Rencontre du troisième type au sein de l'ISS. © NASA/ESA
Rencontre du troisième type au sein de l'ISS. © NASA/ESA

Connaissez-vous CIMON ? Le petit robot à l'esprit vif et à l'étrange regard a élu domicile au sein de l'ISS. Nous avons interrogé Till Eisenberg, le chef du projet du programme pour Airbus Defense And Space , sur ses capacités présentes et futures.

5 kg et 32 centimètres de diamètre : CIMON a le teint clair et le regard un peu rêveur. Il en est déjà à son deuxième voyage sur l'ISS depuis le mois de décembre dernier, et l'astronaute italien de l'ESA Luca Parmitano a pu le tester juste avant son retour sur Terre, début février. Voilà sur l'ISS un robot qui échange en anglais, qui reconnait l'astronaute, se déplace doucement. À quoi va-t-il servir ? Quelles sont ses limites ? Est-il vraiment intelligent ?

En station, CIMON !

Pour Clubic, j'ai posé mes questions à Till Eisenberg, chef de projet du programme CIMON pour Airbus DS (Defense and Space) le « prime contractor » ou mandataire industriel de référence.

Le robot est en partie sa création ; c'est un projet initié dans les bureaux d'Airbus, et aujourd'hui relié à plusieurs entités, notamment l'agence spatiale allemande DLR, qui assure une part importante du financement.

Dans cette vidéo, Luca Parmitano teste le robot CIMON, qui se déplace tout seul, lui répond et exécute ses ordres. C'est très impressionnant ! Dans quel but avez-vous développé CIMON ?

Le robot CIMON est un assistant. C'est un petit assistant qui est capable de se repérer dans l'espace et d'aider les astronautes dès qu'ils en ont besoin. Il peut répondre à leurs questions bien sûr, mais il peut aussi les guider pour des procédures lors de leurs expériences, les filmer ou prendre en photo quelque chose, interagir intelligemment avec eux et, bien sûr, se déplacer tout seul. C'est le deuxième exemplaire que nous avons envoyé sur l'ISS.

CIMON 2, le retour

Qu'est-ce qui a changé entre les deux versions ?

Pour nous, énormément de choses ! Ce qu'il faut comprendre tout d'abord, c'est que pour le premier exemplaire de CIMON, nous avons tout développé en deux ans, ce qui est très rapide. Et nous avons utilisé des composants déjà disponibles sur étagère pour assembler notre robot. L'équipe a fait un travail formidable, mais nous avons du faire quelques choix, comme par exemple celui d'utiliser des batteries amovibles plutôt que de prévoir une station de recharge où le robot aurait pu venir seul se brancher.

Du coup, pour cette deuxième version et pour ce deuxième voyage, nous avons conservé ces mêmes choix, mais nous avons apporté beaucoup d'améliorations. On utilise les mêmes batteries mais l'autonomie est passée à trois heures, par exemple. Les microphones sont améliorés, on utilise des techniques de suppression d'écho, etc. Et puis bien sûr il y a les changements logiciels. On a amélioré la stabilité des mouvements, sa façon de se repérer dans l'espace et de se déplacer d'un point à un autre avec ses 12 petits ventilateurs.

Enfin dernier point, nous avons beaucoup progressé sur l'interface avec les astronautes. CIMON est maintenant capable de reconnaître son environnement, d'écouter et de comprendre des mots mais aussi des intentions et des intonations (et donc des émotions). Le cœur de notre travail à présent, c'est surtout d'améliorer les interactions et la communication avec les astronautes pour qu'il soit un bon compagnon.

Till Eisenberg avec CIMON en pleine préparation. © Airbus DS/Mathias Pikelj
Till Eisenberg avec CIMON en pleine préparation. © Airbus DS/Mathias Pikelj

ISS assistance bonjour !

On lit qu'il devrait rester pendant trois ans sur l'ISS, comment ça va se passer ? Par petites expériences ?

En fait nous avons une feuille de route qui est assez bien définie. Dans un premier temps CIMON sera effectivement utilisé pour des sessions de test limitées à quelques heures, mais nous espérons que l'exemplaire qui est au sein de l'ISS va progresser pour devenir un vrai assistant dans les années à venir. Le retour d'expérience que nous avons de la part des astronautes, comme lors de l'échange avec Luca Parmitano, est essentiel pour progresser.

D'ici quelques mois, nous allons tester CIMON dans un rôle d'assistant, il va guider pas à pas un astronaute dans une procédure pour réaliser une expérience, ce sera un test très intéressant. Les astronautes vont apprendre à se servir de CIMON, et en parallèle nous apprenons de leur expérience pour enseigner à CIMON.

Est-ce qu'il est réservé aux astronautes européens ?

Non, en tout cas ce n'est pas notre objectif : nous voulons que tout le monde puisse l'utiliser. Mais comme l'ISS est une collaboration internationale, il y a des accords et c'est parfois un peu compliqué. Pour l'instant il n'a été utilisé que par des astronautes ESA, et il est un peu comme les européens, confiné chez lui !

Il ne quitte pas le module Columbus parce qu'il n'a pas encore les autorisations pour évoluer dans le reste de la station, par exemple. CIMON est ce qu'on appelle un « free flyer », il se déplace tout seul. Ce qui normalement est interdit : tous les objets au sein de l'ISS doivent être attachés. En plus il embarque sa propre batterie, ce qui complique les « autorisations de vol » au sein de la station, et c'est normal puisque la priorité c'est toujours la sécurité des personnes et des équipements.

Mais tout cela évolue, pour le moment CIMON est le premier à avoir le droit de bouger seul au sein de Columbus. Un jour, il pourra aller dans le laboratoire Destiny, dans le module japonais Kibo (la NASA y fait voler les petits robots SPHERES par exemple) ou dans le reste de la station.

CIMON en test au sein d'une réplique du laboratoire Columbus sur Terre. © DLR

Est-ce que CIMON reconnait vraiment son environnement, ou est-il aidé par des marqueurs et des petites cibles ?

En fait, il a besoin d'un marqueur pour pouvoir initialiser sa navigation et régler tout seul son orientation. Il n'y a pas de « haut » ni de « bas » en impesanteur, alors il lui faut quelques repères ! Ces marqueurs sont importants pour l'étalonnage du robot, mais après il se construit sa propre carte de navigation au fur et à mesure qu'il bouge, et il peut reconnaître son environnement. CIMON dresse sa propre carte mentale de ce qui est autour de lui pour pouvoir bouger. On voit dans l'échange qu'il a avec Luca Parmitano qu'il sait aller se placer devant une expérience en particulier.

Vol au-dessus du Cloud

CIMON utilise l'IA Watson d'IBM : comment ça se passe concrètement dans le « cerveau » du petit robot ?

Pour le moment, CIMON fonctionne grâce au Cloud ! Il n'y a actuellement pas assez de puissance de calcul au sein de l'ISS pour pouvoir installer une IA comme Watson, même si on y travaille pour le futur.

Mais le lien que les informations suivent est assez exceptionnel. CIMON est relié à internet par la station, donc ses données transitent d'abord par l'ISS, puis par l'Allemagne, au centre ESA, puis par la Suisse où est installé le Watson Cloud que nous utilisons. Et malgré ce trajet, nous arrivons à gérer les données rapidement ! La première génération du robot mettait environ 10 secondes pour répondre à une requête, ce qui était beaucoup trop long, tandis qu'à présent il est réactif en moins de deux secondes.

Quelques capacités clé du robot CIMON. © Airbus

Cela dit, pour le futur, ma vision c'est que les véhicules qui se rendront loin de la Terre vers Mars par exemple, seront équipés d'une IA qui devra être suffisamment puissante pour accompagner et aider au maximum l'équipage. Ce sont des problématiques sur lesquelles on réfléchit déjà aujourd'hui, pour nous c'est une thématique importante.

Est-ce que « hello CIMON » va devenir le nouveau « ok google » de l'ISS ?

C'est une bonne question, mais en fait notre petit robot est un peu plus performant que les assistants Google, Alexa ou Siri. Parce que finalement, ce ne serait pas très pratique d'essayer de résoudre un problème complexe en demandant « ok CIMON » toutes les deux minutes.

CIMON est équipé de plusieurs modes et il est capable de réagir à différentes situations qu'il détecte seul. Quand il est isolé avec un astronaute par exemple, il est automatiquement dans un état de veille. Si l'astronaute pose une question, où s'il dit qu'il a besoin d'aide, CIMON réagit sans qu'on ait besoin de l'appeler. C'est un véritable assistant ! De la même façon, quand il y a plusieurs astronautes ensemble ils n'ont pas forcément besoin du robot, il bascule donc en « crew mode », et ne réagit pas tant qu'on ne dit pas son nom. Il y a aussi le « silent mode » dans lequel il écoute toujours, etc. On l'a programmé pour qu'il s'adapte à la situation ! Et bien sûr il peut reconnaître tel ou tel astronaute.

Je suis désolé, Dave…

CIMON montre une face amicale et peut aider les astronautes en les motivant à l'aide de petites phrases. Est-ce que c'est une idée qui vient d'Airbus, ou bien vous avez travaillé avec des psychologues du DLR sur ce sujet ?

En fait dès le début du projet on envisageait CIMON avec une forme de boule, on avait même appelé le projet Spaceball (mais bon ça ressemblait un peu trop au film…), et on avait besoin d'une façon sympathique et pratique d'échanger avec lui. Pas question d'appuyer sur des boutons...

Donc on est partis sur ce design, et puis on a demandé aux gens comment ils voyaient la chose. De façon surprenante c'est assez clivant, il y a une petite partie du public qui n'aime pas du tout communiquer avec ce visage.

Il est aussi important que l'on puisse déchiffrer les émotions rapidement puisqu'il s'agit d'assistant, on est donc amené à communiquer régulièrement avec lui.

Oh, mais bonjour toi ! ©Airbus DS 2018

Dernière question, est-il possible de remplacer le visage et la voix par celles de HAL, le robot de 2001, l'Odyssée de l'Espace ?

Théoriquement bien sûr, oui, c'est possible ! Mais je ne pense pas que les astronautes seraient très à l'aise avec HAL… Cependant, je peux confirmer en exclusivité que notre équipe a placé quelques « Easter Eggs », quelques surprises, dans les programmes de CIMON. Il sera ainsi capable de dire ou d'afficher plusieurs références à des films de robots et de science-fiction… Si on lui pose les bonnes questions !

Merci à Till Eisenberg et à l'équipe d'Airbus DS qui nous a permis d'organiser cette interview !