Du pas de tir jusqu'à sa cible... sans oublier le retour ! Orion aura fort à faire © NASA
Du pas de tir jusqu'à sa cible... sans oublier le retour ! Orion aura fort à faire © NASA

De retour sur leur site de lancement depuis quelques jours, ca y est, cette fois, le Space Launch System (SLS) et la capsule Orion ont enfin décollé pour la mission Artemis-I.

Objectif Lune ? Certes, mais comment et pour quoi faire ? Que retrouve-t-on dans cette fameuse capsule, et que va tester la NASA ces 4 prochaines semaines ? En tout cas, l'excitation est à son comble.

12 ans de préparation, un seul décollage vers l'orbite

C'est un événement que certains journalistes et rédacteurs espace pensaient bien ne jamais voir arriver. Pensez donc : la capsule Orion est issue des travaux du projet Constellation, mis en place sous l'administration Bush en 2004 ! Et SLS, le « nouveau » lanceur géant de la NASA, a vu le jour sur le papier en 2010. De voir ce duo opérationnel sur son site de lancement est une finalité en soi, et une victoire certaine pour l'agence américaine comme pour ses industriels de référence.

SLS et Orion ont survécu aux retards, aux ennuis techniques, aux tests à répétition, aux atermoiements politiques… Avec un chemin aussi long et tortueux, celui pour l'orbite paraîtra bien court ! Reste que le domaine spatial, et celui des lanceurs en particulier, ne laisse pas de place à l'erreur. Et ce qui n'est parfois qu'une marge mal rentrée dans un programme peut transformer en quelques secondes cette mission à plusieurs milliards de dollars en un humiliant spectacle pyrotechnique.

Heureusement, grâce à toutes les simulations, l'impensable n'a pas eu lieu. En Floride, et dans l'ensemble des Etats qui ont participé au programme, la tension était à son comble… Mais le Space Launch System n'a pas failli, et la capsule Orion a pu décoller vers la Lune.

Les anciens se souviennent que longtemps, SLS était présentée comme ceci... © NASA
Les anciens se souviennent que longtemps, SLS était présentée comme ceci... © NASA

Starting blocks

SLS se trouvait sur son site de lancement depuis le 17 août, et même si tous les signaux étaient au vert pour un décollage le 29, différents problèmes techniques dont quelques fuites sur les lignes d'approvisionnement en hydrogène et un problème de capteur sur le système de refroidissement moteur ont fait échouer deux tentatives d'affilée. Puis le tir, prévu en septembre, a été annulé à cause de l'ouragan Ian… SLS a même été ramenée à son hangar. Puis elle en est sortie le 4 novembre, avant de subir les assauts d'une nouvelle tempête tropicale, Nicole !

Mais elle a finalement décollé le 16 novembre à 07h47(heure de Paris) ! Avec 36,3 MN de poussée, lorsque le speaker a atteint le « zéro », ce fut le décollage orbital de la plus puissante fusée américaine jamais conçue (la légendaire Saturn V elle-même avait 15 % de poussée en moins). Le Space Launch System profite lors d'une première phase de la montée du puissant apport de ses deux boosters à propulsion solide, eux aussi les plus grands et lourds à s'élancer vers l'orbite (3,71 m de diamètre, 45,5 m de long et 590 tonnes chacun sur la balance !).

SLS les éjecte ensuite après 2 minutes et 12 secondes de vol pour continuer avec la seule poussée de ses quatre moteurs RS-25 hérités du programme de navettes STS. L'étage central de la fusée arrive lui-même en orbite très basse en se séparant de l'étage supérieur après 8 minutes et 20 secondes, et à plus de 160 km d'altitude… Selon les calculs de la NASA, il lui faut plus de 1 h 45 de vol pour retomber dans l'océan Pacifique !

L'étage central de la fusée géante SLS. Il aura fort à faire... © NASA

La première phase du décollage est alors terminée, mais la capsule Orion a encore plusieurs manœuvres à subir avant d'être larguée en route vers la Lune. C'est le rôle de l'étage supérieur ICPS, qui accélère une première fois l'ensemble à T+54 minutes, puis une seconde fois après une orbite complète au-dessus des États-Unis, à T+1 h 26 minutes. Cette dernière manœuvre est ce que l'on appelle un « TLI », pour Trans-Lunar Injection burn, c'est-à-dire l'allumage moteur qui envoie Orion sur sa trajectoire sélène. Enfin, 2 h 05 après son décollage, la mission du lanceur SLS est terminée lorsque la capsule Orion et ses 25,8 tonnes sont éjectées avec succès. Rien ne doit rater au cours de ces étapes, sous peine d'amputer sérieusement la mission, voire de la rater purement et simplement.

Le complexe voyage de la capsule Orion

26 jours, 10 heures et 53 minutes : c'est la durée estimée de la mission Artemis-I au complet jusqu'à son retour le 12 décembre. Mais pour ce trajet de 2,1 millions de kilomètres autour de la Lune, les équipes de la NASA au centre de contrôle de Houston ne resteront pas les bras croisés. Orion part officiellement pour une « orbite distante rétrograde ». Dans le détail, elle partira d'abord pour un long trajet d'approche de six jours, qui enveloppera la Lune d'abord de très loin, puis de plus près, et même jusqu'à un passage excitant à 100 kilomètres à peine de la surface lunaire ! Ce sera une bonne occasion de tester la précision de la navigation et des commandes… À peine éloignée de la Lune, la capsule Orion allumera ensuite son moteur de manœuvre principal pour s'insérer en orbite distante rétrograde (DRO) : elle tournera dans le sens inverse de la rotation lunaire, à pratiquement 70 000 kilomètres d'altitude. Cette phase dure à son tour un peu plus de deux semaines, 16 jours au maximum.

Cette fois, c'est l'action de l'environnement lunaire sur une capsule habitée sur une mission « longue » qui sera au centre des observations. Orion y restera une demi-orbite, avant une manœuvre de retour vers la Terre, qui utilisera une nouvelle fois la Lune comme une fronde : plongée garantie vers la surface, passage proche et action moteur impeccables seront nécessaires au bon moment pour se propulser vers la planète mère… pour un amerrissage prévu sous parachutes, avec beaucoup de cotillons et un navire de l'US Navy au large de la Californie et du port d'attache de San Diego. Contrairement à la mission de SLS qui se compte en minutes, Artemis-I ne sera totalement réussie que lorsque la capsule pressurisée de 10,3 tonnes sera récupérée en mer. Ce qui fait un nombre impressionnant d'étapes à valider.

Vue d'artiste de la capsule Orion juste avant la séparation du module de service et l'entrée atmosphérique © NASA

Tester une capsule lunaire, pas une mince affaire

Dès qu'elle est en orbite, avant même d'être séparée de l'étage supérieur de la fusée SLS, la capsule Orion étend ses quatre panneaux solaires. Ces derniers sont indispensables pour les futures missions habitées comme pour cette aventure de 26 jours qui fait office de « répétition générale ». Mais il ne s'agit pas que d'apporter de l'énergie électrique. Il y a aussi de petites caméras de vérification disposées tout au bout des panneaux et qui devraient apporter leur lot de belles images. Mais les panneaux devront aussi adopter plusieurs positions particulières en fonction des phases d'Artemis-I, un peu comme les ailes à géométrie variable de certains chasseurs.

De façon générale, ce vol met à rude épreuve le travail des Européens, qui ont fourni le module de service de la capsule : propulsion, réservoirs pressurisés, réserves d'air et d'eau, régulation thermique, alimentation électrique… Le module de service, ses 33 moteurs et ses 11 kilomètres de câble sont la raison principale pour laquelle les missions Artemis pourront durer un mois et demi au lieu des 10 à 12 jours maximum des missions Apollo.

Bien sûr, la capsule elle-même est bardée de capteurs, bien plus que pour son unique vol orbital de décembre 2014. Pression de l'air, radiations dans l'ensemble de la capsule, opacité des hublots, impacts de micrométéorites sur les parois : tout ce qui est mesurable sera quantifié ! Il y aura même une expérience nommée Callisto à bord dont le but sera de tester l'interface Alexa et d'organiser un appel WebEx. Les expériences rendent également le retour d'Orion sur Terre souhaitable, car le lien entre le véhicule et le centre de contrôle au sol ne saurait s'accommoder d'autant de données !

Seule la capsule, située au-dessus des logos NASA et ESA tout en haut, reviendra de cette aventure © NASA / Frank Michaux

Après le passage « en rase-mottes » près de la surface lunaire, les équipes observent en particulier la phase de retour, avec une accélération à presque 40 000 km/h et un échauffement du bouclier d'Orion pour son entrée atmosphérique qui montera à 2 800 degrés Celsius. Une paille… Enfin, Artemis-I s'inscrit dans un cadre bien plus large qu'une seule mission, et plusieurs éléments (l'avionique en particulier) voleront une deuxième fois. Lockheed Martin fera donc des pieds et des mains pour la récupérer en bon état, même si c'est bien la NASA qui est aux commandes.

Des objectifs secondaires (mais indispensables)

Il y a de très nombreuses missions dans la mission Artemis-I. D'abord, il y a sur l'adapteur entre la capsule Orion et l'étage supérieur de SLS dix « microsatellites » au format CubeSat qui pèsent en moyenne 25 kg et qui mesurent (pour la majorité d'entre eux) 10 x 20 x 30 cm de long. Ces derniers seront éjectés après Orion, ce qui signifie qu'ils seront déjà sur une trajectoire vers la Lune. Ils profitent donc du voyage et couvriront un large champ d'étude de l'environnement sélène… qui gagnera par la même occasion plusieurs petits satellites !

Lunar IceCube étudiera la répartition de glace d'eau, LunaH-Map cartographiera la répartition de l'hydrogène, et LunIR améliorera les mesures existantes avec une étude détaillée dans l'infrarouge. Deux satellites (CuSP et BioSentinel) relèveront quant à eux les radiations de l'environnement lunaire et leurs effets sur des levures monocellulaires, mais les autres n'étudieront pas spécifiquement la Lune. EQUULEUS étudiera l'environnement au point de Lagrange Terre-Lune L2, ArgoMoon est un fascinant petit satellite d'inspection qui photographiera l'étage supérieur de SLS plusieurs heures après la fin de sa mission, tandis que Team Miles utilisera une nanopropulsion plasma qui l'accélérera dans l'espace profond. Enfin, NEA Scout utilisera une voile solaire pour se diriger (lentement) vers un astéroïde géocroiseur durant les prochaines années.

La grande voile solaire du petit satellite NEA Scout © NASA / MSFC

D'autre part, la NASA a listé 13 « objectifs secondaires » qui visent en particulier à tester des méthodes et technologies pour les futures missions Artemis, ou bien à pousser un peu la technologie liée à Orion dans ses retranchements. Il y aura par exemple des allumages des propulseurs auxiliaires d'Orion pour tester les limites des contraintes mécaniques sur les panneaux solaires, le taux de rotation et les vibrations de la structure ainsi que le test des caméras de navigation pour la validation du positionnement en complément des outils de suivi d'étoiles. D'autres tests concernent l'utilisation du Wi-Fi pour communiquer avec les caméras situées au bout des panneaux, un protocole de communication avec des paquets plus importants pour les transferts de données, ou la vérification des modèles physiques prévoyant le comportement du carburant au sein des réservoirs (« propellant slosh », en anglais).

Enfin, on retrouve des essais post-amerrissage, comme l'activation d'une balise SARSAT pour retrouver et positionner la capsule Orion, ou une pause contrôlée du système de refroidissement afin de mesurer l'environnement immédiat du module pressurisé. Chaque équipe aura son avalanche de données !

Campos, les mannequins et les drapeaux

Il ne vous aura pas échappé qu'il n'y a pas d'astronautes à bord de la mission Artemis-I. La NASA, malgré un nombre important de tests au sol, se servira des résultats pour répliquer (plus ou moins à l'identique) cet original tour de Lune fin 2024, cette fois avec deux ou trois personnes à bord. En attendant, Orion n'est pas entièrement vide pour ses 26 jours de trajet. On y retrouve notamment un mannequin complet, le « Moonikin Campos », qui est amplement instrumenté et équipé d'une version modernisée de la combinaison de vol pressurisée orange portée par les astronautes des navettes STS. Sanglé dans son siège (lui aussi équipé de capteurs), Campos risque peut-être de trouver le voyage un peu long, alors il aura deux compagnons… sous forme de troncs, donc sans bras ni jambes.

Il est au taquet, Campos, il n'en peut plus d'attendre ! © NASA / Frank Michaux

Ces deux coéquipiers, Helga et Zohar, sont équipés de 5 600 capteurs passifs (et 34 actifs) et font partie de la campagne de mesure des radiations à l'intérieur de la cabine. L'un des deux troncs portera une combinaison légère de protection (Zohar), et l'autre, non : le but est justement de les comparer après la mission pour évaluer les besoins lors des futurs voyages.

On retrouve quelques autres curiosités à l'intérieur de la cabine, dans des sacs qui resteront hermétiquement fermés tout au long de la mission et qui n'ont de valeur que dans leur symbolique. Mais pensez donc, quel inventaire à distribuer (voire à revendre) ensuite : plus de 2 500 écussons de mission, autant de pin's et des centaines de drapeaux des États-Unis. Les places étaient distribuées en fonction des contributeurs à la mission, la NASA en a donc la part la plus significative, mais ULA, Lockheed Martin, Boeing et Northrop Grumman ont tous eu droit de placer quelques objets à l'intérieur. Sans originalité aucune, ils ont choisi des drapeaux de leurs États hôtes, ceux des États-Unis, des écussons, etc. À noter qu'il y aura aussi un bouton prélevé il y a plus de 50 ans sur le LEM de la mission Apollo 11, des graines de sycomores et la mascotte « Shaun le Mouton » de l'ESA.

Quand la capsule sera bel et bien récupérée dans le bassin de chargement d'un navire amphibie américain, alors ce sera gagné ! © NASA / Frank Michaux

Un retour en fanfare pour préparer l'avenir

Impossible, au moment d'écrire ces lignes, d'assurer que la mission Artemis-I sera un succès. Ni même qu'elle atterrira bien le 12 décembre : Une fois la mission démarrée, il n'y a plus qu'à découvrir de quelles erreurs on va apprendre ! Le décollage réussi est déjà un énorme succès, d'autant qu'après tant de milliards investis et tant d'années de préparation, les politiciens américains ont suivi ce décollage avec une attention toute particulière. Surtout, tout est déjà en cours pour les missions Artemis-II (le premier tour de Lune depuis les années 70 avec équipage), Artemis-III (celle qui devrait emmener des humains fouler à nouveau le sol lunaire) et même Artemis-IV, qui devrait voir l'introduction d'une version plus capable du lanceur géant SLS, pour une mission vers l'embryon de station orbitale lunaire.

Il faut donc s'attendre, en cas de succès, à un véritable déferlement d'annonces, dont certaines seront de la réelle bonne volonté teintée d'enthousiasme vis-à-vis d'une réussite historique. Et d'autres seront d'opportunistes idiomes autour d'une supposée « course à la Lune » contre la Chine et pour laquelle les États-Unis seraient logiquement en bonne place. Dans tous les cas de figure, de maintenant jusqu'à la mi-décembre, attachez vos ceintures, Artemis est arrivée !

La vraie capsule Orion d'Artemis-I, avec son module de service et l'adapteur conique à la fusée SLS © NASA / Radislav Sinyak

Le décollage est visible sur les chaînes Youtube de la NASA (y compris en version « technique » non commentée), mais aussi via de nombreux événements des spécialistes du direct spatial en France tels que SpaceExplorerW, Techniques Spatiales et bien d'autres, y compris sur Twitch.