La justification de ce point de vue se fait à ce niveau-là : une caméra implantée dans sa rétine. Résultat : Henry ne porte pas de caméra, il a les mains libres. Et il s'en sert pour escalader les obstacles, et surtout se battre.

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Le mystérieux Jimmy aide Henry dans sa quête.

Un réalisateur qui connait le sujet

Hardcore Henry est le premier film d'Ilya Naishuller, mais le travail de ce réalisateur russe a pourtant été vu plus de 33 millions de fois. Il est à l'origine du clip de la chanson Bad Motherfucker du groupe Biting Elbows, qui a fait un buzz énorme en 2012. Cinq minutes d'une évasion sanglante, déjà entièrement filmée en caméra subjective.


Bad Motherfucker avait déjà tous les ingrédients de Hardcore Henry : Ilya Naishuller décide de faire fructifier cet essai réussi et lance, en 2014, une campagne de financement participatif sur Indiegogo, en vue de récolter 250 000 dollars pour finaliser la production de son premier film, nommé Hardcore à l'époque. La campagne dévoile une vidéo de 3 minutes, filmée en vue subjective, dans laquelle un personnage est accompagné d'un soldat incarné par l'acteur sud-africain Sharlto Copley (District 9, Elysium, Chappie). Cette scène se retrouve à l'identique dans la version finale de Hardcore Henry, et pour cause : Naishuller avait déjà entièrement tourné son film, et avait besoin d'argent pour la post-production. Outre le soutien des internautes, le réalisateur a également eu une rallonge financière de la part de Timur Bekmambetov, producteur et réalisateur kazakhe (Wanted, Abraham Lincoln chasseur de vampires).

Les codes du FPS décortiqués...

Deux ans plus tard, Hardcore Henry arrive dans les salles françaises, après avoir écumé les festivals, dont le prestigieux South by Southwest. D'une durée d'1h30, le film d'Ilya Naishuller a tout de l'ovni cinématographique, et s'adresse principalement aux joueurs amateurs de FPS (first person shooter) à la Call of Duty, Wolfenstein et autres titres de ce style. Rempli de références à ce genre vidéoludique, le film multiplie les poursuites en voiture, les gunfights particulièrement violent, et des scènes de parkour qui ne sont pas sans rappeler Mirror's Edge. « Je voulais rendre hommage à des jeux comme Half-Life, sans pour autant être dans la parodie » explique notamment le réalisateur, qui s'est refusé à glisser de trop évidentes références à des jeux spécifiques.

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Le film n'épargne aucune scène au spectateur.

Les scènes d'action, qui s'apparenteraient dans un jeu vidéo aux phases de gameplay, sont entrecoupées avec des scènes plus posées, qui font clairement valeur de repos cinématique. Dans ces moments, Sharlto Copley prend le pouvoir et porte à lui seul une bonne partie de l'intérêt du film. Car s'il cumule les références malignes, Hardcore Henry n'en reste pas moins faiblard côté scénario et la moindre interprétation réussie sort forcément du lot. D'ailleurs, on vous recommande chaudement de voir le film en version originale sous-titré, l'acteur sud-Africain s'en donnant à coeur joie niveau accents, et le film mélangeant de nombreuses langues - il a largement été tourné en Russie.

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Banzaï ?

Et en parlant de dialogue, il est intéressant de constater qu'à aucun moment, le personnage d'Henry ne parle. Le scénario justifie très tôt cette situation. Pour Ilya Naishuller, c'était également la condition sine qua non pour que le film fonctionne, et que le spectateur s'y identifie... comme pour un jeu vidéo. Autre détail troublant : aucun nom n'est crédité pour Henry au générique. Comme si le personnage principal n'était autre que le spectateur... En réalité, ce sont plusieurs cascadeurs qui se sont relayés selon les phases de tournage.

... pour un hommage vomitif ?

Hardcore Henry est un film totalement délirant, qui détourne les codes du FPS pour les exploiter dans une course haletante et très violente. Rien que pour ça, ce long-métrage n'est pas destiné à tous les publics. Mais il y a un point plus important qui concerne le potentiel mal de mer - ou carrément motion sickness - que l'on peut probablement ressentir en le visionnant.

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La course-poursuite est l'une des scènes qui bouge le plus.

Les premiers médias et spectateurs américains ont rapidement mis cette possibilité en évidence, parlant notamment de film capable de « tester la robustesse des estomacs ». Sur Reddit, les spectateurs sont du même avis, et nombreux sont ceux qui ont dû rapidement quitter la salle, pris d'un mal de mer.

L'éventuelle nausée ressentie dans le film est purement subjective et dépend de la sensibilité de chacun. Il est certain que si un film comme Cloverfield vous donne le mal de mer, ou que vous êtes réceptifs aux mouvements dans les jeux vidéo, vous n'apprécierez pas forcément le voyage. D'un point de vue plus objectif, on peut dire que certaines scènes de Hardcore Henry sont difficiles à « lire », la caméra bougeant tellement que l'action est parfois compliquée à comprendre. Ilya Naishuller a eu beau optimiser au mieux la prise de vue durant le tournage - le cascadeur porte un casque équipé de deux GoPro fixées au niveau de la bouche - il essuie assurément les plâtres de son audace. Et encore, face à certaines scènes, on se dit que la chose aurait pu être encore pire, et que la post-production n'a pas toujours dû être simple.

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Le tournage du film devrait être très particulier.

Le résultat donne un film curieux qu'il vaut mieux aller voir en connaissance de cause. Pas foncièrement mauvais mais pas du grand cinéma non plus, le film de Naishuller mise sa principale originalité sur ce qui peut se transformer en défaut majeur selon la personne qui le visionne. Il faut en tout cas s'attendre à voir débarquer d'autres films basés sur l'inspiration FPS : ce sera notamment le cas de Pandemic, qui sortira quant à lui directement en DVD, Blu-ray et VOD le 25 mai prochain.

Audrey Oeillet
Par Audrey Oeillet

Journaliste mais geekette avant tout, je m'intéresse aussi bien à la dernière tablette innovante qu'aux réseaux sociaux, aux offres mobiles, aux périphériques gamers ou encore aux livres électroniques, sans oublier les gadgets et autres actualités insolites liées à l'univers du hi-tech. Et comme il n'y a pas que les z'Internets dans la vie, j'aime aussi les jeux vidéo, les comics, la littérature SF, les séries télé et les chats. Et les poneys, évidemment.

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