Frank Drake, photographié devant sa célèbre équation © SETI / Seth Shostak
Frank Drake, photographié devant sa célèbre équation © SETI / Seth Shostak

Décédé le 2 septembre dernier, l'astrophysicien Frank Drake laisse derrière lui de nombreux travaux de recherche… et une équation devenue célèbre, au point de porter son nom. Aussi philosophique que physique, la question de la vie intelligente qui taraudait Drake est loin d'être résolue aujourd'hui.

Pourtant, il suffirait d'un signe…

Regarder ailleurs

S'il est une constante dans la vie de l'Américain Frank Drake, c'est l'importance de la question de la découverte d'une potentielle vie extraterrestre. Considérant (à l'inverse de la majorité des religions) qu'un facteur chance est à l'origine de la vie intelligente sur notre planète, il intègre dès l'enfance que d'autres civilisations devraient logiquement exister au sein du vaste gigantisme de notre univers. Mais pour lui, pas question de garder ce postulat dans un coin de la tête : Frank Drake devient un brillant étudiant, puis un chercheur à l'université de Harvard et docteur en astronomie/astrophysique.

Après les débuts de sa carrière dans le foisonnant domaine de la radioastronomie à la fin des années 50, il démarre un projet (initialement secret) pour « écouter » les sources radio en différents points ciblés du ciel pour tenter d'établir s'il existe des signaux de nature extraterrestre. Néanmoins, aucun résultat concluant n'en ressort, et l'étude se termine en 1960. Mais celle-ci servira déjà de brique de base à une initiative à plus grande échelle qui naîtra deux décennies plus tard, le SETI. Et c'est en 1961 que Frank Drake, immergé dans sa recherche, établit pour la première fois son équation, devenue fameuse.

L'idée, pour cette formulation que l'on peut trouver hors sol, non physique ou ne tenant pas compte d'autre chose que des estimations, est avant tout de combiner un ensemble de variables non corrélées pour former une estimation du nombre de civilisations pouvant être détectées au sein de notre galaxie. Plus facile à dire qu'à faire ?

Et nous alors, qui nous détecte ?

Observons l'équation de Drake :

Equation de Drake

De quoi dépend donc ce nombre de civilisations détectables ? D'abord, du rythme de création d'étoiles au sein de notre galaxie. Il était encore inconnu en 1961 lorsque Drake formule l'équation, mais on sait désormais qu'il tourne autour d'une trentaine d'étoiles chaque année dans notre voisinage galactique.

Ensuite, la proportion d'étoiles qui abritent une ou plusieurs exoplanètes. Là encore, il faudra 30 ans pour que les premières observations confirmées d'exoplanètes (d'abord autour de pulsars, puis autour d'étoiles) puissent avoir lieu. Si leur existence ne faisait pas vraiment de doute, leur abondance, elle, a surpris plusieurs équipes scientifiques au cours du temps. La proportion d'étoiles qui abritent des exoplanètes est probablement un paramètre à simplifier : une écrasante majorité en a, elles n'ont juste pas encore été découvertes. Plus on se déplace à droite dans les paramètres de l'équation, moins les valeurs sont connues.

L'étude très en vogue des exoplanètes devrait, sur le long terme, permettre d'encadrer un peu l'équation de Drake © ESO / VLT / Spheres

Les variables les plus faciles…

En effet, le nombre de planètes habitables par système planétaire est encore largement au-dessus de nos connaissances actuelles. Même le terme « habitable » fait scientifiquement débat. Vénus et Mars pourraient, à un point de leur histoire (et même pourquoi pas actuellement, dans le sous-sol de Mars ou dans la haute atmosphère de Vénus), avoir été habitables. De la même façon, les sources des geysers sur les grandes lunes de Jupiter et Saturne sont vues aujourd'hui comme des sites à haut potentiel pour trouver des briques de vivant, voire de la vie sous une forme primaire.

Pas facile donc d'extrapoler un nombre de planètes habitables par système quand on n'a pas la réponse dans le nôtre, bien qu'il n'existe, à notre échelle, qu'une seule planète sur laquelle une civilisation se soit établie.

… et les paramètres un peu flous

Cette difficile question de la vie et des formes de vie intelligentes fait l'objet de trois paramètres dans l'équation de Drake, ce qui souligne leur importance. Il ne suffit pas de disposer de planètes habitables, encore faut-il qu'elles abritent effectivement des formes de vie f(l), que cette vie puisse être qualifiée d'intelligente f(i) (un terme qui, scientifiquement, fait encore débat, lui aussi), et qu'une fraction de ces vies intelligentes puisse arriver au point de développer des systèmes technologiques de communication f(c), détectables à l'échelle d'un système planétaire. À l'échelle de notre propre civilisation « intelligente », cela n'est finalement arrivé qu'à un stade particulièrement récent. Toute civilisation tend-elle à un développement technologique du même genre ?

Dans ces pouponnières d'étoiles se trouvent peut-être les prémices de civilisations futures. Mais celles-ci, on a de bonnes chances de les rater... © NASA / ESA / CSA / Webb

Plus on part à droite de cette équation, et plus l'anthroposophie et la philosophie prennent le pas sur l'exobiologie. Le dernier paramètre nous demande même un pas en avant pour nous pencher sur notre propre futur, puisqu'il tente d'établir une « fenêtre » de temps au cours de laquelle une civilisation donnée est détectable. Difficile d'obtenir une valeur scientifique représentative lorsque nous n'avons pas ce chiffre pour nous-mêmes. Les signaux radio diffusés depuis la Terre et pouvant être captés dans la Voie lactée trouvent leurs balbutiements entre les années 1900 et 1950, avant d'être beaucoup plus fournis depuis. La valeur basse est donc d'au moins 75 ans, tandis que la fourchette haute… dépend de notre propre capacité à faire survivre longtemps cette civilisation.

Détectables, peut-être. Détectées…

Et donc, l'équation de Drake, quels résultats donne-t-elle ? Il est plus ou moins facile de jouer avec les paramètres connus, estimés et/ou fantaisistes que l'on veut y appliquer pour observer les résultats. Quoi qu'il en soit, tout repose lourdement sur les f(l), f(i) et f(c) qui, d'après les observations actuelles, ne semblent pas être des proportions particulièrement élevées.

Mais c'est là la beauté de l'équation : pour peu que la fenêtre d'observabilité L soit grande, les chances augmentent alors de façon significative. Frank Drake lui-même estimait en 2010 que le nombre N était supérieur à 10 000. Naturellement, aujourd'hui, le nombre effectif d'autres civilisations détecté est de zéro. D'autres scientifiques se sont également penchés sur cette valeur (nous reparlerons peut-être du paradoxe de Fermi), et au fur et à mesure que les moyens d'observation et d'écoute progressent, plusieurs scientifiques sont optimistes. On compte déjà 5 200 exoplanètes dans nos catalogues, et le chiffre va grimper.

D'autres scientifiques ont produit des variations de l'équation de Drake. Pour la simplifier parfois, pour y introduire des variables plus complexes sur certains paramètres, ou pour traduire les efforts importants qu'il faudrait encore consacrer au sujet dans les décennies à venir pour que l'humanité puisse mieux quantifier f(l), f(i) et f(c), ou, a minima, les borner.

Les antennes du VLA, utilisées par le SETI pour "écouter" des points précis de notre galaxie © SETI

Acharnement responsable

Frank Drake, lui, ne s'est jamais découragé, sans toutefois s'engager sur une voie qui tiendrait plus du sensationnalisme que de la science. Codessinateur des plaques embarquées sur Pioneer 10 et 11 qui montrent l'humanité (et le chemin pour la joindre), il a dirigé le SETI, la société astronomique du Pacifique, puis la partie physique et espace du Conseil scientifique national américain.

Il souhaitait des mesures, des écoutes, des articles scientifiques, des surprises. Du côté d'autres civilisations, il n'y en aura pas eu pour lui, malgré les avancées techniques. Frank Drake s'est éteint le 2 septembre dernier à l'âge de 92 ans.