L'un des clichés emblématiques de ces six premiers mois : le duo Perseverance et Ingenuity, juste après qu'il ait déposé le petit hélicoptère. Crédits NASA/JPL-Caltech
L'un des clichés emblématiques de ces six premiers mois : le duo Perseverance et Ingenuity, juste après qu'il ait déposé le petit hélicoptère. Crédits NASA/JPL-Caltech

Six mois déjà ont passé depuis l’atterrissage du plus ambitieux rover de la NASA sur le sol de Mars. L’exploration du cratère Jezero a commencé à petit rythme, mais tout (ou presque) se passe bien, confirme Erwin Dehouck, enseignant-chercheur au Laboratoire de Geologie de Lyon (Terre, Planètes, Environnement) qui a bien voulu répondre à nos questions.  

Voir les équipes du JPL exploser de joie le 18 février dernier représentait la promesse d’un début de mission, avec de nouvelles images de Mars et une nouvelle aventure à suivre sur la planète rouge. Avec Perseverance, le plus lourd des rovers envoyés sur la planète rouge enfin posé dans le cratère Jezero, la NASA a réussi une étape capitale qu’elle préparait depuis pratiquement une décennie.

Beaucoup de plaisir et beaucoup de travail

« Pour nous, cela a été avant tout un grand soulagement, car l’atterrissage sur Mars est la phase la plus délicate, où le moindre problème peut conduire à la perte totale de la mission » confirme Erwin Dehouck. « Puis, très rapidement, nous avons réalisé l’ampleur de la tâche à accomplir collectivement : s’occuper du rover au jour le jour pendant de nombreuses années à venir, reconstituer le puzzle de l’histoire géologique du site, et bien sûr sélectionner les roches les plus intéressantes pour le retour d’échantillons. C’est évidemment très excitant, mais un peu vertigineux aussi ! ». Reste qu’avant tout, il fallait du temps pour tester les différents instruments, et se préparer en fonction du site d’atterrissage (nommé Octavia E. Butler) à démarrer la campagne scientifique.

Piou piou piou piou ! Une "rafale" d'impacts laser de SuperCam observée grâce à l'instrument optique RMI (qui fait aussi partie du boitier). Crédits NASA/JPL-Caltech/LANL/CNES/IRAP
Piou piou piou piou ! Une "rafale" d'impacts laser de SuperCam observée grâce à l'instrument optique RMI (qui fait aussi partie du boitier). Crédits NASA/JPL-Caltech/LANL/CNES/IRAP

Après quelques jours, toutes les caméras du rover envoient des images plus détaillées que jamais (plus de 125 000 aujourd’hui) et les communications fonctionnent à plein régime. Puis en quelques semaines, les équipes testent la propulsion, l’ensemble scientifique SuperCam et les articulations du grand bras robotisé situé à l’avant. Chaque avancée est le témoignage d’années de travail pour arriver à quelque chose qui fonctionne « simplement » sur la planète rouge !

Ensuite, ce sont les caches qui protègent l’hélicoptère Ingenuity qui sont déposés au sol, et le petit birotor lui-même est déployé sur Mars, entre le 26 mars et le 13 avril. En attendant le premier vol, les scientifiques testent MOXIE, un petit boitier qui réussit comme prévu à générer de l’oxygène à partir du CO2 martien (et grâce à l’énergie du rover). Puis après le premier vol de l’hélicoptère, qui entame plusieurs mois de « sauts de puce » toujours plus ambitieux, les équipes préparent déjà le grand parcours…

Ne pas faire n’importe quoi aux commandes

Le 1er juin, la campagne scientifique du rover commence officiellement, et là encore ce sont des opérations préparées très en amont pour ceux qui participent à l’aventure. « Je participe à la mission en tant que scientifique », explique E. Dehouck. « Plus précisément, je suis membre de l’équipe SuperCam, l’un des principaux instruments d’analyse à bord de Perseverance. Mon rôle est double. D’une part, je participe à la planification des activités de l’instrument et du rover au quotidien : cela consiste notamment à choisir les cibles à analyser, à paramétrer correctement l’instrument, à s’assurer que la cible ne sera pas à l’ombre au moment de l’observation, etc. D’autre part, je participe à l’interprétation des données collectées pour mieux comprendre la géologie de notre site d’atterrissage, le cratère Jezero ».

Même sans être chercheur, on peut s'accorder là dessus : Jezero, c'est très scénique. Crédits NASA/JPL-Caltech

SuperCam est un « couteau suisse » scientifique, un boitier situé en haut du mât du rover (partie visible) et une suite instrumentale répartie entre le mat et le cœur de la caisse de Perseverance, en plus des cibles d’étalonnage situées à l’arrière de la grande astromobile. Conçu entre les Etats-Unis et la France (c’est la principale contribution de notre pays à la mission), les deux pays s’en partagent la responsabilité. SuperCam est équipé d’un laser qui pulvérise la roche jusqu’à 7 mètres (dont le résultat est analysé par le spectromètre LIBS), d’un laser vert qui permet au spectromètre Raman une identification des minéraux, et du spectromètre VISIR qui observe la lumière solaire réfléchie par les roches. La caméra RMI permet d’identifier avec précision les « cibles » pour le laser et d’observer les impacts, tandis que le microphone enregistre les sons des impacts laser.

L’instrumentation est beaucoup plus détaillée que sur le cousin de Perseverance présent depuis 2012 sur la surface de Mars, Curiosity. « Avec ChemCam, le prédécesseur de SuperCam sur Curiosity, nous pouvons mesurer la composition chimique des roches autour du rover tout le long du trajet. La difficulté, c’est que l’on peut retrouver à peu près les mêmes éléments chimiques dans des minéraux formés dans des conditions très différentes. Pour connaître la minéralogie précise d’une roche, il faut donc faire appel à d’autres instruments (CheMin et SAM) qui sont alimentés par la foreuse (et qui nécessitent beaucoup de manipulations). Or, celle-ci ne peut être utilisée que ponctuellement. »

« Sur Perseverance, SuperCam combine l’analyse chimique avec deux techniques complémentaires (la spectrométrie Raman et la spectrométrie de réflectance visible/proche-infrarouge) qui nous renseignent sur la façon dont les éléments chimiques sont liés entre eux. Cela nous donne un aperçu de la minéralogie, et nous aide donc à mieux comprendre le mode de formation et les altérations subies par les roches que nous rencontrons en chemin. Enfin, le microphone de SuperCam fournit aussi des informations précieuses : en écoutant l’impact du laser sur les roches, il nous renseigne sur leur dureté, et peut dans certains cas révéler la présence d’une couche superficielle de composition différente ».

Certaines roches sont évidemment plus complexes que d'autres... Crédits NASA/JPL-Caltech

Trous de laser, tours de roues et forage… vide

« La phase de test et d’étalonnage a été assez longue, car c’est un instrument complexe qui met en œuvre plusieurs techniques d’analyse, mais aujourd’hui, SuperCam fonctionne super bien ! Hormis quelques détails à peaufiner, nous sommes désormais en rythme de croisière : en moyenne, nous analysons au moins une cible martienne chaque jour, le plus souvent en combinant deux ou trois techniques. Pour nous les scientifiques, cette masse de données est une véritable mine d’or », confirme le planétologue.

Il ne faut pas oublier qu’il ne s’est écoulé que six mois depuis l’atterrissage, ce qui signifie que les premiers articles scientifiques majeurs (à comité de lecture) sur les résultats de mesures ne seront probablement pas publiés avant cet automne… et peut-être plus tard, le temps de prendre en compte les données des premiers grands sites d’intérêt. Car ce n'est qu'en juin que Perseverance a mis le cap au Sud, vers une zone surnommée CFFR (« Cratered Floor Fractured Rough ») et un banc de sable imposant appelé Séitah.

« Le rover n’a encore visité qu’une petite zone pour le moment », détaille E. Dehouck, « mais les roches rencontrées en chemin ainsi que les observations à distance (notamment avec le télescope de SuperCam) confirment que les zones que nous traversons ont beaucoup à nous apprendre sur l’histoire de Mars. Nous observons aussi beaucoup plus de diversité que ce qu’il était possible de distinguer depuis l’orbite… Et pourtant ce sont sur ces données et leur étude approfondie que le cratère Jezero a été sélectionné ! ». Avec plusieurs arrêts en juin et juillet et l’étude détaillée de nombreuses roches et zones minérales différentes. Perseverance a tenté son premier forage le 5 août, sur une zone sédimentaire plane nommée Roubion.

Ah il faut avouer, c'est un très joli trou. Crédits NASA/JPL-Caltech

Tout semblait se passer à merveille, notamment parce que les équipes ont pris le temps de faire des essais en analysant le sol. Sur les clichés, le forage est une réussite, et le petit trou dans le sol est bien net. Mais bien vite, l’ambiance est retombée lorsque le tube scellé contenant l’échantillon (le premier des 42 dont dispose la mission) s’est révélé vide. « C’est la seule mauvaise surprise avec Perseverance jusqu’à présent, ce premier carottage qui n’a pas bien fonctionné, mais cela semble dû à un comportement inattendu de la roche choisie plutôt qu’à un souci technique avec le système de prélèvement. L’équipe avait pourtant soigneusement sélectionné le premier site à carotter… Malheureusement, la roche s’est avérée trop friable et le tube de prélèvement est vide. Même si ce n’était pas le résultat espéré, c’est tout de même notre premier échantillon ! Il pourrait servir d’échantillon atmosphérique, ce qui est intéressant aussi. »

De l’air, de l’air et pas de poussière

Bien sûr, c’est un coup de pression pour la mission, puisque l’objectif final consiste quand même à récolter plusieurs types de sédiments de plusieurs sites autour de Jezero pour les ramener sur Terre d’ici une décennie… Mais étant donné les retours de données lors du premier essai, les scientifiques semblent confiants pour pouvoir réitérer l’expérience dans les semaines à venir. Perseverance s’est déjà replacé sur un nouveau site appelé « Citadelle ».

La tête de forage de Perseverance, à l'inspection quelques jours après son premier trou en ce mois d'août. Crédits NASA/JPL-Caltech

Il faut dire que la zone n’est pas un simple terrain d’essai : il y a un véritable intérêt à ramener de la poussière martienne depuis le CFFR. « Une autre option était de partir vers le nord-ouest et de « foncer » vers le delta du cratère Jezero, mais cela n’a pas été retenu car le fond du cratère Jezero est intéressant à plusieurs titres. D’abord car sa nature (sédimentaire ou volcanique) est difficile à déterminer avec les observations orbitales, il faut donc trancher ce débat. Ensuite, c’est une unité suffisamment étendue pour pouvoir y recenser les cratères d’impact, qui nous servent d’horloge géologique (plus une surface est cratérisée, plus elle est ancienne). En rapportant sur Terre un échantillon de cette unité, il sera possible de le dater précisément et ainsi de calibrer l’échelle des temps géologiques martienne, comme cela a été fait pour la Lune avec les échantillons Apollo », détaille Erwin Dehouck.

Vol au-dessus d’un nid de cailloux

Plus surprenant encore, le petit hélicoptère Ingenuity a dépassé toutes les attentes. Tandis qu’il ne s’agissait que d’une démonstration technologique (il fallait montrer que, conformément aux calculs et simulations, l’exploit était possible), l’appareil birotor a réussi son 12e vol le 16 août dernier. Et les équipes n’hésitent plus à lui donner des objectifs très ambitieux : son plan de mission le fait décoller, puis voler à 10 mètres d’altitude sur plus de 200 mètres, avant de le décaler un peu pour pouvoir générer des images stéréoscopiques avec sa caméra couleur à bord…

Ingenuity a déjà parcouru plus de 2 kilomètres, et ses capacités de reconnaissance servent aux équipes scientifiques du rover, qui évolue non loin et finit parfois par le rattraper… « Ingenuity est devenu en quelque sorte notre éclaireur. Il a même survolé la zone sableuse, Séitah, que Perseverance est en train de contourner car elle serait trop difficile à traverser pour lui. Même si Ingenuity n’a aucun instrument pour déterminer la composition des roches, ses images permettent de voir si celles-ci sont bien exposées, ou si elles sont au contraire recouvertes de poussière et de sable, ce qui est une information intéressante pour planifier le trajet du rover ». Des retours qui dépassent donc largement la simple reconnaissance de terrain !

D’autant plus que les données de vol (pratiquement 19 minutes en l’air) vont alimenter les bases de données et les simulations pour de futures aventures, au-delà du début des années 2030. Ce nouveau potentiel ne restera pas inexploré, confie E. Dehouck : « À beaucoup plus long terme, le succès d’Ingenuity laisse entrevoir la possibilité d’un nouveau type de missions martiennes, basées sur des véhicules volants plutôt que roulants. Ce n’est plus de la science-fiction ! Certains de mes collègues réfléchissent déjà à des instruments suffisamment légers pour pouvoir être embarqués sur d’éventuels successeurs d’Ingenuity… »

L’automne pas monotone

De nouveaux tours de roues, un essai de forage à venir, un long parcours devant lui et même un petit éclaireur qui survole les dunes en avant… L’automne sera chargé pour la cohorte d’ingénieurs, de chercheurs et de responsables qui s’occupent de Perseverance et de la mission Mars2020.

« Oui, le bilan est très bon ! Avant toute chose, le rover et ses instruments fonctionnent bien, il y a globalement très peu de problèmes techniques, ce qui est une excellente nouvelle. L’équipe fonctionne bien également, malgré le contexte sanitaire qui nous empêche de nous rencontrer en personne pour faire davantage connaissance et échanger plus directement sur les résultats scientifiques. En parallèle maintenant, nous savons que la préparation de la mission Mars Sample Return (MSR) avance bien, il faut donc de notre côté remplir notre « part du marché » : nous sommes à la recherche d’une autre roche à carotter, en espérant que l’échantillon reste intact cette fois-ci ! ». Un savant mélange de défis présents et de préoccupations d’avenir… dont il ne faut pas oublier la chance que représente le fait de pouvoir les aborder, alors que le robot évolue à plus ou moins 225 millions de kilomètres des bureaux !

Les roues de Perseverance ont l'air de très bien résister au sol du cratère Jezero, de bonne augure pour la suite ! Crédits NASA/JPL-Caltech

Toute l'équipe de Clubic tient à remercier Erwin Dehouck, enseignant-chercheur au Laboratoire de Geologie de Lyon (Terre, Planètes, Environnement), pour avoir pris le temps de répondre à nos questions.