Le jeu vidéo s'est souvent vu reprocher son appétit pour la guerre. Ou, du moins, l'approche qu'il avait de celle-ci en se plaçant quasi systématiquement du côté des forces armées ou des hommes qui les dirigent. Dans ces productions qui font régulièrement la part belle à l'action, les civils n'occupent généralement qu'un rôle mineur. Faut-il d'ailleurs encore qu'ils soient pris en considération. C'est en cela que This War of Mine se montre intéressant. Car le titre développé par les Polonais de 11 bit studios renverse le point de vue. Et avec lui, l'ensemble des préoccupations des joueurs en laissant ces derniers contrôler la première victime des conflits, à savoir la population.
Après un passage remarqué sur PC en novembre 2014, This War of Mine profite de ce début d'année pour faire un crochet par la case consoles via une version enrichie affublée d'un sous-titre : The Little Ones. Celle-ci ne modifie toutefois en rien la substance du jeu originel. Vous voilà donc plongés en pleine guerre civile, dans la ville de Pogoren. Soit une cité fictive directement inspirée par Sarajevo, la capitale de Bosnie-Herzégovine, victime d'un siège long de presque quatre ans entre avril 1992 et février 1996 qui a forcé ses habitants à vivre dans des conditions extrêmes. L'objectif s'avère des plus simples : il faut survivre. Pas en tenant tête aux militaires qui menacent votre existence mais en trouvant le matériel et les denrées nécessaires pour ne pas mourir. De faim, de fatigue, de froid, d'une balle en pleine tête ou de détresse psychologique.
Un gameplay scindé en deux
This War of Mine vous invite à contrôler jusqu'à quatre personnages simultanément au démarrage d'une partie, votre but étant de parvenir à ce que l'un d'entre eux soit en vie au bout d'un nombre de jours donnés (42, par exemple pour le premier scénario). Mais rien n'est moins garanti. Car les conditions dans lesquelles ils vivent sont pour le moins précaires. Ils se logent dans une maison éventrée par les tirs d'obus laissant le climat dicter la température intérieure. Un refuge qu'il faut aménager dans les phases diurnes en construisant divers éléments indispensables comme un lit, un chauffage ou une cuisinière rudimentaire pour préparer des repas décents. Avant de partir explorer les alentours la nuit.Le jeu affiche en effet la particularité de découper son gameplay en deux. La phase nocturne, celle qui vous rend naturellement plus furtif, vous laisse découvrir et fouiller les différents lieux dont recèle la ville. L'hôpital est riche en médicaments quand le supermarché regorge d'aliments laissés à l'abandon. La mécanique est donc assez simple. La nuit, les personnages récoltent ce dont ils se serviront le jour pour faire face à l'horreur de leur quotidien.
L'art d'inviter à la réflexion
Au-delà du point de vue adopté, relativement original, c'est de la manière qu'a le titre d'introduire la notion d'éthique, que provient la surprise. Les visites nocturnes s'accompagnent souvent de rencontres imprévues qui donnent lieu à autant de situations complexes, et par extension, intéressantes à gérer. Impossible de ne pas hésiter à piller la baraque d'un couple de personnages âgées vous suppliant de leur laisser au moins quelques médicaments. Les dilemmes moraux sont nombreux. Ils jouent à la fois sur vous, en tant que joueur impliqué émotionnellement, et sur les personnages en eux-mêmes. Si ces derniers ont des besoins primaires ordinaires, ils souffrent par ailleurs sur le plan mental lorsque les actions que vous leur demandez d'effectuer se heurtent à leurs valeurs.Les conséquences peuvent d'ailleurs être lourdes. Un simple événement mal négocié sous le coup du stress ou simplement, par nécessité vis-à-vis des besoins du groupe, peut vite donner lieu à un drame. Si mettre en danger d'autres civils provoque de la tristesse, tuer un innocent ou le laisser se faire massacrer sous vos yeux peut pousser votre survivant à se suicider. La mort étant définitive et les sauvegardes impossibles, la pression qui découle des raids nocturnes est facilement imaginable. Il existe ainsi une sorte de cercle vicieux induit par la guerre et les difficultés qu'elle engendre, qui vous pousse à aller toujours plus loin. A mettre de côté votre réflexion initiale pour que les jours continuent de défiler. C'est dans ces moments singuliers où la réalité de la survie entre en conflit avec vos convictions, que This War of Mine prend toute sa dimension.
La problématique des enfants
Une dimension encore renforcée par l'arrivée des enfants dans cette version consoles. Comme les adultes, ils doivent se nourrir, se reposer mais ils ont un besoin accru de distraction et sont de manière logique plus fragiles. Avoir des jouets en sa possession devient nécessaire pour faire en sorte que le moral des plus jeunes reste au beau fixe. A la différence de leurs aînés, ils ne peuvent en revanche pas mourir. Tout juste fuient-ils du refuge si la situation devient intenable. Un choix qui tranche avec le parti pris réaliste du studio polonais, même si on devine aisément ce qui a motivé une telle décision. Toujours est-il que la guerre fait aussi des victimes chez les enfants. Et qu'éluder une question comme celle-ci peut être source de débats, le message envoyé pouvant apparaître ambigu.Reste qu'évidemment, la présence de personnages mineurs permet de renforcer la notion de responsabilité et de générer des situations toujours plus dures et des questions insolubles. Le vol est-il plus légitime quand il s'agit de sauver un enfant ?
Certes, This War of Mine : The Little Ones n'affiche pas une variété suffisante entre les parties - en dépit d'événements aléatoires pimentant l'ensemble - pour alimenter des semaines durant l'expérience. Mais le jeu se montre prenant au niveau de son concept, et nécessaire si l'on évoque les thèmes qu'il aborde. Le studio polonais 11 bit est parvenu à parfaitement embrasser son sujet. A faire en sorte que les civils soient réellement au cœur du gameplay et non un prétexte pour utiliser un thème sous-exploité. Les situations qui naissent des différentes tentatives de survie permettent d'engager une réflexion et donnent un côté militant à ce titre original. Une rareté qui le rend d'emblée précieux.