Tom Stafford à droite, et Alexeï Leonov au centre, se serrent pour la première fois la main en orbite. Crédits NASA
Tom Stafford à droite, et Alexeï Leonov au centre, se serrent pour la première fois la main en orbite. Crédits NASA

Le 17 juillet 1975, une capsule Soyouz et un module de commande Apollo s'amarrent en orbite. Pour la première fois, malgré la guerre froide, une mission conjointe entre Américains et Soviétiques réussit. Elle restera un symbole… 

…. et marquera indirectement la fin de la « course à la Lune ».

Un accord inattendu

A la fin des années 60, sur Terre, Américains et Soviétiques se sont livrés des conflits par nation et matériel interposés en Corée. Dans le même temps, le conflit au Vietnam prend de l'ampleur.

Pourtant, le domaine de l'astronautique est relativement épargné. Les deux blocs sont signataires du traité de l'espace. Lors de la catastrophique mission Apollo 13, l'URSS propose d'ailleurs son aide aux américains, tandis que les astronautes d'Apollo 15 déposent solennellement sur la Lune une plaque où figurent les noms des pionniers morts pour la conquête spatiale — et sur laquelle figurent les noms de six cosmonautes décédés. Des lettres s'échangent entre les agences, et malgré des demandes insistantes des militaires, on se rencontre parfois au Salon du Bourget.

En 1972, la NASA n'a déjà plus le budget pour continuer l'aventure lunaire et le développement des navettes va démarrer. Poussée par les politiciens, une mission conjointe avec l'URSS a du sens : clore l'aventure Apollo avec une main tendue. Côté Soviétique, la proposition est vite acceptée. Il s'agit aussi de montrer que même s'ils n'ont pas atteint la Lune, la capsule Soyouz est sur un pied d'égalité avec le véhicule américain. D'autant qu'elle continue d'évoluer, car l'URSS s'est engagée dans un ambitieux programme de stations spatiales au long cours. La mission s'appellera ASTP (Apollo Soyouz Test Program) et la date est fixée : ce rendez-vous en orbite sera pour 1975.

Photo officielle de l'équipage pour cette mission conjointe. Notez la maquette... crédits NASA
Photo officielle de l'équipage pour cette mission conjointe. Notez la maquette... crédits NASA

A l'apprentissage des autres

Même compte tenu des ambitieux programmes des deux nations, le délai pour parvenir au succès est très court. Bien sûr, les deux pays avaient pré-sélectionné leurs astronautes. De véritables têtes d'affiches : la légende vivante des cosmonautes Alexeï Leonov (le premier à sortir en scaphandre, qui aurait pu devenir le premier soviétique à marcher sur la Lune) accompagné par le chanceux Valeri Koubassov côté URSS, et le vétéran Tom Stafford (qui manqua de marcher sur la Lune avec Apollo 10), accompagné par Donald Slayton et Vance Brand côté Etats-Unis.

Les uns et les autres vont se rendre plusieurs visites, apprendre l'anglais et le russe, et malgré le suivi « très proche » des autorités et des espions des deux nations, lier de grandes relations d'amitié. Ils sont parmi les premiers de leurs nations à observer les us et coutumes de leurs « adversaires », et en retirent de grandes leçons pour casser les stéréotypes.

Côté technique aussi, la collaboration est de mise. Même si, au départ, il faut mettre de l'eau dans son vin : les deux capsules sont équipées de systèmes d'amarrages qui ne sont pas compatibles… mais aucune des deux agences ne veut de port « femelle ». Il sera finalement décidé qu'Apollo embarque une pièce d'adaptation qui servira aussi de sas entre les deux véhicules (composition de l'air et pression ne sont pas rigoureusement identiques). Les préparations vont bon train, mais les équipes d'ingénieurs auront quelques sueurs froides en aparté…

Les astronautes des deux pays à l'entrainement au sein d'une réplique de capsule Apollo. Crédits NASA

Côté américain car il n'y a pas de marge, il s'agit bien de la dernière capsule Apollo préparée pour un décollage. Et côté soviétique car, dans le plus grand secret, une capsule Soyouz rate son décollage au printemps 1975 : les deux occupants de la mission s'en sortiront sonnés mais indemnes, après tout de même deux jours de camping dans une région reculée près de la frontière chinoise… Sur ces ratés, l'administration tire le rideau de fer. Le 15 juillet, la mission démarre à Baïkonour : Soyouz décolle et se place en orbite. Sept heures et 30 minutes plus tard, la dernière Saturn 1B allume à son tour ses moteurs et libère Apollo et ses occupants au-dessus de la Terre.

Apollo rejoint Soyouz !

Après quelques déboires techniques — car oui, il y en aura toujours (ici, le reflet sur la mer empêchait les astronautes de voir la mire pour s'amarrer à la pièce de connexion) —, la capsule Apollo se met en route pour rejoindre Soyouz. Il faudra presque deux jours de trajet pour que, pour la première fois en orbite, un véhicule soviétique et un américain puissent s'observer et se prendre en photo. Puis ils s'alignent et sans aucune difficulté, Apollo s'amarre à Soyouz (en clin d'œil, au-dessus de la France). La réussite est saluée en direct, et pas seulement dans les deux capsules, mais au sol également.

Photo prise par l'équipage soviétique. On voit bien ici l'adaptateur fixé sur la capsule Apollo et qui lui donne un "long nez". Crédits NASA/Roscosmos

Ce sont les astronautes d'Apollo qui seront les premiers à se rendre dans le véhicule de leurs homologues. La poignée de mains en orbite, première en son genre, montre qu'il est possible de choisir la voie de la coopération plutôt que de l'opposition. Un signal fort pour les hommes au sein de la capsule, qui échangent des cadeaux prévus de longue date, mais qui ont une émotion bien réelle à se retrouver avec leurs nouveaux amis.

Appels présidentiels, visites « en direct » dans une capsule puis dans l'autre diffusées à la télévision, petites expériences scientifiques, échanges et partages de repas : les cinq astronautes des deux pays vont passer quasiment deux jours en commun avant un dernier test de désamarrage et d'approche conduit par Soyouz. Une fois de plus, tout se passe bien. Cette mission est un succès qui fera date. Les deux équipages se disent au revoir, et vont chacun passer encore quelques jours en orbite avant de se poser. Deux pour les soviétiques, cinq pour les américains qui en profitent pour une mission d'observation et de photographie de la Terre. Il faut en profiter, c'est la dernière mission habitée avant le début des vols de navette (personne ne sait alors que leur premier vol sera retardé jusqu'à 1981)…

La capsule soviétique Soyouz, qui affichait à l'époque une seyante livrée verte. Vue depuis Apollo. Crédits NASA

Le retour du chacun chez soi

La mission ASTP manque de se terminer en un terrible drame. Les deux cosmonautes se posent avec succès au Kazakhstan, mais pour la toute dernière récupération de capsule Apollo trois jours plus tard, un incident technique menace l'équipage. Après l'ouverture des parachutes, l'aération de la cabine par l'air extérieur se déclenche trop tôt, et des vapeurs du carburant de manœuvre entrent dans l'habitacle. Malgré leur préparation, les trois occupants seront impactés, et devront malheureusement pour eux faire leurs débriefings à l'hôpital. Ils y passeront tous entre deux et trois semaines, mais survivront à cet accident qui n'aura pas d'impact à long terme (Thomas Stafford et Vance Brand sont encore vivants pour en témoigner). Mais surtout, cette mission n'aura pas de suite immédiate.

Vue d'artiste de cet étrange accouplage en orbite. Crédits NASA

L'URSS est en effet engagée dans un programme de stations spatiales et en profite pour nouer des partenariats internationaux avec les pays des blocs de l'Est, en formant et emmenant des astronautes. C'est le programme Interkosmos. Les Etats-Unis attendent avec impatience l'arrivée de leur navette… Mais avant que d'autres promesses de missions en commun puissent être mises sur les rails, la guerre froide reprend le dessus. L'Union Soviétique envahit l'Afghanistan, les Etats-Unis durcissent leur politique et promettent un bouclier anti-missile…

Il faudra attendre la chute de l'URSS pour revoir des négociations qui mèneront aux collaborations des années 90, puis à la Station Spatiale Internationale.

Mais même en son sein, on se souvient d'une fameuse poignée de main…