La comète 67p Churyumov-Gerasimenko et ses éjections de gaz. Crédits ESA/Rosetta/NAVCAM – CC BY-SA IGO 3.0
La comète 67p Churyumov-Gerasimenko et ses éjections de gaz. Crédits ESA/Rosetta/NAVCAM – CC BY-SA IGO 3.0

Une aventure dès sa conception, et un trajet de plus de 10 ans pour aller visiter une comète, et l'accompagner lors de son passage au plus près du Soleil… Que l'on doit à l'agence spatiale européenne ! 

Rosetta et Philae ont révolutionné notre façon de comprendre les comètes.

Se préparer pour une comète…

Pour trouver l'origine de Rosetta, il faut revenir presque 20 ans avant son lancement, après le passage de la comète de Haley. L'idée initiale (qui a même pris racine un peu plus tôt) est de concevoir une mission pour aller étudier une comète et y capturer des échantillons C'est d'abord un objectif de long terme... Mais au fur et à mesure que les années passent, le concept est raffiné : la technique est envisageable, mais une collaboration avec la NASA tombe à l'eau, tout comme le retour d'échantillons. Il y a ensuite des propositions avec plusieurs atterrisseurs, et d'autres abandons. La mission est redéfinie plusieurs fois, mais elle est centrale pour l'ESA : l'agence spatiale européenne souhaite un projet ambitieux !

Au tournant de l'an 2000, Rosetta est dans la phase finale de son développement. Et son plan de vol est d'ores et déjà connu : elle visera la comète 46p Wirtanen, après son décollage en 2003. Malheureusement pour les européens, il a fallu changer de plan une fois de plus, car lors du décollage inaugural d'Ariane 5 en version ECA le 11 décembre 2002, le lanceur fut victime d'une catastrophe. Rosetta était déjà au Centre Spatial Guyanais, et devait décoller quelques semaines plus tard… Impossible ! L'équipe scientifique a donc changé d'objectif, et décidé d'aller étudier un autre comète, 67p Churyumov-Gerasimenko, que les communicants et journalistes ont tôt fait d'appeler « Tchouri ».

La grande sonde Rosetta et ses instruments scientifiques. Elle pesait 3 tonnes au décollage. Crédits ESA/ATG Medialab
La grande sonde Rosetta et ses instruments scientifiques. Elle pesait 3 tonnes au décollage. Crédits ESA/ATG Medialab

Stockée plus d'un an, la sonde doit tout de même être modifiée pour s'accorder à sa nouvelle trajectoire et à son futur objectif, ce qui fait grimper les coûts de celle qui est à l'époque la première mission d'exploration de l'ESA à dépasser le milliard d'euros (1,3M). Rosetta finit par décoller sous la coiffe d'Ariane 5, avec sur son flanc le petit atterrisseur Philae, le 2 mars 2004.

Entre la découverte et le sommeil profond

Pour rejoindre la comète 67p, Rosetta va devoir manœuvrer… et attendre. Longtemps : dès son décollage l'équipe scientifique de la mission sait qu'elle devra patienter une décennie avant de voir son sujet d'étude ! Pourtant, pas question de laisser passer une occasion de quelques mesures scientifiques. Rosetta survolera deux fois la Terre sur son trajet (de quoi étalonner les instruments et surtout, gagner de la vitesse), ainsi que Mars le 25 février 2017. Chaque survol est complexe, puisqu'en plus de gérer très précisément la trajectoire, les équipes s'entraînent à mener de complexes séquences scientifiques. Car sur son chemin pour accompagner 67p, Rosetta a la chance de rencontrer deux grands astéroïdes, qu'elle va pouvoir survoler et étudier une seule fois. C'est une opportunité à ne pas manquer !

Le 5 septembre 2008, plus de 4 ans et demi après son départ, Rosetta survole l'astéroïde Steins (6 x 4 km), qui se révèle être en forme de diamant, à 800 km de distance. L'observation est un véritable défi pour que les instruments de la sonde soient efficaces au maximum sans avoir à pivoter vers le Soleil… Et entièrement automatisés car tout va trop vite pour piloter le véhicule. Enfin, le 10 juillet 2010, la mission européenne lève le voile sur Lutetia, très gros astéroïde de plus de 100 km de diamètre. Le survol apportera son lot de découvertes (notamment sur la densité interne de Lutetia) et des images absolument ahurissantes de cet autre monde au cœur de la ceinture d'astéroïdes.

La complexe surface de l'astéroïde Lutetia, vu par la sonde Rosetta. crédits ESA 2010 MPS for OSIRIS Team MPS/UPD/LAM/IAA/RSSD/INTA/UPM/DASP/IDA

Après ces survols, le rapatriement des données et une suite de vérifications, la sonde est mise en sommeil pour une durée de pratiquement trois ans. Elle sera loin de la Terre et du Soleil, consommera un minimum et n'exploite pas ses instruments. Tout ce qu'on espère, c'est qu'au moment voulu, on pourra la réveiller !

A la rencontre de 67p

Le 20 janvier 2014, les équipes jubilent à Darmstadt : Rosetta a correctement répondu aux commandes pour se réactiver ! Peu à peu, chaque instrument est testé et bientôt la sonde est entièrement opérationnelle, après 31 mois d'hibernation. Le 21 mars, son instrument optique à haute résolution détecte 67p Churyumov-Gerasimenko. Et bientôt le point grossit, grossit… jusqu'à révéler l'étrange forme de la comète, que l'on a associé dans un premier temps à celle d'un « canard de bain ». En juillet, Rosetta freine en se rapprochant, et le 6 août 2014, elle démarre ses opérations à proximité de « Tchouri », en quasi-orbite autour d'elle. Une complexe trajectoire faite de triangles et d'allers-retours successifs économise du carburant et permet de l'étudier sous tous les angles.

Ce qu'observe la sonde est absolument fascinant. La comète est dite « bilobe » : ce sont deux gigantesques blocs qui se sont rejoints il y a plusieurs milliards années et qui sont liés par une zone particulièrement intéressante de matière. La surface est tout sauf lisse, toute en falaises, en blocs imposants, en canyons plus sombre que le plus sombre des charbons. On y repère des fissures, des traces d'effondrements, récents et anciens.

Le "cou" de la comète qui relie ses deux lobes. Beauté noire et glacée... Crédits ESA/Rosetta/MPS for OSIRIS Team MPS/UPD/LAM/IAA/SSO/INTA/UPM/DASP/IDA

La sonde passera les trois premiers mois de son voyage avec 67p à réaliser un important travail de cartographie des zones très complexes de la surface, mais aussi de l'intérieur de la comète : lors des survols on peut mesurer son champ gravitationnel, mais aussi capter de quel type sont les particules qui s'en échappe. Car contrairement à ce qui était estimé à l'origine, malgré une distance de plus de 3 Unités Astronomiques du Soleil, « Tchouri » dégaze déjà.

Philae se pose, une histoire à rebondissements !

Le 12 novembre est un moment fort de la mission Rosetta. Après une intense préparation et une sélection des sites qui a du s'opérer en quelques semaines, le petit atterrisseur Philae est largué, et s'approche doucement de son site d'atterrissage. Il lui faudra 7 heures pour arriver à bon port, à une vitesse très limitée de 3 kilomètres par heure. Il touche le sol et les équipes sautent de joie… Mais surprise, après une poignée de minutes, les données indiquent que les dispositifs pour plaquer le petit véhicule au sol (harpon et propulseur inversé) n'ont pas fonctionné : Philae a rebondi ! Une fois immobile à la surface, il communique tout de même avec la sonde, mais sa situation n'est pas optimale. Bloqué contre une paroi (personne ne sait laquelle) et incliné, Philae réussit en trois jours la quasi-totalité de son programme scientifique, échouant seulement à forer la surface.

Où s'est donc posé Philae ? Le mystère va durer longtemps. Crédits Esa Atg Medialab/AF

Si par malheur Philae ne reçoit plus assez d'énergie pour recharger ses batteries car il s'est posé « à l'ombre », il reste toutefois une possibilité qu'il puisse se rallumer car l'orientation de 67p change constamment alors qu'il se rapproche du Soleil. En même temps qu'elle fait ses mesures scientifiques, Rosetta continuera donc pendant presque neuf mois de tenter d'établir la communication avec le petit atterrisseur. Ce dernier donne d'ailleurs signe de vie à la mi-juin 2015 et contre toute attente… Mais l'échange est erratique et aucune nouvelle commande ne peut être envoyée à Philae. De façon presque anecdotique, le petit véhicule franco-allemand sera découvert sur les clichés de Rosetta quelques semaines avant la fin de sa mission à l'été 2016.

Près du Soleil et bien au-delà

L'étude de la comète se poursuit. Rosetta passera quelques fois en « rase-mottes » au-dessus de la surface, mais ce ne sera pas répété trop souvent, car lors d'un passage, le véhicule se retrouve complètement désorienté par les particules environnant la comète. Le 13 août 2015, Churyumov-Gerasimenko est au point le plus proche du Soleil, et éjecte un maximum de matière. Rosetta n'est plus en quasi-orbite, elle observe la comète à plusieurs centaines de kilomètres de distance. Elle « croise » aussi la queue des gaz éjectés et analyse la composition des particules. On apprendra notamment que contrairement à ce qu'on imaginait, la glace d'eau contenue dans la comète n'est pas compatible avec l'apparition de l'eau sur Terre… Mais par contre, on y trouve des traces de « briques du vivant » qui peuvent amener à penser qu'une comète y a apporté des ingrédients pour l'apparition de la vie !

L'étrange diversité des objets autres que les planètes... Personne n'aurait pu prévoir sa forme ! Crédits ESA/Rosetta/NavCam – CC BY-SA IGO 3.0

De surprises en mesures, la mission se poursuit jusqu'en septembre 2016, jusqu'à ce que les panneaux solaires de Rosetta ne reçoivent plus assez d'énergie pour lui permettre de manœuvrer, de communiquer et de faire fonctionner ses instruments scientifiques. Après avoir transmis des terra-octets de données qui seront analysés pendant des décennies et dans le monde entier car Rosetta a enchaîné les « premières » avec ses instruments et Philae, elle sera envoyée se poser à la surface de 67p le 30 septembre… Et continuera jusqu'au dernier moment à émettre vers la Terre. Quelle réussite !