Après Spoutnik, le prochain objectif de prestige de la course à l'espace ne fait aucun doute : les grandes puissances se battront pour l'Homme dans l'espace ! Sur le plan humain, les États-Unis font leur choix, et la sélection avance vite. Mais la capsule prend du retard… Et comment s'entraîner pour l'inconnu ?
Mais cette fois, ils seront les premiers, non ?
Choisir, choisir…
L'année même de la création de la NASA depuis un ensemble hétéroclite de centres de recherches, de volontés différentes et d'une agence nationale jusqu'alors trop faiblement dotée, il faut prendre des décisions cruciales pour prendre le leadership sur le vol habité. Le point noir est connu, ce sont les lanceurs.
En 1958, l'US Air Force continue de promettre que sa fusée Atlas sera prête à temps. Le programme habité prend un nom, ce sera Mercury. Le but est de savoir quels profils sélectionner pour le vol spatial, et il s'agit alors d'un grand pas vers l'inconnu.
Les responsables du programme se réunissent en décembre et font face à un dilemme. En effet, la NASA est un organisme public civil, il ne dépend pas de la Défense, et tout est fait pour séparer les activités de l'agence avec celles des militaires. Mais, pour répondre aux critères du vol spatial, les profils qui semblent les plus adaptés aux yeux des responsables sont ceux des pilotes d'essai des avions chasse… Faudrait-il tout de même faire une sélection ouverte à tous, pilotes, aventuriers, plongeurs sous-marins ? La jeune agence doit se décider vite et ne veut pas s'engager dans un processus qui va générer des milliers de candidatures.
Place aux hommes
Avant le réveillon de la fin d'année, Eisenhower tranche : va pour débaucher des militaires. Ironiquement, ce choix fera débat quelques décennies plus tard, car il y avait bien sûr d'autres possibilités.
Sélectionner des pilotes de chasse issus des programmes d'essai est un choix qui garde une logique, mais qui exclut de fait les femmes, par exemple. Pourtant, ces dernières ont montré, au cours d'une initiative privée financée quelques mois plus tard, qu'elles étaient capables de passer les mêmes tests que leurs homologues masculins. Le groupe féminin ira jusqu'à se faire appeler les Mercury 13.
Mais retour au début de l'année 1959 : dans les différentes armées, la nouvelle fait rapidement le tour des escadrilles, et pour cause… Les militaires ont transmis les noms de leurs pilotes d'essai à la NASA, qui réalise dès le début d'année un premier tri. Il reste du choix entre les pilotes de l'US Air Force, ceux de l'US Navy, les pilotes de l'US Army et même les Marines. 508 dossiers…
Deux groupes de 34 candidats sont discrètement invités à Washington en février. La hiérarchie leur propose un détachement d'une durée indéterminée à la NASA avec une possible réintégration militaire s'ils le souhaitent. Tout se fait sur la base du volontariat, et tous ceux qui s'engagent pour des missions spatiales doivent savoir qu'il s'agira d'une aventure risquée et qu'il y aura beaucoup de tests.
Après quoi, les comités font des entretiens, des tests de QI, de mathématiques et de logique. Il reste toujours 32 candidats après cette première phase, et c'est trop. Les tests médicaux ? Ils les passent tous… Sauf un, Jim Lowell (et c'était une erreur, il deviendra d'ailleurs astronaute, mais plus tard). Alors, les tests physiques ont lieu entre février et mars. Puis, un nouveau tour de table avec des entretiens. La NASA ne devait en choisir que 6, mais elle n'arrive pas à se décider. Ce seront donc les Mercury Seven.
Célébrités longtemps avant de voler
Le 9 avril 1959, la NASA est prête à présenter à la presse et au monde sa première sélection d'astronautes (et utilise à cette occasion le terme « astronaute », uniquement en usage dans la science-fiction jusque-là).
On retrouve ainsi Scott Carpenter, Gordon Cooper, John Glenn, Gus Grissom, Wally Schirra, Alan Shepard et Deke Slayton. Ils sont tous mariés, blancs, ont entre 32 et 37 ans, sont protestants. Bref, ils correspondent au plus près au « profil type » mis au point par l'administration. Leur seule rivalité ? Trois d'entre eux viennent de la Navy, trois autres de l'Air Force, et John Glenn est un Marine. Pour le reste, habitués à la vie discrète et studieuse (bien qu'aventureuse en l'air) de pilotes d'essai et de chasse active, ils découvrent, dès ce 9 avril, une célébrité nouvelle, avec un parterre de journalistes, des questions sur leur vie personnelle, leur famille et leur ressenti.
Les astronautes d'alors ne sont pas assignés comme aujourd'hui au centre Johnson, à Houston (Texas). Au contraire, ils sont rattachés au STG, le Space Task Group, qui gère le projet Mercury depuis le centre de recherche spatiale de Langley, en Virginie. Et, contrairement à la sélection soviétique (qui a lieu plus tard), chacun d'eux est très impliqué dans le développement de la capsule Mercury, les systèmes de bord, le lanceur ou les systèmes de sauvegarde. Une façon particulière d'embarquer les futurs astronautes qui ne sont pas que les « visages publics » du programme… alors qu'ils savent bien qu'une fois dans l'espace ou même en orbite, ils n'auront, si tout va bien, pas tant à faire.
Les faits et gestes des Mercury Seven, qui deviennent des hérauts du « american way of life », sont scrutés en permanence. Certains jouissent sans regrets de cette renommée, en particulier pour séduire les femmes… D'autres se plongent dans le travail. Tous, cependant, sont conscients qu'il faut aller vite pour battre les soviétiques.
Les voyages forment les astronautes
Leur retour d'expérience en tant que pilotes d'essai porte ses fruits, même si toutes les demandes n'aboutissent pas. Ils réussissent par exemple à obtenir qu'un hublot soit placé devant l'occupant de la capsule… Ils font aussi de réguliers aller-retours en Floride à Cape Canaveral, où se tient le centre de contrôle de Mercury et d'où sont gérés les préparations et les essais en vol.
Tout cela coûte cher en transport, et les différentes branches armées n'apprécient pas vraiment de voir ces « pilotes détachés » leur emprunter des chasseurs à la moindre occasion pour parcourir les États-Unis. La NASA finira par acheter des appareils T-38 supersoniques qui serviront aux astronautes pour qu'ils pratiquent et s'entraînent en vol, mais aussi pour qu'ils rejoignent les différents centres répartis sur le territoire.
Ne pas oublier le danger…
Lors de la sélection des astronautes, le premier vol habité de Mercury est prévu le 26 avril… 1960 ! Mais il y a de longs retards pour la capsule, pour son lanceur et pour sa trajectoire. C'est ce qui explique la différence entre la sélection très tôt et la véritable date du premier vol, qui aura finalement lieu le 5 mai 1961. Et même si les premiers décollages seront suborbitaux, avec un amerrissage au large, les astronautes subissent aussi plusieurs stages de survie : dans l'eau pour apprendre à se défaire d'une toile de parachute, dans la jungle aussi, le désert… Il s'agit également de former un « esprit de corps » dans ce groupe sous tension. Car il y a des envies (chacun veut voler en premier et entrer dans l'Histoire) et des dangers : les astronautes eux-mêmes ont calculé une haute probabilité que l'un des 7 meure dans l'aventure Mercury.
Au fil des simulations et des progrès, les responsables ont déjà sélectionné leur favori pour le premier vol américain : ce sera Alan Shepard… qui se désespère même en coulisses que la NASA préfère effectuer plus d'essais avec des macaques et chimpanzés. Il veut voler. Mais, le 12 avril, pas de chance, ce n'est pas lui qui s'envole pour devenir le premier humain à franchir la frontière de l'espace.