Notre série Science et fiction s'intéresse aux prouesses technologiques aperçues dans le cinéma, à la télévision ou dans la littérature, et se questionne sur le positionnement, possible ou non, dans la réalité.
C'est en 1897 que H.G. Wells sort son ouvrage L'Homme invisible. Un roman de science-fiction dans lequel un homme albinos, nommé Griffin, parvient à créer une formule scientifique qui lui permet de devenir invisible. Sombrant peu à peu dans la folie induite par son nouvel état, Griffin mène une vie immorale, en marge de la société, et connaît une fin peu glorieuse. Déjà à l'époque, Wells mettait en scène l'invisibilité comme un pendant de l'invincibilité, mais tout en reprenant la morale de Rabelais : « Science sans conscience n'est que ruine de l'âme ».
Depuis, l'invisibilité a été reprise un nombre incalculable de fois dans la culture populaire. Une douzaine de films se sont inspirés de l'histoire de L'Homme invisible de Wells, comme le contemporain Hollow Man de Paul Verhoeven, sorti en 2000. Du côté des super héros, on peut citer Susan Storm, la femme invisible des 4 Fantastiques, mais également la présence de l'Homme invisible de Wells au sein de la Ligue des Gentlemen extraordinaires d'Alan Moore. Chez les X-Men, l'invisibilité est notamment l'un des pouvoirs de Cipher. Et dans les jeux vidéo, difficile de lister tous les titres où elle joue un rôle très important dès qu'il s'agit de s'infiltrer quelque part : Metal Gear Solid, Deus Ex : Human Revolution, Crysis, Fallout...
Lorsqu'elle ne concerne pas les êtres humains, l'invisibilité est magique chez Harry Potter, qui possède une cape avec cette propriété. Elle rend les predators encore plus dangereux dans les films du même nom, elle s'active avec l'anneau unique dans Le Seigneur des Anneaux...
L'invisibilité a également une symbolique forte puisqu'elle renvoie souvent à un isolement social, une représentation de personnes qui se sentent en marge du reste du monde : c'était d'ailleurs l'une des significations premières de l'histoire de L'Homme invisible, albinos misanthrope qui, ne trouvant pas sa place dans la société, décide d'en disparaître avant d'être rattrapé par ses méfaits.
Dans Hollow Man, l'histoire ne termine pas mieux que dans L'Homme Invisible de Wells
Souvent associée à la magie ou à une expérience scientifique peu détaillée, l'invisibilité peut pourtant s'expliquer concrètement... et s'expérimenter, même si l'on est encore loin de ce que l'on peut voir dans la fiction, à moins peut-être de se pencher vers l'invisibilité naturelle, celle que l'on peut constater chez certains animaux. Mais on trouve alors des nuances de taille entre l'invisibilité « réelle », et le mimétisme par exemple.
Alors, comment expliquer l'invisibilité et comment la concevoir dans la réalité ? Réponse page suivante.
Une histoire de lumière
Les études et recherches liées à l'invisibilité sont très, très nombreuses. La plupart partent du principe que si l'on voit quelqu'un ou quelque chose, c'est parce que la lumière se reflète dessus, ce qui permet à l'œil de le distinguer. De fait, pour rendre quelqu'un ou quelque chose invisible, il faut faire en sorte que la lumière le contourne, sans s'y refléter.Si l'on suit cette théorie, il suffit - bien grand mot - de trouver un moyen d'empêcher la lumière de se refléter quelque part pour contribuer à créer l'invisibilité.
Il existe déjà, aujourd'hui, des technologies qui le permettent, et même des expériences très faciles à réaliser chez soi pour comprendre que l'invisibilité est une notion finalement simple à comprendre lorsqu'on a saisi le principe de la réfraction de la lumière. Dans cette vidéo, publiée en mai 2015, on peut cerner le principe en utilisant tout simplement de l'huile pour bébé et quelques récipients. A défaut de devenir un homme ou une femme invisible après ça, on comprend, en tout cas, la théorie.
En 2006, des scientifiques de l'université de Duke ont publié leurs recherches sur une « cape d'invisibilité », dont la forme sphérique dévie les rayons de lumière : ces derniers donnent l'impression de « glisser » sur la cape, le tout avec un minimum de distorsion, ce qui donne l'impression qu'elle n'est pas là. La vidéo publiée par les scientifiques montre les effets de cette cape sans pour autant dévoiler d'images concrètes d'une mise en situation.
« Le concept visant à masquer quelque chose dans le but de le rendre invisible peut désormais être démontré avec cette méthode » expliquait à l'époque David R. Smith, l'un des physiciens à l'origine de ces travaux. « C'est la première fois que nous montrons qu'il est possible de faire glisser les ondes électromagnétiques autour d'un endroit que vous voulez cacher, pour qu'elles soient restaurées de l'autre côté de la zone. » En d'autres termes, non seulement la lumière est déviée, mais il n'y a pas d'ombre, ou vraiment très peu, derrière la zone masquée.
Les métamatériaux, de la science toute petite
Les scientifiques expliquent avoir travaillé avec des métamatériaux pour arriver à un tel résultat. Ce terme désigne des matériaux composites artificiels, dont les propriétés électromagnétiques ne se retrouvent pas dans des matériaux naturels. Les matériaux en question utilisent des fils métalliques minuscules, jusqu'à l'échelle nanométrique, visant à contrôler le rayonnement électromagnétique d'une manière impossible pour des matériaux naturels. Généralement, la structure d'un métamatériau varie entre 1 et 100 nanomètres environ. Ce type de matériaux est une composante importante des expériences actuellement réalisées autour de l'invisibilité. « Mettez trois miroirs judicieusement agencés autour d'un objet, et vous n'y soupçonnerez même pas sa présence. Maintenant, nous pouvons remplacer ces miroirs par des métamatériaux » expliquait en 2012 Claude Arma, directeur de recherche CNRS à l'institut Fresnel, pour illustrer simplement les enjeux autour de ces technologies.L'illustration d'un Predator camouflé s'avère relativement réaliste. C'est la manière dont il se rend invisible qui l'est moins.
Seulement voilà, l'expérience de ces chercheurs date d'il y a dix ans et, depuis, d'autres ont fait des découvertes similaires, mais plus poussées. C'est le cas d'Hyperstealth Biotechnology, une entreprise privée canadienne qui a elle aussi développé sa cape d'invisibilité, nommée Quantum Stealth. Il s'agit d'une technologie développée pour l'armée américaine ainsi que les armées canadiennes et britanniques, dans les prochaines années.
De fait, si Hyperstealth Biotechnology a une page de son site dédiée à sa cape de furtivité, la technologie qu'elle contient n'est que très peu détaillée. On y apprend que « Quantum Stealth est un matériau qui rend la cible totalement invisible par flexion des ondes lumineuses autour d'elle. Le matériau élimine non seulement la détection visuelle, mais également par vision infrarouge, la signature thermique ainsi que l'ombre de la cible. » C'est à peu près tout ce que révèle la page, qui donne par contre de nombreux exemples d'applications sur le terrain : s'en servir comme matériau pour les toiles des parachutes, se cacher des caméras, éviter de se faire repérer par des snipers, ou encore s'en servir pour rendre les avions indétectables. A priori, Hyperstealth Biotechnology détient la technologie ultime concernant l'invisibilité. Les photos, garanties sans trucages, sont en tout cas impressionnantes.
Cette présentation datant de 2012, on peut imaginer que, depuis, les armées ont été servies... Mystère !
Etre invisible, mais "pas que" !
Les métamatériaux et les technologies liées à l'invisibilité pourraient servir d'autres desseins. « Voir, c'est détecter, ce que l'on peut faire de différentes façons, comme avec les ondes sonores » déclarait en 2012 Claude Amra. « Les concepts d'invisibilité et de protection sont intrinsèquement liés ; prenons par exemple le cas d'un tsunami qui serait détourné grâce à une cape hydrodynamique géante : si je suis invisible, c'est que la vague arrive, m'évite, puis redevient la même quand elle m'aura dépassé. D'un point de vue pratique, ici, invisibilité veut donc aussi dire protection et il y a là des débouchés concrets intéressants. Cape de silence, cape électromagnétique, cape antisismique... » L'Institut Fresnel, basé à Marseille, travaille actuellement avec des subventions de l'Union européenne sur le développement de ces technologies, visant à « utiliser l'invisibilité dans la protection contre les séismes et les tsunamis. » L'idée : développer des digues flottantes dont le but ne serait pas de briser les vagues, mais de les faire contourner ce qui est protégé par les digues en question. En somme, un principe similaire à celui du système des chercheurs de l'université de Duke.On pourrait détailler de très nombreuses recherches et expériences liées à l'invisibilité, en tombant presque tout le temps sur une démarche similaire, à savoir détourner les rayons lumineux. Les usages imaginés se rejoignent également bien souvent et c'est plus l'intérêt militaire qui prime : du coup, le fantasme de la balade discrète pour voir sans être vu n'est pas vraiment à la portée du tout venant. Et quand bien même : si une technologie pouvait être proposée au grand public, elle ressemblerait plus à la cape magique d'Harry Potter qu'à la potion créée en laboratoire par Sebastian Caine dans Hollow Man !
Retrouvez tous les volets de la série Science et Fiction :