Pour la première fois, une mission décolle pour aller observer les hautes latitudes solaires et ses pôles. L'ambitieuse sonde européenne s'approchera du Soleil avec dix nouveaux instruments.
3, 2, 1, et décollage !
Le lancement est prévu lundi 10 février à 5h03 depuis la Floride. La NASA, qui est partenaire de la mission Solar Orbiter, contribue au projet en assurant le décollage à partir de Cap Canaveral. Tout se jouera donc sous la coiffe d'un lanceur Atlas V, qui aura la lourde responsabilité d'envoyer la sonde hors de l'attraction terrestre... Le tout en 53 minutes ! Un long moment de stress pour les équipes qui préparent, pour certaines, Solar Orbiter (aussi appelé SolO) depuis sa genèse en 2001.Une telle mission prend du temps pour être formulée, préparée, et pour que ses objectifs précis soient bien définis. En 2009, l'ESA sélectionne les dix instruments qui voleront avec la mission, avant de signer le contrat pour la conception de la sonde elle-même en 2012. Véritable bijou d'ingénierie et de recherche, Solar Orbiter peut enfin démarrer sa mission.
Des questions fondamentales
C'est donc le début d'un long voyage pour cette sonde de 1,8 tonnes, qui embarque plus de 200 kg d'instruments scientifiques afin d'étudier le Soleil sous un nouvel angle. La mission doit apporter des éléments de réponse à quatre questions fondamentales.D'abord, le vent solaire. Quel phénomène est à son origine et comment accélèrent les particules du vent solaire ? Ensuite, les régions à haute latitude. Solar Orbiter pourra observer grâce à son inclinaison d'orbite les pôles du Soleil, et notamment son champ magnétique. Comment ce dernier est-il généré, et comment traverse-t-il la « surface » du Soleil et sa couronne ? Que se passe-t-il dans les régions polaires lorsque la polarité du champ magnétique solaire s'inverse, tous les onze ans environ ?
Enfin, la sonde tentera d'observer des éruptions solaires et des éjections de masse coronale, pour répondre à des questions sur ces événements extrêmes : comment impactent-ils le Système Solaire et comment peuvent-ils générer des particules énergétiques ?
Un drôle de trajet
Ces questions, qui ont mené à la conception de la sonde, sont issues de plusieurs décennies d'observation du Soleil. L'ESA est à la pointe dans ce domaine, en étant à l'origine et en participant à au moins cinq missions spatiales incluant une étude héliophysique : Ulysses (1990), SOHO (1995), Cluster (2000), Double Star (2002) et Proba-2 (2009), en plus des grands progrès de l'observation et de la recherche au sol.De fait, le profil même de la mission de Solar Orbiter est particulier. Après son décollage, la sonde passera au plus près du Soleil environ une fois tous les cinq mois, et s'aidera de survols de la Terre (2021) et surtout de Venus (2020, 2021, 2022, 2025, 2026, 2028, 2029, 2030...) pour modifier son orbite grâce à un effet de fronde gravitationnel. Cela permettra à SolO d'économiser un maximum de carburant et de prolonger sa mission sur plus d'une décennie. À partir de 2027, son orbite sera inclinée de plus de 24° par rapport à l'équateur solaire : elle pourra alors observer longuement les pôles Nord et Sud du Soleil à chaque révolution. Les équipes espèrent 22 orbites complètes et une possible extension dans la décennie 2030...
Mur de boucliers !
Comme Solar Orbiter va s'approcher du Soleil à moins de 42 millions de kilomètres, la sonde va devoir opérer durant de longues périodes derrière un impressionnant bouclier. Conçu pour résister à plus de 500°C, il a été développé avec un ensemble de matériaux à haute résistance : titane, fibre de carbone et aluminium. Le bouclier encaissera jusqu'à 13 fois le rayonnement solaire que les satellites autour de la Terre doivent supporter. Et il est équipé... De petites fenêtres. En effet certains instruments ont pour mission d'observer directement le Soleil à intervalles réguliers. Pour qu'ils puissent fonctionner, le bouclier est équipé de minuscules petits volets glissants et de hublots dédiés aux capteurs.Tous les équipements ont été spécialement préparés pour une mission proche du Soleil, y compris les panneaux solaires, qui seront pilotés pour montrer seulement un minimum de leurs cellules à l'approche de notre étoile : une seule mauvaise orientation et les composants seraient irrémédiablement abîmés.
Les instruments, eux, se divisent en deux catégories : ceux qui vont observer le Soleil à distance et ceux qui vont mesurer les caractéristiques in situ de l'environnement que traverse la sonde. On retrouve dans les dix instruments embarqués des imageurs avec différentes bandes de fréquence pour mettre certaines caractéristiques en valeur, un spectromètre à rayons X, un coronographe (instrument qui cache le Soleil pour mieux observer sa couronne), un magnétomètre, un analyseur d'ondes radio et plasma, un capteur de vent solaire et un détecteur de particules énergétiques.
Un ensemble très international dont les équipes sont réparties dans toute l'Europe ainsi qu'à Washington. La France a la chance de manager deux instruments, l'analyseur d'ondes radio et plasma RPW depuis le laboratoire LESIA (Observatoire de Paris) et l'imageur spectral de l'environnement coronal SPICE depuis l'IAS à Orsay.
Photos de famille
La dernière particularité de Solar Orbiter ? Sa cousine ! En effet une autre mission exceptionnelle a lieu en même temps, celle de la sonde solaire Parker (PSP). Cette dernière est spécialisée avec une suite de cinq instruments pour les observations in situ... Et pour cause : elle plonge à intervalles réguliers jusqu'à frôler la couronne solaire, à moins de 20 millions de kilomètres de notre étoile (et en 2025, elle s'en sera rapprochée jusqu'à 6,5 millions de kilomètres) !Parker est bien plus petite que Solar Orbiter, et si elle se cache aussi derrière un gros bouclier, ses instruments ne sont pas tout à fait identiques. En revanche, lorsque les deux sondes seront actives, elles produiront des résultats complémentaires : chacune pourra donner du contexte aux mesures de l'autre... Et on sait déjà que ces données seront capitales pour les futures publications.
L'héliophysique est un domaine qui connait un âge d'or avec ces deux missions et l'apparition de nouveaux télescopes au sol comme le Daniek K. Inouye de 4 mètres de diamètre. Ensemble, ils vont permettre de lever une partie des mystères de notre étoile qui est bien plus qu'une réaction de fusion thermonucléaire : les phénomènes énergétiques, magnétiques et physiques sont si extrêmes dans ses différentes couches qu'ils dépassent parfois l'entendement.
Et après tout, sans le Soleil, nous ne serions pas là...