Perseverance

En plus des 23 (!) appareils photos embarqués par la mission Mars2020 et du petit hélicoptère Ingenuity, Perseverance embarque huit instruments scientifiques et de quoi prélever des échantillons du sol. Un véritable laboratoire pour découvrir en détail le cratère Jezero !

Pour évoquer l'aspect scientifique de cette mission, nous avons échangé avec l'enseignant-chercheur Erwin Dehouck, du Laboratoire de Géologie de Lyon (Terre, Planètes, Environnement), qui travaille au quotidien avec les données du rover Curiosity, et bientôt de Perseverance.

Côté équipe, beaucoup d'enthousiasme !

« C'est une opportunité fantastique », nous explique Erwin Dehouck. Une partie de l'équipe scientifique qui travaille aujourd'hui avec le rover Curiosity sera chargée des premières opérations avec son cousin, Perseverance. « Il y a une évidente continuité entre les deux missions, au niveau technique comme au niveau humain. Nous allons découvrir un nouveau lieu sur Mars, et nous allons aider à choisir les premiers échantillons martiens qui reviendront sur Terre ! Dans le même temps, c'est aussi un défi : comme Curiosity continue à bien fonctionner, beaucoup d'entre nous vont devoir "jongler" entre les deux projets ».

Pourtant en France comme aux Etats-Unis, toute l'équipe est dans l'excitation du départ… Et ce même si les rovers sont pilotés depuis le JPL en Californie (Pasadena), ce qui implique de travailler en soirée, voire jusqu'à 2h00 du matin, heure de Toulouse !

Perseverance avant son décollage. Crédits ULA
Perseverance avant son décollage. Crédits ULA

La NASA organise déjà régulièrement des entraînements, pour que tous les concernés soient fin prêts d'ici février prochain. « Je suis enseignant-chercheur, je partage donc mon temps entre l'enseignement à l'université et la recherche scientifique, explique E. Dehouck. Mon rôle sera assez similaire, avec Perseverance, à ce qu'il est aujourd'hui avec Curiosity : je participerai à la planification des activités du rover sur Mars (qu'on appelle "les opérations") en particulier avec l'instrument SuperCam, mais aussi aux discussions scientifiques sur les données ».

Avec toutefois une organisation différente, détaille le planétologue, car l'agence américaine a décidé de réduire la durée entre le moment où les données de la journée écoulée seront reçues sur Terre, et celui ou une nouvelle liste de commandes sera transmise vers Mars. Certes parfait pour optimiser les activités du rover, cela nécessitera une plus grande interaction encore entre collègues !

Disposer de deux missions telles que Curiosity et Perseverance actives au même moment est une chance. Avec huit ans d'écart, les deux robots ont de nombreux points communs. « Mais il y a certaines analyses possibles avec Curiosity qui ne seront pas réalisables avec Perseverance, et vice versa. Surtout, les deux missions sont sur deux sites différents. Il ne viendrait pas à l'idée d'un égyptologue de n'étudier qu'une seule pièce dans une pyramide, et de délaisser toutes les autres. Sur Mars, c'est un peu la même chose : nous avons besoin d'avoir une vision d'ensemble de la planète pour reconstituer précisément son évolution géologique et climatique », nous détaille Erwin Dehouck.

A quoi ressemblera le cratère Jezero et le paysage ? Ce sera sans doute différent de celui de Curiosity. Crédits NASA/JPL-Caltech

Quels outils pour Perseverance ?

La NASA s'est fixée quatre objectifs sur le très long terme pour la planète Mars : déterminer si la vie y a existé, caractériser précisément son climat et sa géologie, ainsi que préparer de futures missions d'exploration habitées. Force est de reconnaître que les instruments embarqués sur Perseverance correspondent très bien à ces objectifs ! Sur la caisse du rover d'abord, on retrouve un très intéressant radar à pénétration du sol à l'arrière, nommé RIMFAX (livré par la Norvège) et un boitier expérimental MOXIE qui va tester la production d'oxygène et de méthane à partir du CO2 atmosphérique. C'est un tout premier essai de la technologie dite « ISRU » pour In-Situ Ressource Utilization, c'est-à-dire la production de ressources utiles pour une future aventure habitée avec les éléments sur place.

Placée à la fois sur corps et sur le mat de Perseverance, on retrouve l'expérience espagnole MEDA, qui consiste en quelque sorte en une « station météo » et mesure la vitesse du vent, la pression atmosphérique, la température, l'humidité et les radiations solaires. Sur le mat également, juste sous la « tête » du rover on trouve les deux caméras stéréoscopiques Mastcam-Z, capables de zoomer et de capturer des images natives en couleur de la planète Mars, en 2D et 3D.

Où sont les principaux instruments sur Perseverance ? Crédits NASA/JPL-Caltech

Perseverance dispose aussi, comme son prédécesseur, d'un bras robotisé de 2 mètres de long, au bout duquel on retrouve une « boite à outils » scientifique avec le spectromètre à rayons X PIXL et l'instrument SHERLOCK qui tentera de déterminer la nature des minéraux avec une très haute résolution.

Surtout, on y retrouvera aussi la perceuse rotative du rover, plus impressionnante que celle de Curiosity. Elle devra être capable de prélever plusieurs grammes de matière, puis de les déposer délicatement dans l'un des 43 tubes emportés par la mission à l'avant du « caching system ». Ce dispositif représente à lui tout seul un robot presque indépendant qui opère dans et sous le bas de caisse de Perseverance. Il récupère, stocke, trie, scelle les échantillons de sol, avec son propre bras robotisé qui reste à l'intérieur du rover.

La France est à bord !

Le gros boitier blanc, la « tête du rover » qui culmine à presque 2 mètres de haut, c'est SuperCam, instrument multiple qui fait intervenir l'expertise française. On y retrouve un laser capable de pulvériser la roche pour l'étudier avec la technique LIBS (Laser Induced Breakdown Spectroscopy) et de la spectrométrie Raman, un microphone capable d'écouter les impacts (mais aussi les bruits mécaniques de Perseverance), une caméra haute résolution couleur pour le contexte, et un spectromètre passif visible-infrarouge (VISIR) qui analysera la lumière réfléchie par le sol de Mars. Il faut noter que le boitier n'est que la façade visible de SuperCam, dont les instruments d'analyse se trouvent à l'intérieur du rover et reliés par fibre optique.

« Supercam reprend les fonctionnalités de ChemCam, qui utilise un laser infrarouge pour mesurer à distance la composition chimique des roches, confirme Erwin Dehouck. Mais il en ajoute plusieurs autres ! Les techniques infrarouge et Raman ont pour mission d'identifier les minéraux qui constituent la roche, et éventuellement les molécules organiques qu'elle renferme. Autrement dit, en plus de la quantité des différents éléments chimiques présents, nous pourrons désormais savoir comment ces éléments sont assemblés les uns aux autres, ce qui est crucial pour comprendre les conditions dans lesquelles la roche s'est formée, si elle a "rencontré" beaucoup d'eau liquide depuis sa formation, etc. ».

Les équipes pourront profiter de l'expérience acquise avec ChemCam pour être plus rapidement opérationnelles et efficaces sur Mars avec l'exploitation du nouvel instrument.

Pas de SAM sur Perseverance…

Enfin, vous vous rappelez peut-être que la France et ses laboratoires ont contribué à la mission Curiosity avec l'instrument SAM, qui analyse les échantillons creusés par le bras du rover. Un système qui n'a pas été retenu pour Perseverance, qui laissera ses tubes derrière lui pour qu'ils soient ramenés sur Terre. Une déception pour les scientifiques français ?

« J'imagine que mes collègues de l'équipe SAM auraient bien aimé avoir un deuxième exemplaire sur Mars ! Mais ce n'est pas vraiment la philosophie de cette mission, et il y a deux éléments à ne pas oublier, rappelle Erwin Dehouck. D'abord, le travail avec Curiosity est loin d'être terminé : les équipes sont justement sur le point de collecter un nouvel échantillon pour SAM ! Et surtout, il y aura la mission du rover européen Rosalind Franklin avec son instrument MOMA, qui réalisera certaines analyses similaires à celles de SAM sur le sol de Mars ». Il faudra cependant attendre 2023 pour cette dernière…

Le sol du cratère de Gale, étudié par le rover Curiosity est tout sauf uniforme... Imaginez qu'on puisse ramener des échantillons de chacun de ces sites! Crédits NASA/JPL-Caltech/MSSS/USGS

Rechercher des « traces de vie », une gageure scientifique

Si tout se passe bien au décollage ce jeudi 30 juillet et à l'arrivée du rover sur Mars le 18 février (et entre les deux), Perseverance pourra commencer son exploration du site Jezero, choisi après plusieurs années d'étude, d'après les propositions d'un consortium scientifique. Il n'empêche que pour le public, il n'est pas toujours évident de comprendre pourquoi Jezero (qui, sur le plan visible, sera tout aussi désertique que les autres lieux martiens visités avant lui) est d'un intérêt majeur.

Après tout, Curiosity aussi évolue au sein d'un cratère (Gale) et on y a découvert de très nombreuses preuves de la présence d'eau… « C'est vrai, comme Gale, Jezero est un cratère d'impact, mais son diamètre est environ trois fois inférieur. Comme Gale, l'intérieur de Jezero a été occupé par un lac à une certaine époque – cela se voit par le très beau delta dans sa partie ouest (près duquel Perseverance va se poser), qui ressemble à ceux que l'on trouve à l'embouchure des fleuves sur Terre. Une des différences entre les deux sites, c'est que Jezero possède un exutoire, c'est-à-dire une vallée par laquelle l'eau pouvait sortir du cratère, alors que Gale était un "terminus" hydrologique. Une autre différence importante est la présence de zones riches en carbonates dans Jezero : ces minéraux sont très communs sur Terre, mais rares sur Mars (Curiosity n'en a trouvé que quelques traces dans Gale) ; or, les carbonates sont de bons indicateurs des conditions environnementales passées, et peuvent préserver d'éventuelles biosignatures. Ces zones sont des cibles prioritaires pour Perseverance », nous explique Erwin Dehouck.

On décrit souvent la planète Mars comme étant « figée dans le passé », car les conditions à sa surface ont très peu évolué depuis qu'elle s'est désertifiée, il y a plus de 3 milliards d'années. Dans un sens, c'est une chance extraordinaire de pouvoir observer ce milieu préservé (la Terre ayant une géologie et un climat beaucoup plus actif, les conditions primaires à sa surface ont disparu depuis longtemps).

Zoom sur le système de gestion des échantillons et des tubes du rover Perseverance. Un vrai robot à lui tout seul! Crédits NASA/JPL-Caltech

Mais on ne se rend pas forcément compte de la difficulté à trouver des traces de vie. « La période de l'histoire de Mars durant laquelle nous pensons que son environnement de surface a pu être "habitable", c'est-à-dire propice à l'émergence et au développement de la vie, se situe à une époque où, sur Terre, il n'existait que des organismes unicellulaires et microscopiques. Nous ne cherchons donc pas des squelettes fossilisés sur Mars », rappelle Erwin Dehouck.

La réponse se trouve dans la chimie et la géologie. Il s'agit donc plutôt de chercher des éléments qui, en étant un jour réunis, ont pu permettre l'émergence de conditions propices au développement de la vie.

« Ce sont des marqueurs beaucoup plus discrets, précise le planétologue. Cela peut être des structures minérales inexplicables par des processus purement abiotiques, ou encore des anomalies dans l'abondance de certaines molécules organiques. Mettre en évidence de tels marqueurs, et démontrer qu'ils sont effectivement liés à la vie, nécessite des analyses très poussées, difficiles à réaliser avec un rover. D'où l'idée de faire venir des échantillons martiens sur Terre ! ».

On comprend dès lors qu'il n'est pas facile de trouver un consensus sur les résultats des capteurs envoyés sur Mars, car ce qu'ils observent s'apparente plus à un jeu de piste, à un faisceau de présomptions que l'on façonne ensuite avec nos connaissances terriennes du vivant.

Un jeu de piste qui ne doit pas laisser place à la spéculation, aussi le retour d'échantillons doit-il permettre des analyses très poussées, sur des durées longues, par des laboratoires à la pointe de la recherche dans le monde entier. L'avantage d'une plateforme telle que Perseverance, c'est qu'elle est conçue pour parcourir plusieurs dizaines de kilomètres, et qu'elle est envoyée dans une zone riche pour sa diversité géologique.

Si tout se passe bien, les chercheurs auront peut-être sous la main, d'ici une décennie, une variété impressionnante d'échantillons de sol de la planète Mars. Et quand on sait que quelques grains de matière seulement peuvent révéler bien des choses sur le passé des planètes, on comprend mieux l'impatience pour la mission Mars Sample Return à venir !

Perseverance sera-t-il plus photogénique que Curiosity ? Crédits NASA/JPL-Caltech

Cette orientation pour une collecte et une étude future se ressent dans la conception même de la mission de Perseverance. « Le rover est effectivement très bien équipé pour les analyses in situ, mais la "philosophie" de sa charge utile est différente de celle de Curiosity. Là où ce dernier était conçu comme un laboratoire autonome (d'où le nom de la mission : Mars Science Laboratory), capable de réaliser sur place des analyses longues et complexes (diffraction des rayons X, chromatographie en phase gazeuse), Perseverance s'inscrit dans la perspective du retour d'échantillons : à la manière d'un géologue de terrain, sa priorité ne sera pas de résoudre immédiatement toutes les grandes questions que nous nous posons, mais plutôt d'identifier, de documenter et de prélever les meilleurs échantillons de roches pour pouvoir répondre à ces questions après des analyses plus approfondies sur Terre. Cela dit, même si les échantillons devaient ne jamais revenir, nous allons en apprendre énormément sur Jezero et sur Mars grâce aux données de Perseverance », conclut Erwin Dehouck.

Désormais, il faut croiser les doigts pour l'atterrissage de Perseverance le 18 février, et espérer que le rover pourra déployer toutes ses capacités sur Mars pour une mission réussie, sur le moment et sur le long terme !

Je tiens à me joindre à l'équipe de Clubic pour remercier Erwin Dehouck, du Laboratoire de Géologie de Lyon (Terre, Planètes, Environnement), de nous avoir accordé cette interview.