Hitman : Code 47, portrait-robot d'un tueur professionnel

Denis Brusseaux
Publié le 10 mars 2016 à 13h02
C'est sous la forme d'une aventure en six épisodes (et autant de pays) que la série Hitman opère son grand comeback ce mois-ci. Elle en profite, au passage, pour clarifier son traitement de Code 47, son tueur implacable, autrefois tenté par l'héroïsme traditionnel. Pour comprendre ce qui s'est passé, un détour par Charles Bronson s'impose...

Oubliez les deux films d'action hollywoodiens adaptant officiellement le jeu vidéo Hitman : ces produits impersonnels (Hitman, Xavier Gens, 2007 ; Hitman : Agent 47, Aleksander Bach, 2015) se sont chacun contentés de greffer les quelques indices identifiables de la licence (crâne chauve du héros, code barre sur la nuque, cravate rouge et seringue de poison) sur des canevas de blockbusters passe-partout, diluant finalement Code 47 dans une formule qui ne lui convenait pas du tout. S'il fallait trouver un seul long-métrage ayant saisi - avant l'heure - l'esprit du personnage, ce serait à n'en pas douter Le Flingueur (The Mechanic, 1972) de Michael Winner avec Charles Bronson, pauvrement refait en 2011 avec Jason Statham.

Dans le film original, Bronson campe Arthur Bishop, un tueur à gages de la mafia, spécialisé dans les meurtres déguisés en accidents. Patiemment, il étudie les habitudes de ses futures victimes (étalant au mur toutes les pièces du dossier pour mieux s'en imprégner) et met en place des stratagèmes machiavéliques.

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Une silhouette raide, neutre, ni agressive ni passionnée : Hitman version 2016 tend à se confondre avec les armes qu'il utilise.

Ainsi, dans la très longue séquence qui ouvre le film (quinze minutes sans aucun dialogue), on voit comment il programme en différé une fuite de gaz (à l'aide d'un simple chewing-gum) dans un chambre d'hôtel puis fait en sorte que l'occupant, à son retour, s'endorme en buvant du thé (il a remplacé les sachets par du somnifère). Posté dans l'immeuble d'en face, notre assassin n'a plus qu'à viser la gazinière sabotée à l'aide d'un fusil sniper, faisant exploser l'appartement, tout en sachant que la balle ne sera jamais retrouvée. Et tandis que les pompiers accourent, il disparaît dans la nuit, personne n'ayant même remarqué sa présence. Ce scénario semble sorti tout droit d'une mission d'Io Interactive, et la ressemblance ne s'arrête pas là.

Peu à peu, Arthur Bishop jette son dévolu sur un jeune homme dont il a tué le père, et chez qui il sent des dispositions pour le meurtre, au point d'en faire son partenaire. Et c'est là qu'intervient le monologue le plus explicite du film, lorsque le professionnel expose sa philosophie du métier : « Cela permet de rester à l'écart de tout et d'être son propre maître ». Pour lui, ce « job » n'est pas différent de celui de mécanicien - sens littéral de Mechanic, le titre original - c'est-à-dire qu'il règle un problème avec technicité, sans aucun état d'âme.

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Sous le vernis du film d'action de série B, le Flingueur avec Bronson est l'un des plus beaux portraits de tueur professionnel.

Mais sous ce vernis de froideur se dissimule une problématique plus ambivalente : Arthur Bishop fait tout pour ressembler lui-même à une machine - dans la VF, « Mechanic » est d'ailleurs improprement traduit par « mécanique » - il en a la raideur, l'efficacité, le mode de vie déshumanisé (voire la séquence romantique qui se transforme peu à peu en une scène de sexe tarifé), l'indifférence aux souffrances (il peut regarder une femme se suicider sans sourciller), mais dans le même temps, il se sent seul et désire transmettre quelque chose. Il a besoin d'un héritier, un fils spirituel.

De robot à héros

Homme ou machine ? Le personnage de Bishop va découvrir sa propre vulnérabilité en cherchant son cœur sous la cuirasse, et c'est au même écartèlement que Code 47 a été soumis tout au long de la saga Hitman. Clone conçu pour exécuter des contrats sans faillir, il est défini d'emblée comme un outil vivant, un instrument de chair et de sang, mais sans psychologie. Un pur « Mechanic » auquel fait écho le gameplay du jeu, qui se met au service de sa logique abstraite : chaque PNJ, chaque objet, chaque lieu, n'est appréhendé que dans l'optique de permettre à 47 d'atteindre son but, à savoir le meurtre d'une cible désignée, de préférence sans laisser aucune trace.

Même la personnalité de la victime, son vécu, ses affects, sont retraduits en méthodes pour la manipuler et l'atteindre. Autrement dit, un Code 47 parfaitement mécanique débouche sur un jeu vidéo à son image, sorte de puzzle géant dont les pièces doivent être agencées à l'aune de l'objectif fixé. Cette approche, c'est essentiellement celle des quatre premiers Hitman (Hitman : Tueur à gages, 2000 ; Hitman 2 : Silent Assassin, 2002 ; Hitman : Contracts, 2004 ; Hitman : Blood Money, 2006) qui voient le meurtre comme un défi lancé à la patience et à la logique, une problématique intellectuelle et non morale.

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La corde à piano s'avère une habile métaphore soulignant que Code 47 est avant tout un artiste du meurtre.

Code 47 tue, mais il pourrait aussi bien jouer aux échecs ou au poker, son visage impénétrable et son sang-froid à toute épreuve y feraient la même impression. Toutefois, on remarque que ces titres n'ont jamais totalement fait le pari du pragmatisme absolu en nous mettant simplement dans la peau d'un liquidateur bidimensionnel. Au contraire, dès le premier épisode, on découvre les origines complexes de notre héros (avec même une touche de psychanalyse, puisqu'il faut à la fin tuer le père, soit le savant qui a créé Code 47), lesquelles deviendront dans Silent Assassin de véritables questionnements métaphysiques, le personnage étant même tiraillé entre son métier « génétique » de tueur programmé et une pseudo vocation religieuse.

Mais les tueurs parfaits ne sont-ils pas un peu des moines, comme le souligne le nom d'Arthur Bishop, ou évêque en français ? Dans Contracts, Code 47 est à l'agonie et se remémore ses derniers boulots, tandis que Blood Money nous conte ses ultimes exploits pendant que son cadavre attend d'être emmené au crématorium. On le voit, le studio veut approfondir le mythe, mais sans que ce travail d'écriture n'empiète jamais sur les phases de jeu. Il y a en quelque sorte deux Code 47 qui cohabitent sans se croiser, l'homme des cinématiques et la machine des missions interactives.

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A trop vouloir prendre la pose dans Hitman : Absolution, Code 47 perd insidieusement son identité.

Leur rencontre est-elle seulement possible ? Io Interactive tente l'expérience dans Hitman : Absolution (2012), qui rompt avec le principe des contrats seulement reliés entre eux par un vague fil rouge, en optant plutôt pour une aventure/infiltration très classique. Progression linéaire, objectifs imposés par un enjeu qui court tout au long des chapitres (de tueur, il devient protecteur !) et même certaines phases d'action obligatoires où Code 47 est obligé de tirer dans le tas, ce qui contrevient à l'identité profonde du personnage, comme si les développeurs avaient abdiqué devant la trahison de leur œuvre sur grand écran et la validaient rétroactivement par un jeu « blockbusterisé »... A l'instar d'Arthur Bishop, Code 47 a tenté de se normaliser, mais il s'est perdu en chemin.

A vos ordres

Non, décidément, le costume de héros classique était un peu trop inconfortable pour Code 47. La parfaite machine à tuer des débuts est donc de retour avec Hitman (tout simplement !), sorte de reboot racontant les premiers pas du personnage au sein de l'ICA (International Contract Agency) après qu'il s'est évadé de la clinique du Dr Ort-Meyer, soit le point de départ initial de la saga.

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Dans le nouveau Hitman, l'outil précède de nouveau le personnage : entre homme et machine, Io Interactive a tranché.

Qu'on se rassure, le premier chapitre auquel nous avons déjà joué (sortie le 11 mars, suivi de cinq autre volets mensuels), situé dans un défilé de mode parisien (après un prologue en forme de tutorial dans un décor en carton-pâte), ne fait nulle mention des affres personnelles de 47. Le boulot, rien que le boulot, et exercé avec le goût de la perfection. Les moyens de supprimer la cible n'ont jamais été aussi variés et les questionnements psychologiques aussi rares. Mécanique, oui, à 100%.

Denis Brusseaux
Par Denis Brusseaux

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