On en parle déjà comme d'un genre à part entière alors qu'il se résume à une poignée d'annonces et à deux titres qui débarquent presque coup sur coup en ce mois de mai : le Hero Shooter se présente comme le chaînon manquant entre l'archi-classique Team Fortress de Valve et la nouvelle vague des MOBA - pour Multiplayer Online Battle Arena - notamment représentée par Defense of the Ancients (Dota, célèbre mod pour Warcraft III), League of Legends de Riot Games, Heroes of the Storm de Blizzard et DOTA 2 de Valve.
Du MOBA, il reprend le principe de l'affrontement d'équipes composées de cinq personnages dont les niveaux augmentent à la manière d'un jeu de rôle, mais se réinitialisent à chaque partie. Les affrontements tournent autour de la destruction de tours protégeant l'une des trois voies qui conduisent à la citadelle adverse, dont la conquête conditionne la victoire. De Team Fortress, les Hero Shooters ont retenu la vue FPS, qui atténue l'impression d'être plongé dans une arène mais accentue en retour l'immersion et la rapidité parfois hystériques des batailles. Enfin, on y retrouve un concept essentiel aux deux modèles suscités : l'idée de proposer un panel de personnages prédéfinis, aux looks bien établis et aux armes suggérant une approche différente de l'action.
Vingt-cinq personnages ultra-stylés et dotés d'un sens de l'humour très chargé : la touche Gearbox de Battleborn.
Mais les MOBA corsent la formule en permettant de booster les persos comme dans un RPG, tout en les répartissant en diverses classes. Chaque héros amène avec lui un background et une humeur caractéristiques, ce qui fait qu'en les combinant au sein d'une équipe, on raconte en quelque sorte une histoire induite, laissée à la subjectivité des participants. Battleborn et Overwatch ont fatalement moins de persos jouables qu'un League of Legends (120 aujourd'hui, dont une centaine rajoutée petit à petit au fil du temps) et ne proposent pas non plus de fabriquer son propre héros de toutes pièces, mais ils se rattachent encore plus à l'esprit mythologique des jeux de bastons classiques, de type Street Fighter et consorts. Bref, en ouvrant le bal du Hero Shooter, ils ont la lourde tâche d'en définir plus nettement les contours, mission d'autant plus ardue que leur rapport aux codes du MOBA varie selon les angles adoptés par Gearbow Software (Battleborn) et Blizzard Entertainment (Overwatch).
Alors, vrais sosies ou faux jumeaux ? Dans les pages suivantes, nous allons tâcher de répondre à cette question !
La guerre des héros
Vingt-deux chez Overwatch (OW), vingt-cinq pour Battleborn (BB) : c'est l'avalanche de héros chez les deux concurrents, qui font chacun le pari de générer d'un seul coup un large éventail de personnages tous inédits. Joli exercice de style de la part de studios qui auraient largement pu piocher dans les viviers de persos de leurs licences respectives (on pense notamment aux protagonistes déjantés de la série Borderlands, signée Gearbox), mais qui ont préféré jouer la carte de l'inédit. Là s'arrête sans doute l'originalité, tant les deux équipes de designers nous gratifient d'une sorte de best-of piochant largement dans l'imaginaire collectif de tous les amateurs de comics/manga/fantasy.Chez Overwatch, on ne lésine pas sur la variété des persos, mais le ton se fait quand même plus sage.
Robots, colosses en armures, samouraïs variablement techno ou old-fashioned, mechas, lolitas japonaises, épéistes, snipers... Même si Battleborn se veut un peu plus cartoonesque dans la forme qu'Overwatch, les couleurs bariolées, les poses grandiloquentes et les panoplies hétéroclites caractérisent les deux bestiaires, à tel point qu'on supporterait parfaitement l'idée d'un transfert de héros d'un jeu à l'autre, à l'instar d'une superstar du foot. Une idée à creuser ? Il est vrai que certains sont presque interchangeables, comme les pilotes de Mecha D.Va (OW) et Toby (BB), les bretteurs Phoebe (BB) et Genji (OW), les tireurs d'élite McCree (OW) et Marquis (BB) ou les lourdement armés Montana (BB) et Zarya (OW).
D'un strict point de vue du style, les persos de Battleborn ont peut-être plus de fantaisie et de panache, certains n'hésitant pas à donner dans le baroque le plus débridé (on pense aux incroyables Miko, le champignon humain, ou ISIC, une IA au look squelettique et à la mégalomanie galopante). Ceux d'Overwatch semblent assez sages en comparaison... Néanmoins, les ressemblances ne s'arrêtent pas là. Ainsi, les deux jeux répartissent leurs héros dans quatre catégories à peu près équivalentes, entre les attaquants, les défenseurs, les soigneurs et les tanks, la spécialité de chacun étant en général reconnaissable à sa seule dégaine.
Des histoires qui servent le gameplay
Seuls les scénarios diffèrent sensiblement, en dépit du simplisme qu'ils ont en commun. Dans Battleborn, l'action se situe dans une galaxie lointaine, après que la race des Varelsi a détruit presque toutes les planètes habitées. La dernière, Solus, recueille donc des héros de toutes provenances, orphelins de leurs mondes respectifs : on trouve aussi bien des gentils que des affreux, tous contraints de collaborer contre les Varelsi, désormais désireux de finir le travail... Du côté d'Overwatch, on n'a pas quitté la Terre : celle-ci, dans un futur proche, a connu une guerre totale contre des robots, les Omnic, face auxquels fut créée une force d'intervention : Overwatch. Mais la paix revenue, Overwatch est critiquée, ses chefs assassinés et l'équipe de héros hétéroclites qui la composaient est éparpillée. Ceux-ci en viennent à se battre entre eux... à moins qu'on ne les ait piégés depuis le début !Le mode solo de Battleborn le distingue pour l'instant de tous ses concurrents passés, présents et à venir (vidéo : nos impressions).
Ce qui différencie le plus nettement ces deux pitchs, c'est la dimension coopérative de celui de Battleborn, là où Overwatch pose l'alibi d'une guerre ouverte entre tous les persos. Normal ! Le jeu de Blizzard s'en tient au programme multijoueurs hérité de la tradition Team Fortress, tandis que Gearbox met d'abord en avant la dynamique de sa campagne. Et tant pis si ses modes PVP amènent, sans logique particulière, ses héros à se taper dessus par équipes.
Coop ou PVP, il faut choisir ?
Vous avez dit campagne scénarisée ? C'est évidemment la première des entorses que Battleborn administre au concept MOBA, dont il se veut pourtant davantage le dépositaire qu'Overwatch. Une aventure qui est l'occasion pour Gearbox de donner libre cours à un humour déjanté et provocant à souhait, façon Borderlands. L'action se passe forcément en équipe (en coopération jusqu'à quatre, en écran splitté à deux ou soutenue par des IA), et les héros se vannent autant qu'ils arrosent de plombs leurs ennemis. La quête est répartie en huit chapitres, pensés comme autant de zones de progression fermées. Entendez par là que votre personnage pourra atteindre le niveau maximum de 10 en l'espace de quarante minutes, débloquant au passage - en plus de trois facultés à choisir - un pouvoir spécial particulièrement destructeur.Au terme de la mission, le niveau retombe à zéro, mais le perso gagne des améliorations permanentes via le système de rangs, pour lui et pour le joueur. La formule posée par Dota et LoL est donc respectée, et transposée ensuite tout aussi fidèlement dans les modes multi, dont l'un - appelé Incursion - est la reprise exacte des mécanismes à l'œuvre dans League of Legends ou Heroes of the Storm. Fusion (avec ses minions à sacrifier) et Capture (prendre le contrôle des postes adverses) sont plus classiques.
Design propre et classique, pas de background particulièrement complexe induit par le style du perso dans Overwatch.
Du côté d'Overwatch, on fait presque tout le contraire. Pas de campagne, et donc une expérience exclusivement PVP, ce qui pourrait laisser augurer d'un MOBA-like encore plus conforme. Erreur ! En se limitant à Assaut, Escort et Control, des modes qui dépendent en réalité de la map choisie en premier lieu, le titre s'en tient aux fondamentaux du multi classique, et reste donc plus proche de Team Fortress. Et la montée de niveau se poursuit d'une mission à l'autre : l'inverse d'un MOBA. A noter que dans Overwatch, on accède dès le départ à tout le bestiaire, alors qu'il faudra débloquer les héros au fil des missions PVE ou des victoires PVP dans Battleborn...
Naissance d'un genre
Certes, Battleborn et Overwatch se distinguent sensiblement dans leur rapport au modèle initial du MOBA, de même que par la présence du solo dans l'un, absent chez l'autre. Pourtant, ces deux titres entretiennent aussi de nombreux points communs qui démontrent que deux des studios les plus influents de l'industrie ont senti le vent tourner et tentent d'importer une culture estampillée PC dans le domaine plus « mainstream » du FPS, sans omettre au passage la dimension jouissive du panel de super héros puisant un peu à toutes les sources. Alors, le genre Hero Shooter est-il appelé à durer ? Egalement prévu pour l'année 2016, le jeu d'Epic Games Parangon ressemble à s'y méprendre à un MOBA classique, sauf qu'il opte pour un panel de treize héros prédéfinis à améliorer grâce à un système de jeux de cartes. Proposé en free-to-play, Parangon distribue des armes à feu à ses persos : un Hero Shooter, donc, où la vue FPS est troquée au profit d'une troisième personne encore plus proche de LoL et consorts.Paragon ressemble à s'y méprendre à Battleborn et Overwatch, mais son esthétique est plus réaliste et mature.
Si Parangon est créé par le studio qui a lancé la série Gears of War, Cliff Blezinski - ex-boss d'Epic - avait quitté la structure depuis longtemps pour fonder son propre studio, Boss Key, au sein duquel il livre lui aussi un Hero Shooter, LawBreakers, à la date inconnue et réservé aux PC. Ici, on joue en FPS, les huit persos connus sont répartis en deux camps et l'action se déroule sur Terre, laquelle a vu sa gravité bouleversée. Cette dernière idée accentue la verticalité du gameplay, et donc l'originalité de l'expérience de jeu. Gardons enfin un œil sur Paladins : Champions of the Realm, un MOBA/Shooter en free-to-play dont la bêta récente a cartonné. Encore un peu brouillon, le Hero Shooter ne demande donc qu'à exister, quelques succès éventuels chez les précurseurs pouvant bientôt activer toute une série de suiveurs !