Pour la deuxième mission orbitale du programme Mercury, la NASA joue la sécurité. Trois mois après John Glenn, Scott Carpenter décolle de Floride. Mais après un vol sans histoires, le voilà sur une mauvaise trajectoire qui le fait amerrir à 400 kilomètres du point de récupération prévu. La presse le voit déjà au fond de l'eau…
Ironiquement, Scott Carpenter ira ensuite en mission au fond de la mer.
Mission : copie conforme
Ce 24 mai 1962, malgré une météo nuageuse, les responsables de la NASA ont le moral au beau fixe. Le compte à rebours est en cours pour la mission Mercury-Atlas 7, surnommée Aurora 7 par son unique passager, Scott Carpenter. Voici seulement trois mois que John Glenn a réussi son exploit en orbite autour de la Terre à bord de la capsule Mercury.
L'aventure consiste toujours à réaliser seulement trois orbites, même si, cette fois, plusieurs expériences scientifiques sont au programme. Il s'agit surtout de gagner en confiance, car le président Kennedy vient d'annoncer son projet d'aller sur la Lune d'ici la fin de la décennie. Et puis, les Américains le savent, il faut occuper le terrain médiatique. Les Soviétiques n'ont plus envoyé de cosmonautes en orbite depuis Vostok 2 et le vol de Gherman Titov, ils préparent donc sans doute une mission très ambitieuse. Plus vite la NASA saura montrer qu'elle gagne en compétences, plus vite elle pourra à son tour réaliser des missions de plus grande envergure.
À l'origine, le vol ne devait pas être confié à Scott Carpenter, mais à Deke Slayton. Ce dernier est brillant, mais en 1959, on lui diagnostique une fibrillation auriculaire cardiaque, juste après un essai en centrifugeuse. Et même si trois ans plus tard, il se porte bien, une enquête est lancée. Le verdict tombe trois mois avant le vol prévu pour l'astronaute : le 15 mars 1962, la NASA annonce que Slayton ne pourra pas voler en orbite.
Le remplaçant pour le vol est Walter Schirra, mais l'équipe lui préfère Scott Carpenter qui connaît parfaitement le profil de la mission, puisqu'il était le remplaçant attitré de John Glenn. Ce jeu des chaises musicales a heureusement lieu plusieurs mois en amont, aussi personne ne remet en cause les compétences de Scott Carpenter, en tout cas pas avant son vol spatial. Ce dernier l'a d'ailleurs baptisé Aurora 7, dans l'espoir que le programme Mercury marque l'aube de l'exploration spatiale.
Aucun incident à l'horizon !
Le décollage a lieu à 13 h 45 (heure de Paris), à l'aube sur le site LC-14 de Cape Canaveral. Les autorités ne craignent plus autant le véhicule Atlas LV-3B, notamment parce que d'autres versions d'Atlas volent au service de l'US Air Force à un rythme effréné : 12 vols entre le décollage de Friendship 7 et celui d'Aurora 7 !
Le lancement se passe très bien, avec une orbite obtenue qui est presque exactement celle qui était visée, entre 161 et 269 kilomètres d'altitude. 40 millions de spectateurs assistent au décollage à la télévision ! Après l'éjection de la capsule en orbite, Scott Carpenter peut enfin observer la Terre qui défile sous ses yeux et qu'il trouve stupéfiante. Un premier test en orbite semble indiquer que tout va bien, même si, en réalité, le système d'horizon artificiel est décalé de 20° par rapport à la normale.
Pour commencer, il prend quelques photographies en passant au-dessus de la station de suivi installée au Nigéria, puis il poursuit ses expériences en se repérant sans difficulté grâce aux traits de côte. Il révèle tout de même qu'il ne s'attendait pas à ce que la Terre ait autant de nuages. Arrivé au-dessus de l'océan Indien, puis de l'Australie, il ne réussit pas à voir l'expérience déployée avec des feux d'artifice dans le ciel nocturne. Tout juste passé du côté nuit, il indique également ne pas voir autant d'étoiles qu'il l'espérait et qu'il serait difficile de se repérer par rapport à elles. Enfin, il est temps de manger.
Des miettes et des ballons
C'est là une partie des expériences de la mission Aurora 7 : pas de nourriture en tube, mais des barres de céréales au chocolat, à la figue et à la datte ainsi que des sucreries Nestlé. Mais avec le scaphandre, rien n'est simple. Histoire de couronner le tout, une partie de la nourriture a du prendre un coup, et énormément de miettes se mettent à flotter devant la figure de Scott Carpenter, qui doit faire attention à ne pas les inspirer. Même si le goût lui plaît, l'expérience n'est pas très concluante, et les équipes au sol ont peur que les miettes viennent à moyen terme bloquer le système de ventilation.
Lorsqu'il passe au-dessus de la Floride, Carpenter active l'expérience externe de la capsule, qui consiste à gonfler un imposant ballon derrière Aurora 7, attaché par un filin décrochable, pour voir si ce dernier est freiné par des particules atmosphériques. Mais le déploiement n'est pas complet : le ballon n'est pas vraiment gonflé et flotte à quelques mètres de la capsule Mercury. Quelques photographies et mesures permettront malgré tout de montrer des effets atmosphériques.
De son côté, Scott Carpenter ne reste pas bloqué sur cette expérience. Il manœuvre plusieurs fois la capsule avec ses propulseurs d'attitude pour en régler l'orientation, réussit à montrer qu'il peut s'aligner avec la Lune, qu'un pilotage fin est possible, etc. Mais plusieurs fois, il ne désactive pas tout à fait le système automatisé lorsqu'il manœuvre, et très vite, les contrôleurs au sol s'inquiètent d'une surconsommation des ergols. Le résultat est sans appel, malgré le vol sans histoires d'Aurora 7, le centre de Houston demande au pilote de cesser l'essentiel des manœuvres et de rester en vol libre pour la première moitié de sa troisième orbite avant de freiner au-dessus de l'île de Hawaii.
Oh, des Lucioles !
À un moment, pendant la partie nocturne de son vol, Scott Carpenter tend la main pour attraper un instrument qui mesure la quantité de lumière reçue. Mais en impesanteur, le mouvement n'est pas bon, et son gant frappe l'écoutille avant de la capsule. C'est alors qu'à travers le hublot, il aperçoit ce que John Glenn avant lui avait appelé des « lucioles ». Le mystère est enfin résolu, ce sont des particules d'eau et de givre qui sont éjectées dans le vide !
Plusieurs fois, il tapote sur les parois et réussit à observer une myriade de gouttelettes qui flottent autour de lui. Scott Carpenter prend le temps de bien documenter le phénomène. Mais soudain, les communications s'allument, et le centre de contrôle lui demande où il en est dans sa check-list pour préparer le freinage et la désorbitation. Il a réussi à économiser environ 40 % de son carburant de manœuvre jusque-là, mais il faut désormais passer rapidement d'un point à l'autre. Malheureusement, le système d'orientation automatisé n'arrive pas à « tenir » l'angle prévu pour allumer les moteurs. Le temps presse.
C'est l'heure de freiner
Tant pis, Carpenter repasse en manuel, tente à nouveau le mode automatique, puis agit sur les commandes au tableau de bord. Le compte à rebours avant l'activation des rétrofusées est presque déjà démarré. Mais ce faisant, le pilote a laissé deux modes actifs en même temps, et sans qu'il s'en rende compte, les commandes concurrentes épuisent rapidement ses ergols dédiés au changement d'orientation. Lorsqu'il réalise la situation, Scott Carpenter n'a plus qu'un fond de réservoir pour diriger la capsule durant toute sa descente. Plus ennuyeux encore, il faut qu'il actionne manuellement les rétrofusées, mais comme la commande lui est donnée par la station au sol, il y a un délai. Les moteurs s'allument et Mercury freine, mais trois secondes trop tard et avec une erreur d'orientation. Personne ne s'en rend compte immédiatement, mais la capsule dévie désormais de sa trajectoire prévue.
Tout au long de la descente vers et à travers l'atmosphère, Scott Carpenter est hanté par son problème de carburant de manœuvre. Les niveaux sont très bas, mais l'aiguille ne descend pas sous les 10 %. En réalité, le réservoir est vide lorsque la capsule arrive dans les couches les plus denses de l'atmosphère, mais ce n'est plus critique à cet instant précis. Les oscillations sont en revanche toujours aussi importantes, et jusqu'au déploiement du parachute, la descente est particulièrement mouvementée.
Lorsque sa capsule se couche dans l'eau, l'astronaute est soulagé, même s'il se demande s'il ne va pas devoir en sortir en catastrophe, car elle met du temps à se redresser à la verticale, bouclier en bas. Scott Carpenter ne reçoit plus rien à la radio, mais il sait que les équipes vont mettre du temps à le trouver. Parce qu'il est… Tiens, mais au fait, où est-il ?
Merci de retrouver Scott Carpenter
La NASA a bien capté les signaux de la capsule, et le suivi lors de son retour a donné une localisation assez précise pour aller chercher Aurora 7, au nord-est de Porto Rico. Mais encore faut-il y aller ! Les bateaux de récupération et leurs hélicoptères sont à 400 kilomètres de là, il leur faudra plus d'une heure pour rejoindre la capsule Mercury. Et le public, lui, n'en sait rien. Alors que le vol était diffusé partout, que l'Amérique entière est pendue aux lèvres de la NASA, cette dernière n'a pas ébruité l'erreur de trajectoire.
Les commentateurs prennent vite l'air grave, et de nombreux observateurs se préparent à une annonce tragique. Sauf qu'en réalité, Scott Carpenter se porte comme un charme. Il a gonflé les bouées autour de sa capsule, ouvert, puis refermé l'écoutille, et attend sagement que l'on vienne le chercher, assis avec son gilet de sauvetage. Le destroyer USS Farragut le rejoint en moins de 50 minutes avant que les hélicoptères du porte-avions Intrepid cherchent le pilote. Soulagement public généralisé, certains préparaient déjà un discours d'adieu.
En s'appuyant sur des données partielles et parfois erronées (une enquête a montré que Scott Carpenter s'est très bien comporté compte tenu des informations à sa disposition), les performances du pilote sont pointées du doigt. Et certains de ses critiques ne sont autres que ses propres collègues du corps astronautique.
À cette époque où l'image est (déjà) reine, Scott Carpenter comprend très vite qu'il ne sera pas le favori pour prendre les commandes des premières capsules du programme Gemini qui s'annonce. Corollaire ou pas, son intérêt pour les vols spatiaux faiblit, et il se tourne vers une nouvelle aventure qui comporte de nombreux points communs avec l'exploration spatiale : celle des fonds marins, cette fois. De retour à l'US Navy, Scott Carpenter participe aux expériences SEALAB qui l'amènent à vivre plusieurs semaines à 61 mètres de profondeur, ce qui fait de lui le premier humain à avoir visité l'espace et le fond de la mer. Blessé après deux accidents, il retourne à la NASA pour une brève période avant de quitter l'agence en 1967. Aurora 7 est restée son unique expérience de vol spatial.