Le satellite Transit 2A. Crédits US. Navy/JPL
Le satellite Transit 2A. Crédits US. Navy/JPL

Et s'il était possible, grâce à un signal émis par un satellite, d'obtenir sa position sur Terre ? Avec le GPS et les constellations de positionnement, ce principe est une réalité de nos jours. Mais aux toutes premières orbites de l'aventure spatiale, on imaginait déjà Transit…

Evidemment, la guerre froide n'était jamais loin.

En écoutant Spoutnik…

Octobre 1957, à Baltimore comme dans le reste des Etats-Unis, Spoutnik est dans tous les esprits. L'URSS vient de lancer un gigantesque pavé dans la marre, et tandis que les militaires se démènent pour rattraper les soviétiques en préparant le premier satellite américain, d'autres réalisent tout juste le potentiel des satellites, capables de traverser le ciel en quelques poignées de secondes et de faire le tour du monde en 90 minutes à peine. Au laboratoire de physique appliquée de l'Université John Hopkins (JHU-APL), William Guier et Georges Weiffenbach sont très intéressés par les fameux « bip bip » qu'émet le petit satellite et que de nombreux radio-amateurs dans le monde arrivent à écouter sur des fréquences de 20.005 et 40.002 MHz. Ensemble, ils enregistrent le signal lors d'un passage de Spoutnik, et ils analysent le signal. Or, ce dernier est très légèrement décalé par effet Doppler lorsque le satellite s'approche ou s'éloigne. Une étude fine permet même de déduire la position du satellite par rapport à l'observateur…

On ne peut pas Doppler à tout le monde

L'effet Doppler est le décalage de fréquence d'une onde lorsque l'émetteur ou le récepteur est en déplacement : l'émetteur émet à fréquence fixe, mais le récepteur observe une variation (mesurable) de la fréquence, qui dépend directement de la position et de la vitesse de l'émetteur (auxquels il faut rajouter les paramètres liés au milieu dans lequel les ondes se déplacent, comme l'atmosphère). Intéressé par les travaux de Guier et Weiffenbach, leur directeur de recherche postule en mars 1958 que si on peut mesurer précisément le signal et son décalage par effet Doppler, et que si dans le même temps on connait la position exacte de l'émetteur, alors on peut connaître précisément la position du récepteur. Dit autrement, avec un calcul « simple » (et à défaut, répétable) et la position connue d'un satellite, on peut connaître sa position sur Terre.

La constellation telle qu'elle fut imaginée au début des années 60. Crédits JHUAPL
La constellation telle qu'elle fut imaginée au début des années 60. Crédits JHUAPL

L'agence de recherche de la défense américaine, la DARPA qui vient d'être créée, va soutenir le projet qui intéresse beaucoup l'US Navy. Il faut aller vite, car il est bien possible que les scientifiques soviétiques se soient penchés sur le même sujet... Le programme s'appellera Transit, et le principe est relativement simple. Il s'agit dans un premier temps d'envoyer un satellite de démonstration capable d'émettre en continu sa position orbitale vers le sol à des fréquences données. Une station au sol se charge de lui envoyer périodiquement des corrections, tandis que les prototypes de récepteurs (qu'il faut coupler à de très gros ordinateurs pour obtenir rapidement le résultat du calcul Doppler) tentent d'obtenir leur position. Pour un programme qui nait la même année qu'Explorer-1, et dans un contexte où il est encore particulièrement difficile d'atteindre l'orbite, c'est très, très ambitieux…

Une idée moderne !

D'ailleurs, le lancement du prototype en septembre 1959 est un échec : il faudra attendre plus de six mois, le 13 avril 1960, pour que Transit-1B arrive en orbite. Mais les chercheurs de Baltimore ont bien travaillé : la théorie et leurs calculs fonctionnent ! Pour autant, il reste encore à mettre en place une série de satellites. Ces trois premières années de « course à l'espace » ont permis de bien progresser, et les projets de constellations de petites unités fleurissent : certains pour les capacités radar, d'autres pour des bobines de films à haute résolution… Et les satellites Oscar pour le projet Transit.

Superposition de Transit 4A avec les satellites Greb-3 (en haut) et Injun (milieu) avant leur décollage. Crédits John Hopkins University, Applied Physics Laboratory

Une constellation de 5 satellites opérationnels, à 1 100 km d'altitude et sur une orbite polaire pure, passant quasi-exactement au-dessus du pôle, avec plusieurs unités « de secours » en cas de panne ou d'échec au lancement. Pas facile d'ailleurs de devoir miniaturiser le matériel lorsque les fusées permettant d'emmener ces petits bijoux de technologie imposent des charges utiles sous les 100 kg… Les premiers satellites opérationnels décollent en 1962, et l'US Navy commencera à se servir régulièrement de la technologie Transit en 1964.

Le nucléaire au secours de Transit ?

C'est un problème récurrent avec les premières familles de satellites des grandes nations spatiales : comment les faire entrer dans des lanceurs qui ont de faibles capacités tout en gagnant en performances ? Les panneaux solaires photovoltaïques en sont encore à leurs balbutiements, les rendements sont mauvais, les composants tombent en panne et les batteries ont des progrès à faire. Alors pourquoi ne pas utiliser le nucléaire ? Le secteur, passez-nous l'expression, est en plein boom. Depuis quelques temps, de nouveaux appareils ont fait leur apparition, capables de générer de l'électricité en convertissant la chaleur de palets de plutonium enfermés dans des containers étanches.

Le domaine est si prometteur qu'un premier générateur thermoélectrique radioactif (RTG) est installé sur deux prototypes Transit-4A et Transit 4B. Et ça fonctionne… de façon très limitée, l'engin délivrant 2,5 watts de puissance (soit moitié moins qu'un port USB). Reste que cette recherche est prometteuse. Malgré la production limitée de plutonium et le fait que la NASA tente d'en récupérer un maximum pour ses missions au long cours qui se dessinent, notamment sur la Lune, plusieurs satellites Transit utiliseront des réacteurs RTG de la génération SNAP-9.

Fierté pour Martin Marietta (devenu Lockheed Martin) d'avoir assemblé le satellite Transit 4A, le premier à embarquer un dispositif nucléaire sur un satellite. Crédits Lockheed Martin

Malheureusement en 1964 lors d'un échec au lancement, le RTG d'un satellite Transit est désintégré dans l'atmosphère, répartissant environ 1 kg de plutonium 238 dans l'atmosphère de l'hémisphère sud. Même si sur le plan sanitaire l'événement a un impact absolument négligeable (rappelons qu'à l'époque les tests de bombes thermonucléaires ne s'embarrassent pas de pincettes), l'US Navy et la DARPA décident de freiner la généralisation de cette technologie, axant plutôt leurs efforts sur de meilleurs panneaux solaires.

2 minutes en surface pour connaître sa position

Transit a donc fonctionné de 1964 jusqu'en 1996, supplanté dès la moitié des années 80 par l'utilisation d'une autre constellation, le GPS. Par contre, il était à la fois efficace et rapide pour son temps : un récepteur immobile pouvait obtenir en deux minutes environ sa position sur le globe, avec une précision garantie de 200 m (et dans les faits souvent inférieure à 50 m). Une prouesse pour l'époque, puisque l'US Navy l'utilisera d'abord pour ses sous-marins afin de recalibrer leur centrale inertielle et d'ajuster les coordonnées des missiles balistiques qu'ils embarquent. Deux minutes de navigation au périscope !

Pas question d'envoyer un de ces engins avec les mauvaises coordonnées (déjà qu'avec les bonnes...). Crédits US. Navy

Seul problème dans les premières années du programme, le calcul rapide du décalage Doppler nécessitait un ordinateur : il a fallu en redessiner un modèle spécifique car les unités en service dans la Navy ne passaient pas l'écoutille des sous-marins… Au début des années 80, Transit est anecdotiquement utilisé pour quelques applications civiles, et permettra même, grâce à un récepteur, de recalculer la hauteur du Mont Everest.