X-Men Apocalypse : des mutants aux super-pouvoirs, et si c'était vrai ?

Denis Brusseaux
Publié le 18 mai 2016 à 11h53
Le truc avec les X-Men, c'est qu'au lieu de nous faire rêver comme Spider-Man, ils nous tendent un miroir pas très agréable, celui d'une nature humaine qui ne tolère pas trop les différences. Et pourtant, la mutation est la caractéristique première de tout ce qui vit. Alors, sommes-nous finalement un peu tous des X-Men ?

A l'époque où Jack Kirby et Stan Lee inventent pour la première fois les X-Men, l'une des composantes essentielles du mythe d'un super-héros est l'origine de son pouvoir, ce qui justifie d'ailleurs que l'événement ayant concouru à la naissance de ses facultés, soit régulièrement rappelé ou revisité : morsure de Peter Parker par une araignée radioactive, exposition des Quatre Fantastiques aux rayons cosmiques, bombardement de rayons gamma sur le docteur Banner etc... Autrement dit, on ne naît pas super-héros, on le devient - même Superman ne doit ses pouvoirs qu'à son déplacement sur Terre.

Dans ce contexte, l'idée de proposer des super-héros mutants est bien plus qu'une astuce de scénariste, il s'agit d'une révolution ayant pour premier effet de gommer la distance entre ces êtres surnaturels et nous, simples humains. Plus question de désigner les super-héros comme des exceptions, produits du pur hasard : désormais, ils s'inscrivent dans le cours de l'évolution et proposent à notre espèce un devenir possible, celui du surhomme. De ce pitch brillant, le scénariste Chris Claremont saura saisir plus tard tout ce qu'il implique d'un point de vue moral et philosophique. Sous sa plume, le super-héros, parce que mutant, est à la fois complètement humain et rejeté par ces derniers, ce qui conduit naturellement à une métaphore du racisme dont l'auteur ne s'est pas privé.

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Doté de pouvoirs presque sans limites, Apocalypse est un dieu pour les mutants et assimile donc l'évolution à la religion.

Juif par sa mère, Claremont a fait des X-Men les symboles de l'exclusion et de la discrimination, n'hésitant pas à forcer le parallèle avec l'Holocauste au travers du personnage de Magneto, dont il dépeint l'enfance dans les camps de la mort nazis. Si d'autres scénaristes ont, depuis, pris le relai des X-Men, il est indéniable que la « patte » Claremont est la matrice stylistique de tous les films de Brian Singer, lequel ne cesse de revenir aux meilleures heures de la saga, celles des années 80. Mais à quel point cela renvoie-t-il à notre réalité ? Réponse page suivante.

Un mutant, qu'est-ce que c'est ?

Dans les X-Men version papier, la problématique de la mutation est traitée comme un gimmick, un postulat de départ. Sous l'effet des caprices de Dame Nature, certaines personnes viennent au monde avec des différences spectaculaires qui - comic book oblige - leurs confèrent d'extraordinaires pouvoirs : télépathie, téléportation, contrôle de la gravité, faculté de traverser les murs ou de changer la peau en métal... Concrètement, les auteurs ne cherchent pas spécialement à imaginer des pouvoirs qui seraient spécifiques à la mutation : ceux des X-Men pourraient très bien leur venir via des causes non génétiques, ils n'ont pas de caractéristiques qui soient propres au thème Darwinien de la série.

Mais, à la décharge des scénaristes, il faut bien reconnaître que définir ce que serait un « pouvoir découlant logiquement d'une mutation » est des plus difficiles, parce que le principe de mutation n'a pas grand-chose à voir avec ce qu'en fait la série X-Men. A tel point, d'ailleurs, que les films ont essayé de justifier les choses avec un raisonnement pseudo-scientifique qui tente, vaille que vaille, de faire cohabiter la science et la fiction. C'est ainsi que le premier film X-Men (2000) s'ouvre par un monologue de Charles Xavier : « La mutation, c'est la clé de notre évolution. C'est elle qui nous a menés de l'état de simple cellule à l'espèce dominante sur notre planète. Le processus est long et remonte à la nuit des temps. Mais tous les deux ou trois-cent mille ans, l'évolution fait un bond en avant. » On le voit, Singer et son équipe ont potassé le sujet, conscients qu'ils sont de ne pas pouvoir balancer n'importe quoi sur le thème de la mutation, à une époque où l'ADN est rentré dans le langage courant.

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Psylocke (Olivia Munn) est une mutante aux pouvoirs psychokinésiques assez mal expliqués dans le long-métrage.

Cet exposé, en guise de prologue, fait directement référence à LUCA, acronyme pour Last Universal Common Ancestor, soit la dernière cellule commune à tout ce qui vit sur Terre : animaux comme végétaux en sont les descendants directs, au gré d'une série de mutations ininterrompues et étalées sur pas moins de 3 milliards et demi d'années. Quant aux évolutions elles-mêmes, elles ne sont que le fruit de fautes de copies lors du processus de duplication de l'ADN (qui contient le matériel génétique, ou génome), corrélatif à la reproduction. En principe, l'ADN devrait être absolument identique d'un individu à l'autre, ce qui reviendrait à empêcher toute possibilité d'évolution. Mais grâce à ces erreurs microscopiques, a priori insignifiantes, les mutations (une cinquantaine par génération) peuvent ainsi faire lentement évoluer les individus au sein d'une même lignée.

On le voit, ce processus ne repose que sur des erreurs aléatoires qui peuvent être aussi bien positives que négatives. Si un accident de reproduction de l'ADN débouche sur une qualité moindre du génome, alors l'individu est, à terme, moins apte à survivre que celui qui aurait bénéficié de mutations contribuant à le rendre plus fort. La sélection naturelle se charge alors de faire disparaître peu à peu les porteurs d'ADN « fragile » au profit des plus résistants. Du moins en théorie, car les progrès de la médecine ont largement contredit le verdict de la nature, freinant de facto le processus de l'évolution. En aidant les plus faibles à survivre, la science empêche la sélection naturelle et ralentit, voire bloque, l'amélioration du génome. Désormais, nombreux sont ceux qui voient dans le transhumanisme (améliorer l'humain par la technologie) une réponse à ce problème...

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Wolverine ferait-il un comeback dans X-Men : Apocalypse ? Ce mutant mal embouché est le plus populaire de la saga.

Sommes-nous tous des X-Men ?

De ce petit état des lieux, résultent déjà quelques incohérences avec le postulat des X-Men : ces derniers sont les fruits d'une accélération de l'évolution, alors que précisément tout le monde constate depuis la fin du XIXe siècle son ralentissement, voire sa stagnation. De plus, si toute forme de vie est l'expression d'une longue série de mutations, il faut en déduire que tous les humains sont des mutants, ce qui soulève le problème des Sentinelles.

Ces robots géants, programmés pour détecter et détruire les mutants - ainsi que les humains susceptibles d'engendrer des mutants à une ou deux générations d'écart, comme il est précisé dans X-Men : Days of Future Past - devraient donc en réalité avoir bien du mal à faire le tri entre les homo sapiens « normaux » et les autres, précisément parce qu'il n'existe pas, d'un point de vue génétique, d'humain normal considéré dans un état absolument conforme à un génome type.

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Les Sentinelles de Bolivar Trask pourraient bien s'en prendre à tous les humains !

Pour peu que leur Intelligence Artificielle opte pour une solution radicale, il y a fort à parier que des Sentinelles, dans le monde réel, décident rapidement d'éradiquer tout le genre humain... Enfin, le postulat énoncé au début du film de Singer, à savoir l'accélération ponctuelle de l'évolution, devrait en principe avoir un impact sur tout le patrimoine génétique de l'humanité en engendrant peut-être de nouvelles branches d'évolution, de nouvelles familles d'Homo Sapiens aux propriétés diverses, mais partagées par un très grand nombre d'individus pour chaque catégorie.

Or, dans l'univers X-Men, l'évolution est à la fois surpuissante et totalement anarchique. Chaque mutant concentre sur lui un nombre incalculable de mutations (et non une seule), sans que la question de son patrimoine génétique commun à tous les autres super-héros ou super-vilains ne soit évoquée. Or, compte tenu de leur caractère absolument hors norme, ces mutants, considérés précisément comme une race par Magneto (qui parle d'Homo Superior), devraient tous relever de la même souche commune, comme une sorte de grande famille. En l'absence d'une telle explication, les X-Men apparaissent plutôt comme des « freaks », de véritables accidents de la nature, coupés de toute logique évolutionniste. Des monstres.

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Une chose est sûre : l'évolution selon les X-Men débouche sur une grande anarchie génétique.

Une mutation du réel ?

Mais poussons encore plus loin le raisonnement : quand bien même tous les personnages de la série X-Men relèveraient d'un même patrimoine génétique ayant subi une série de mutations extraordinaires - et en admettant aussi l'énorme diversité des résultats pour chaque individu - il semble impossible d'expliquer certains pouvoirs résultant de ces mutations. On peut à la limite admettre le développement de facultés télépathiques, une régénération accélérée des cellules ou la capacité de transformer la texture du derme selon les besoins, mais comment expliquer qu'une altération du génome ait pour conséquence le contrôle du magnétisme ou des orages ?

De tels pouvoirs dépassent les aptitudes propres au corps et à ses fonctions naturelles, ils témoignent au contraire d'une toute nouvelle relation entre l'humain et son environnement. Dans le cas de nombreux X-Men, c'est bel et bien le rapport à la nature dans son entier qui a muté, au point de se demander si la vraie mutation n'est pas là : une transformation inexplicable de la logique à l'œuvre dans le réel, une nouvelle façon d'envisager l'équilibre des forces qui régissent le monde. Dans cette logique, la mutation prend une dimension métaphysique, et pourquoi pas divine ?

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Mystique (Jennifer Lawrence) et Vif-Argent (Evan Peters), des mutants qui ne sont normaux qu'en apparence seulement...

Super-héros comme super-vilains ont peut-être hérité d'un gène qui les relie à quelque chose de supra-humain, une volonté supérieure qui les dote de pouvoirs inimaginables pour mener peut-être une sorte de guerre sainte sur Terre. Hypothèse pas si absurde, surtout si l'on considère la trame de X-Men Apocalypse, dans lequel nos mutants sont confrontés au plus ancien d'entre eux, en tous points défini comme un dieu capable de changer certaines recrues en anges de la mort et visant à étendre son culte sur toute la Terre. Dans ce film, Brian Singer se pose clairement la question de la signification métaphorique du mutant : de symbole renvoyant aux heures les plus sombres de la 2de Guerre Mondiale, il semble désormais en voie d'incarner la fameuse phrase d'André Malraux : « le XXIe siècle sera religieux, ou ne sera pas »...



Denis Brusseaux
Par Denis Brusseaux

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