Le Montpellierain est l’un des streamers les plus populaires et les plus doués de sa génération. Et il serait bien trop réducteur de le cantonner à cette seule activité. ZeratoR, ce n’est pas que du stream, et il nous le montre dans une interview exclusive.

Quelques chiffres peuvent aider à se faire une idée de l'impact d'Adrien Nougaret, alias ZeratoR, dans le monde du jeu vidéo et du stream français aujourd'hui. À seulement 30 ans, l'Héraultais totalise 920 000 abonnés sur Twitch, 720 000 sur YouTube, 680 000 sur Twitter et 130 000 sur Facebook. Si nous sommes allés à la rencontre de ZeratoR, c'est d'abord pour parler du jeu As Far As The Eye (AFATE), sorti des bureaux de son propre studio, Unexpected, basé dans sa ville natale, Montpellier.

Mais outre AFATE et le studio, nous sommes revenus, au cours de cette interview, sur le parcours de celui qui a fait de la Trackmania Cup et du Z Event des événements incontournables. Nous avons également évoqué l'importance de le musique dans le jeu vidéo, des modèles de distribution du jeu vidéo, notamment incarné par les plateformes Steam ou Epic Games Store, ainsi que les attentes et les doutes autour de la PS5 et des Xbox Series.

ZeratoR (© Alexandre Boero / ZeratoR)
ZeratoR (© Alexandre Boero / ZeratoR)

L'aventure As Far As The Eye

Clubic : As Far As The Eye, c’est un jeu de gestion au tour par tour, pimenté à la sauce roguelike. Le principe, c'est de faire vivre une tribu, composée de nomades qu'on appelle les Pupilles, des pacifiques qui doivent atteindre l'Œil tout en évitant la vague qui menace de submerger la région. Question un peu bateau : comment est né As Far As The Eye ?

ZeratoR : Unexpected, le studio lui-même, a bientôt 5 ans. Nous sommes passés par plusieurs phases, plusieurs projets, plusieurs tailles d’équipe, et en faisant un premier projet trop gros pour nous et pour nos ambitions, on a réalisé qu’il fallait faire des jeux plus à l’image de la taille de notre studio et à l’image de ce qu’on aime et de ce à quoi on avait envie de jouer tout en restant simples.

Notre premier projet, dWARf, était un jeu en 3D sur un launcheur qui n’était ni Steam ni Epic. Nous avons essayé de faire toutes les erreurs en même temps d’un jeu vidéo. C’était un party game sur PC, un genre qui n’est pas très joué finalement, comme un Mario Party sur PC mais sans le plateau, juste avec des mini-jeux. C’était une usine à gaz, un truc assez complexe, mais l’avantage, c’est que même si ce fut un échec commercial, ça a été un succès personnel et très formateur pour les équipes. Elles ont appris à évoluer ensemble et à construire une très belle équipe qui, aujourd’hui, a pu faire As Far As The Eye. On l’a fait après l’échec commercial de dWARf et la fermeture des serveurs. Dès le début, avec une première réunion de brainstorming, nous avions testé plusieurs choses, et c’est comme ça qu’est né le jeu.

"As Far As The Eye, c'est un an et demi de développement"

Nouvelle question bateau, tu vois, on démarre fort, j’ai envie de te poser une question un peu ironique. ZeratoR, ne serait-ce pas, un peu, le jeu de la maturité ?

(Rires) De la maturité du studio, oui, je pense. On a vécu une enfance et une adolescence assez tumultueuses avec nos premiers projets qui n’ont pas été des succès. En vérité, une fois la maturité du studio atteinte, on a réussi à se fixer comme objectif de faire un jeu réaliste pour la dimension du studio. As Far As The Eye, c’est un an et demi de développement, c’est autant que dWARf, ce qui est assez rigolo d’ailleurs quand on y pense.

L’exploitation du jeu a plutôt bien démarré, il me semble ?

Oui, tout à fait. On a eu la chance de monter dans le top ventes Steam France le jour de sa sortie, le jeudi 10 septembre, jusqu’au dimanche. Le jeudi et le vendredi, nous étions en top ventes monde, dans le top 10. On ne pensait pas rentrer dans le top ventes monde, même si on savait qu’avec la puissance des réseaux, ZeratoR etc., le démarrage serait pas si mal. Le problème, c’est de réussir à transformer l’essai. Le plus difficile pour un jeu streamé n’est pas de démarrer, mais de se maintenir. On ne savait pas comment ça allait se passer les premiers jours. Puis finalement, c’est un tremplin qui a bien fonctionné et qui a permis de rentabiliser la production du jeu. Le jeu a remboursé sa production, on a touché notre premier euro au quatrième jour des ventes du jeu, ce qui est un gros succès pour nous. On s’attendait à le rentabiliser en six mois, un an même. À partir de maintenant, il n’y a plus la promo, on n’est plus dans le top ventes. La courbe redescend, donc on reste lucides là-dessus.

En parlant de promo, As Far As The Eye est disponible depuis le 10 septembre, sur Steam, Epic Games Store et GOG au prix de 20,99 euros. Et puis détail intéressant : le jeu ne pèse que 2 Go, c’est très léger, et même avec une connexion très moyenne, il n'est pas nécessaire d'attendre 8 jours pour le télécharger.

C’est tout petit oui ! Le jeu "tourne sur une charrette" comme on dit mes viewers, il tourne sur de petites machines, même si on n’a pas pour l’instant de version Mac et Linux. C’est compliqué pour un petit studio de faire du portage sur diverses plateformes ou d’autres OS, même si c’est quelque chose qu’on est en train de discuter. Mais bon, si vous avez un Mac, vous prenez Bootcamp, vous démarrez Windows, et vous jouez dessus. Faites un effort.

"Le jeu a remboursé sa production. Nous avons touché notre premier euro au quatrième jour des ventes du jeu, ce qui est un gros succès pour nous !"

Il y a des packs supplémentaires aussi proposés à l’achat, comme la bande-son, disponible autour de 8 euros, qui est signée Alexis Laugier. Puisqu’on parlait de Civilization tout à l’heure, c’est un peu ton Christopher Tin à toi. La bande son, on ne se rend pas compte à quel point ça peut être important dans un jeu non ?

Ah oui, tout à fait, surtout dans un jeu comme As Far As The Eye qui est un jeu d’ambiance. En tout cas au premier abord. Il fallait une musique qui colle bien. Tu dis que c’est notre Christopher Tin, je pense qu’Alexis sera honoré du compliment. La bande-son a tout de suite été remarquée par les joueurs. On voulait la vendre, nous, parce que ça permette de le soutenir lui, puisqu’il touche 50% sur toutes les ventes de bande-son. Elle est écoutable sur Spotify également. Quand on a commencé à voir les musiques qui s’intégraient au jeu, on s’est dit que des gens seraient forcément intéressés par la musique. D’où la mise en vente. Aussi…. pourquoi pas pour travailler avec ? Faire du yoga ?

Menu d'accueil de As Far As The Eye (Capture écran Clubic)
Menu d'accueil de As Far As The Eye (Capture écran Clubic)

La musique, c'est évidemment une part très importante du jeu. Je joue toujours aux jeux vidéo avec la musique du jeu. Je sais que ce n’est pas le cas de tout le monde. Mais ça donne vraiment une identité au jeu, je pense évidemment à Civilization, avec une musique par civilisation, mais aussi à Doom, connu pour son sound design, qui explose en termes de son.

En marge de la sortie du jeu, tu as dit un truc que j’ai trouvé marrant, en précisant que, pour toi, ce n’est pas un jeu qui se joue en prime time. À quel moment il est bon de jouer à As Far As The Eye selon toi ?

Je parlais de ça parce qu’il y a beaucoup de streamers très dynamiques qui voulaient jouer dès l’ouverture de leur live, à 19h30. Et je sais qu’on pensait que le jeu est chill (relaxant, ndlr), donc je leur disais que ce n’est pas un jeu que tu testes à 20h pour faire du divertissement. En gros, c’est un jeu calme dans lequel il faut que les gens puissent se poser. Je conseille peut-être d’y jouer le matin, en début d’après-midi ou alors en fin de soirée voire en début de nuit, quand les enfants et même certains adultes sont couchés.

En pleine partie de As Far As The Eye (Capture écran Clubic)

Deux patchs sont sortis déjà, un le 15 septembre, un autre le 18 septembre. Qu’est-ce qu’ils ont pu apporter de nouveau par rapport à la version originale du jeu ?

On a déjà corrigé des bugs, c’est le plus important, même s’il y avait assez peu de bugs au départ. Ensuite, on a fait de l’équilibrage et changé d’avis sur l’appréhension de la difficulté. Quand le jeu est sorti, beaucoup de gens lui reprochaient d’être trop dur et de pas l’avoir fait tester. En fait, si, c’était le cas, mais on était assez satisfaits de la difficulté. On a vu que c’était peut-être trop haut en termes de difficulté pour la plupart des gens qui voulaient tester le jeu. Et dans ce genre de scénario, il y a deux choses : ceux qui recherchent la difficulté et qui sont extrêmement contents, parce que c’est rare de nos jours les jeux difficiles ; et ceux qui pensaient se poser sur un jeu sympa et qui se retrouvent à devoir affronter un jeu de gestion assez profond.

"Je joue toujours aux jeux vidéo avec la musique du jeu. Je sais que ce n’est pas le cas de tout le monde. Mais ça donne vraiment une identité au jeu"

On a fait un patch tout de suite pour insérer des niveaux de difficulté. Certains disaient même que le jeu était buggé, ce qui était frustrant car il fallait passer par l’étape du tutoriel. Mais on ne peut pas blâmer le joueur. Quand c’est répété, on se demande ce qu’on pourrait faire pour aider le ou les joueurs à mieux comprendre. On a réussi à maintenir de la difficulté pour ceux qui cherchaient du challenge, et à faire quelque chose de facile à prendre en main pour les débutants. On l’a aussi et surtout fait parce que la plupart des gens qui jouaient voulaient découvrir le jeu et n’étaient pas forcément à l’aise sur les jeux vidéo.

Unexpected, le studio made in Montpellier

Tu as fondé Unexpected il y a environ 5 ans à Montpellier, où tu es toujours basé. Montpellier qui mine de rien est une terre de gaming… Quel a été le parcours du studio depuis que tu l’as fondé ? Es-tu satisfait de ce qu’il est devenu, ou l’Homme étant assez ambitieux par définition dans la vie, est-ce que tu ambitionnes encore plus pour le studio ?

Quand j’ai fondé Unexpected, en novembre 2015, c’était avec beaucoup d’ambition mais sans avoir une idée de ce que cela pouvait représenter en réel. À la base, nous étions une petite équipe de 3 personnes : une cheffe de projet, un développeur et un graphiste, tous en télétravail. Très vite, on a réalisé que c’était très difficile de travailler à distance, et nous avons monté une équipe à Montpellier l’année suivante, avec des bureaux.

Je suis très content. Financièrement, ce fut très difficile. Le studio a traversé plusieurs phases, au début, c’était presque du mécénat que je faisais moi-même en alimentant le studio. Après, on a réussi à avoir des soutiens, avec le CNC et un éditeur. L’activité ZeratoR a alors moins financé Unexpected. Et pour la première fois dans l’histoire du studio, cinq ans après sa fondation, nous sommes indépendants financièrement. C’est un bol d’air pour les équipes, pour moi aussi.

"Pour la première fois dans l’histoire du studio, cinq ans après sa fondation, nous sommes indépendants financièrement"

Est-ce que j’ai plus d’ambition ? Oui, je suis un éternel insatisfait. On a des choses assez précises en tête sur ce que pourrait devenir Unexpected dans 1, 5, 10 ou 20 ans, sans pour autant mettre la pression à qui que ce soit.

Tu baignes dans le monde du jeu vidéo depuis des années. Mais est-ce que créer des jeux vidéo, c’était un rêve de gosse pour toi, ou est-ce qu’au fur et à mesure de ta vie de streamer ça s’est transformé en opportunité et tu t’es dit un beau jour, "tiens, je veux créer mon propre jeu" ?

Honnêtement, c’était plus une opportunité qu’un rêve de gosse. Quand j’ai monté Unexpected, les gens pensaient que c’était mon rêve. Pas vraiment en fait… Ça m’a toujours passionné bien sûr, mais j’ai toujours préféré jouer que quoi que ce soit d’autre. J’avais aucun talent dans la création de jeu vidéo, même si j’ai fait un peu de level design grâce à Trackmania, j’en ai même fait beaucoup puisque j’ai réalisé que j’avais fait quasiment 500 maps depuis que le jeu existe. J’ai des notions de développement et de graphisme, mais pas du tout de quoi être un professionnel dans le domaine.

On s’est donc retrouvés avec la cheffe de projet du studio actuel, Lauriane. On était en vacances avec des potes et elle, et elle venait de quitter Ubisoft. Je lui demandais, en 2015, ce que ça représentait de créer un jeu vidéo. Dans le même temps, je venais de quitter Eclypsia et j’étais en indépendant depuis 6 ou 7 mois. Elle m’avait répondu qu’on pouvait le faire avec 3 ou 4 personnes. Je lui ai lancé le défi, et elle a pris ça pour un pari fou au début. Mais on a finalement démarré, et nous en sommes là aujourd’hui. Tout est parti d’une simple discussion, un soir, et ça s’est fait comme ça.

"On va organiser une petite compétition sur As Far As The Eye"

Est-ce que le coronavirus bouscule ou a bousculé tes activités ?

Pas vraiment. Chez Unexpected, les gens ont l’habitude d’être assez flexibles. Quand tout le monde est passé en télétravail, la transition fut facile et on n’a pris aucun retard. En fait, on voulait sortir le jeu en janvier, mais on a trouvé l’éditeur à ce moment-là, et celui-ci proposait une rallonge de budget pour faire de la prod et rajouter des choses dans le jeu. Ce qui a décalé la sortie en septembre, sans qu’il n’y ait de lien avec le Covid ou le confinement.

Capture d'écran du Z Event 2019

Est-ce que t’as, ne serait-ce que l’idée, d’un prochain jeu ?

Honnêtement, on a plusieurs idées. On ne travaille pas encore dessus. On va organiser une petite compétition sur As Far As The Eye. Le suivi du jeu va encore durer plusieurs semaines ou mois, et on se fixera ensuite après une période de vacances pour les équipes. Les périodes avant une sortie sont très stressantes. On ne sait pas encore quand on va démarrer le développement d’un nouveau jeu. Mais on a déjà plein d’idées.

Un mot de Z Event. On rappelle qu’il s’agit d’un marathon de plusieurs streamers avec comme but de lever des fonds pour une association. Vous avez fait tomber le record de dons sur Twitch avec 3,5 millions d’euros récoltés l’an dernier pour l’Institut Pasteur. Quelles sont les perspectives futures, au regard notamment du contexte ?

On essaie tous les ans d’organiser un Z Event, parce que ça nous plaît et que ça plaît aux gens qui le suivent. Dans le contexte actuel, c’est compliqué. On essaie encore de faire quelque chose. Pour le moment, on ne peut rien annoncer, notamment en ce qui concerne la manière dont on va le faire.

Personnellement, je ne suis pas favorable à ce qu’on le fasse en ligne, car la force du truc, c’est qu’on soit tous ensemble. Ce que je réponds aux gens qui me demandent, c’est que tant que ce n’est pas annoncé, il ne se passera rien. C’est la seule vérité que nous avons à propos du contexte actuel.

D'Adrien à ZeratoR

Adrien, pour ceux qui aimeraient remonter à la genèse de ton histoire, comment es-tu tombé dans le jeu vidéo ? Qu'est-ce qui t'a passionné dans le jeu vidéo quand tu l'as découvert ?

Je suis tombé dans le jeu vidéo grâce à mon frère, qui a 15 ans de plus que moi. Quand j’avais de 5 à 8-10 ans, on avait les premières consoles, les premiers ordinateurs. Je regardais mon grand-frère avec de grands yeux, lui qui était devenu mon idole à cette époque. Il était le symbole de la vie libre, de la passion du jeu vidéo. On a ensuite eu un ordinateur familial à la maison, avec un planning où tout le monde pouvait s’en servir au fur et à mesure (nous étions 6, en comptant mes parents).

"Je ne suis pas un joueur de AAA. Ce n'est pas par choix, mais juste parce qu'en fait, ça m'intéresse vraiment moins"

J’ai ensuite eu des amis qui se sont mis aux jeux vidéo. J’ai été bercé par Blizzard à la bonne époque, par Nintendo, par les Square Enix, Final Fantasy VI, VII, VIII, les Diablo, Warcraft, Starcraft, Counter-Strike. De fil en aiguille, il y a eu World of Warcraft au lycée, qui a été un gros tournant dans ma vie de joueur et dans ma vie tout court, puisque mon esprit s’est beaucoup focalisé sur ce jeu, mais pas au point de complètement faire du décrochage scolaire. J’ai eu mon Bac, puis un Bac +2.

Ensuite, j’ai fait de l’alternance pendant mon BTS, et à la sortie de mon alternance, j’ai quasiment tout de suite commencé le streaming, en 2012. Une boite voulait m’embaucher en CDI parce que j’avais fait du streaming pendant deux ans depuis chez moi. Puis j’ai compris que je pouvais en faire mon métier.

Tu n'es pas un grand amoureux des gros jeux (appelés les "AAA") justement, tu préfères les plaisirs simples si j'ose dire, les jeux indépendants, ce qui est un peu décalé...

Je ne suis pas un joueur de AAA, mais ce n’est pas du tout par choix, c’est parce qu’en fait ça m’intéresse vraiment moins. J’ai fait plusieurs AAA, comme World of Warcraft, des Far Cry, Doom. Mais je n’ai pas fait toutes les grosses licences de AAA, déjà parce que je suis moins client de jeux solo, pour être tout à fait honnête. Les gros AAA sont très solo, je pense notamment à Skyrim, Watch Dogs, Assassin's Creed. Les jeux multi AAA comme FIFA ou les gros jeux Nintendo m’intéressent moins.

"Nintendo est un peu devenu l'indépendant des gros studios de console"

Le AAA invente beaucoup moins qu’il y a longtemps. La plupart des innovations du jeu vidéo se retrouvent dans le jeu indépendant et sont ensuite insérées dans le AAA, qui stagne pour les plus gros titres. Certains studios se sont reposés sur leurs licences et leurs lauriers. On a l’impression de prendre le même moteur, le même mode de gameplay, les mêmes machines et qu’on a juste changé l’histoire et l’environnement. C’est un peu dommage, je trouve. Mais ça ne m’a pas empêché de faire des jeux incroyables, comme Death Stranding récemment, que j’ai trouvé exceptionnel. Les paysages du jeu, ça m’a coupé le souffle, je ne savais pas si on était dans une cinématique ou dans le jeu directement. Cela faisait longtemps que je ne recevais pas une claque graphique comme celle-là. Peut-être parce que je suis habituellement moins clients des AAA. Récemment aussi, Doom Eternal était plus une claque sonore pour moi.

Est-ce que tu attends quelque chose de particulier des Xbox Series X/S et de la PS5, ou tu penses que l’évolution ne sera pas une révolution ?

Pour moi, ça ne changera pas grand-chose. Les consoles, ce n’est pas mon domaine, mais j’ai l’impression, vu de loin, qu’elles ressemblent de plus en plus des PC. La prochaine Xbox, on dirait vraiment un PC. À l'époque, la console avait une plus-value, notamment cet aspect périphérique, de jouer sur son canapé. Mais elle est redevenue quelque chose de très "solo." Les manettes ne sont plus un argument puisqu’elles marchent sur PC pour la plupart.

Le seul argument qu’a la console, c’est l’exclusivité des licences. Je trouve ça dommage et triste, que les consoles soient devenues de l’exclusivité. Il n’y a que le grand Nintendo qui arrive encore à innover dans la console. La dernière console que j’ai achetée d'ailleurs, c’est une Switch. Nintendo, c’est un peu l’indépendant des gros studios de console. Ils osent encore des choses. Je reproche un peu à des studios comme Ubisoft et Blizzard de prendre moins de risques.

Microsoft, c’est du sérieux, avec le rachat de Bethesda. C’est considérable. L’offre du Game Pass, qui n’est pas liée à la console, devient assez grosse. On est en train d’entrer dans le Netflix du jeu vidéo, ce qui était pressenti par l’industrie depuis une dizaine d’années, depuis que Steam existe. Du côté de Steam, ils n’ont jamais osé parce qu’ils n’ont jamais eu de concurrence, maintenant que ça arrive, si un jour la plateforme Steam veut mettre un grand coup dans la fourmilière, elle lance à une offre à 40 euros avec accès à tout le catalogue Steam ou une grande partie, ça ferait très mal.

"On est en train d’entrer dans le Netflix du jeu vidéo"

C’est une bonne période pour le consommateur, pour le joueur, il y a beaucoup de concurrence, les offres se multiplient et c’est bien.

On assiste depuis quelques années à une refonte totale de tous les modèles numériques. On se déporte de la télévision et on regarde les plateformes comme Netflix, Prime Video etc. On se déporte, comme tu le disais, de la console au PC avec les catalogues Steam ou Epic. Est-ce que ce phénomène est à son apogée, va-t-il s’amplifier encore ou est-ce que tu imagines carrément la naissance d’un nouveau modèle ?

Quand on a commencé à entrer dans les plateformes de streaming vidéo, plein de gens avaient anticipé ce qu'est le Game Pass aujourd’hui. Je pensais vraiment que Steam serait le premier à le faire. Steam qui ne réagit pas encore aux offres Xbox Game Pass et Google Stadia. Mais imaginer un modèle suivant… c’est très difficile. Les consoles, cela reste considérable. Il y a l’exclusivité des jeux mais il n’y a pas d’OS, pas de gestion ni d’optimisation de la machine.

La vraie vérité, c’est que nous allons très probablement finir par être beaucoup plus attaqués par le mobile dans les années à venir. Ce n’est pas une plateforme sur laquelle je joue, mais force est de constater que la jeune génération joue sur mobile ou avec un micro et un casque sur un PC.

Pour un jeune aujourd’hui, la console apporte trop peu de choses par rapport au mobile et au PC, qui eux peuvent développer une galaxie de services et de jeux énorme. Je ne suis pas en train de dire que les consoles vont mourir. Mais si j’étais un constructeur de console, je me poserai la question de les faire évoluer encore. On verra bien.

Trackmania et toi... c’est une belle histoire évidemment. La ZrT TrackMania Cup (également TrackMania Cup, ZrT Cup ou ZeratoR Cup) que tu as fondée en 2013, a vu son édition 2020 être annulée en physique. Mais elle a bien eu lieu en ligne. L’édition 2021 devrait avoir lieu à Paris, à Bercy (Accor Arena). Ce qu’est devenue la Trackmaia Cup, c’est dingue. En 2019, tu remplissais le Zenith de Strasbourg avec 8 000 personnes. Ça doit être assez incroyable à animer non ?

C’est une expérience de fou. Honnêtement, j’ai fait peu de choses comparables dans ma vie, même rien (rires). Ce qui est fou, c’est surtout l’évolution de la compétition. Quand je monte sur une scène de Trackamania Cup, il y a peu de stress, peu de trac, car je connais le sujet, les courses, le jeu, les joueurs et les équipes qui font vivre le spectacle. C’est comme à la maison, sauf que tout le monde en profite. C’est indescriptible et c’est toujours incroyable de vivre cet événement. Je n’ai jamais vu quelqu’un assister à une Trackmania Cup et être déçu. Au contraire, j’ai souvent des gens ou des accompagnateurs (copain, copine, parents ou enfants) qui pensaient s’ennuyer pendant 4 heures et qui ont finalement franchement adoré le truc. De réussir à plaire à des gens qui ne sont pas intéressés par le truc, c’est vraiment cool.

"nous n’avons pas besoin des grands médias ou de la reconnaissance globale pour avancer"

Aujourd'hui, t'as un peu tout connu dans le monde du jeu vidéo, mais t'es encore jeune... Est-ce qu'il y a des choses que tu rêves de monter, d'accomplir ?

La réponse est "oui." Mais je ne peux pas forcément en parler. Ce sont des choses que j’aimerais faire, mais je ne suis pas certain de pouvoir les faire ni comment les faire. Je ne vais pas promettre des choses qui ne se feront pas. Mais oui, j’ai plein d’idées, au moins trois. Ce sont surtout des événements. Je suis plus partant pour des choses réelles et pour rencontrer les gens, parce que je trouve ça vachement cool. Mais je ne veux pas me brûler.

Plus de 8 000 personnes étaient réunies à Strasbourg pour assister à la Trackmania Cup édition 2019. Cap sur l'édition 2021 désormais, pour espérer retrouver du public

Donc il y a plein d’idées et ça fourmille là-dedans, c’est ce qu'il faut retenir. Une ultime question Adrien sur le métier de streamer en général. Comment le vis-tu au quotidien, comment appréhendes-tu la notoriété et les obligations que tu as par rapport aux streams que tu dois assurer ? Comment vis-tu cette vie, devenue un véritable métier, pour toi et pour d’autres ? Essayons de tordre un peu le cliché du "ma mamie pense que je ne fais rien."

Je ne sais pas ce que diraient les gens qui font ce métier comme moi, mais pour moi, il n’est pas important d’avoir la reconnaissance du métier. Quand les gens me demandent ce que je fais, je m’adapte à l’interlocuteur que j’ai en face de moi. Je dirai soit que je suis YouTubeur, si je suis face à quelqu’un qui ne connaît pas trop, soit je dirai que je fais des lives sur Internet et que je me filme en train de jouer à des jeux vidéo, si je suis face à un geek.

Mais en gros, je dis toujours que nous n’avons pas besoin des grands médias ou de la reconnaissance globale pour avancer. Tant que j’arrive à faire les choses que j’ai envie de faire, ça me va très bien.

Je prends l’exemple de la Trackmania Cup, mais parfois on me reproche "oh tu sais, ça n’a attiré 'que' 100 000 viewers." Sauf qu’on a deux objectifs : d’abord que la compétition soit financée, et ensuite que la salle soit pleine, ce qui est le cas à chaque fois. Nous ne sommes pas à la recherche de viewers. Si je voulais en avoir beaucoup plus d’ailleurs, je ne jouerais pas aux jeux auxquels je joue actuellement. Je fais partie des streamers qui ont la chance d’être dans le top des streamers en termes de vues. Je pourrais monter vachement dans ce classement en streamant davantage ou en streamant des choses de la meta Twitch. Mais j’ai la chance de pouvoir faire ce que je veux, donc je le fais, et financièrement ça se passe aussi bien. C’est ce qui compte.

Merci pour tes réponses et pour ton temps Adrien, on te souhaite le meilleur pour la suite avec As Far As The Eye.

Merci beaucoup, merci pour l'interview.

ZeratoR