1959, la course à l'espace : Luna-1, le loupé soviétique transformé en succès

Eric Bottlaender
Par Eric Bottlaender, Spécialiste espace.
Publié le 05 février 2021 à 15h34
Lune
C'est qu'en plus, l'objectif n'était pas petit... © Wikipedia Commons

La deuxième manche de la « Course à l'espace » entre Américains et Soviétiques concernait déjà la Lune... À une période où il était encore difficile d'atteindre l'orbite terrestre.

Une époque d'oppositions, de fake news et de petits coups de génie.

Après Spoutnik, l'électrochoc

La mise en orbite du tout premier satellite artificiel, Spoutnik, en octobre 1957, a coupé l'herbe sous le pied des américains qui ne réussiront le même exploit que quatre mois plus tard avec Explorer-1. L'Union Soviétique en a profité pour envoyer la chienne Laïka et poursuit ses remarquables travaux avec des satellites de plus en plus lourds et ambitieux. Les deux nations planchent déjà sur l'avenir : quel sera le premier bloc à envoyer un humain dans l'espace ?

Mais pour les américains, qui se mobilisent sur la question, les moyens immédiats ne sont pas encore à leur disposition. Au printemps 1958, une autre idée leur permettrait de redorer un peu leur blason à court terme : viser la Lune. C'est le début du programme Pioneer... Sauf que même s'il est chapeauté par l'US Air Force à ses débuts, l'information arrive bien vite dans les bureaux soviétiques.

Pioneer 1
La sonde Pioneer-1 sur son pas de tir. © NASA

Cap sur la Lune !

S'il existait jusque là des propositions pour atteindre la Lune en URSS, ils n'avaient pas l'aval des autorités. Qui bien sûr décident quel la Lune est une priorité dès qu'ils ont vent des ambitions américaines. Il reste malgré tout un problème de taille : le lanceur soviétique Spoutnik issu du missile R-7 n'a pas les capacités pour atteindre la Lune. Il faut donc lui rajouter un étage de fusée, ce qui est plus facile à dire qu'à faire car ce dernier doit s'allumer dans le vide. L'étage sera appelé « Bloc E » et la sonde « E1 » (c'est pas sexy, c'est comptable).

La première tentative sera malgré tout américaine, car l'adaptation de la fusée n'est pas encore prête à Baïkonour. Mais il s'agit dans le camp adverse aussi d'une nouvelle technologie de fusée, et le tir échoue : les dés sont relancés ! Les équipes soviétiques, qui ont malgré leurs soucis une fusée plus puissante, continuent de travailler aux détails techniques avec une tactique de vieux renards : leur trajectoire vers la Lune est plus courte que celle des américains. En cas de lancement, ils n'auront qu'à faire décoller leur propre sonde dans les 24 heures, et elle sera capable d'arriver sur la Lune juste avant leurs adversaires...

Luna 1 Lunik 1
La sonde E1 © URSS


Match aller, match retour

La théorie se heurte toutefois à la réalité, et le 11 octobre 1958, malgré un décollage juste après Pioneer-1, la fusée soviétique a un problème de vibration et ne réussit pas à atteindre l'orbite. Par chance pour eux, Pioneer-1 restera autour de la Terre avec ses propres problèmes... La troisième manche se soldera peu ou prou sur le même bilan : les deux blocs ont réussi à envoyer des satellites en orbite, mais contrôler des lanceurs aux masses plus importantes sur des trajectoires orbitales fines, avec des allumages moteur dans le vide se révèle bien plus difficile que prévu. Aussi incroyable que cela puisse paraître, l'année 1958 se solde par un échec des deux côtés... Mais tout juste.

Le 2 janvier 1959, la sonde soviétique E1 numéro 4 décolle de Baïkonour. Cette fois, elle traverse le ciel exactement comme prévu, le problème de vibrations est réglé !

Catastrophe... Ou pas

Malgré tout, un incident émaille le vol au dernier moment : la commande envoyée par radio depuis le sol pour éteindre le moteur de l'étage Bloc E est émise en retard. Patatras, la sonde trop rapide va rater la Lune ! Tout est raté... Ou pas du tout ? Après tout, qui savait que E1 n°4 était un impacteur destiné à s'écraser sur la Lune ? Ne pourrait-on pas plutôt dire et écrire qu'elle est la première à survoler la Lune, et surtout à quitter l'influence gravitationnelle de la Terre pour entrer dans l'espace interplanétaire ? Tout dépend comment on raconte l'histoire, après tout, elle n'est pas passée si loin de la Lune...

Luna-1 (appelée Lunik-1 en occident) devient donc l'une des « grandes premières » soviétiques construite à partir d'un semi-échec. Mais qu'importe, quand le concurrent n'y arrive pas du tout.

Luna 1 bloc E
Maquette taille réelle de la sonde sur son étage de fusée.


Pionniers, encore une fois !

E1 (ou Luna-1) est une sonde toute simple. Pour un néophyte, cette forme de sphère avec ses antennes rappelle d'ailleurs fortement le design de Spoutnik. Elle pèse pourtant plus de 360 kg et embarque six instruments scientifiques, dont un magnétomètre, un détecteur de micrométéorites, un compteur Geiger et un détecteur à scintillation, de quoi observer des particules ionisées et un détecteur Tcherenkov. En bonus l'étage supérieur est équipé d'un éjecteur qui va relâcher environ 1kg de gaz de sodium derrière la sonde, ce qui permet d'en faire une « comète artificielle » et de suivre facilement sa position. Luna 1 n'a ni propulsion ni panneau solaire : à cette époque, les Etats-Unis sont les seuls à utiliser cette technologie qui balbutie.

L'impacteur qui n'impactera jamais la Lune devient le premier véhicule à quitter le système Terre-Lune le 5 janvier 1959 (suivi de près par son étage de fusée Bloc E).
Eric Bottlaender
Spécialiste espace
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Labarthe

Fin 1959 le match se termine par 3 à 0 pour l’Urss, grâce à luna 2 (impact) puis luna 3 (survol et 1ers clichés face cachée) !

ebottlaender

Oui, mais ça c’est une autre histoire :stuck_out_tongue:

Fulmlmetal

Peu importe le 3-0 pour l’URSS, tout ce que l’histoire et les gens ont retenu c’est le premier homme sur la Lune. Meme ce premier pas sur la lune a eu plus d’impact dans les mémoires et les générations suivantes que le premier vol d’un homme dans l’espace.

Labarthe

Et en seulement 10 ans !

Aujourd’hui le match n’intéresse que les americains (nasa+privé, avec leurs supplétifs) et les chinois qui font moins rêver que les soviétiques en leur temps.

Fulmlmetal

Pour faire rêver il faut innover. Pour le moment les chinois n’ont fait que faire ce que d’autres ont déja fait avant eux.

ebottlaender

Teuteuteu, en France, peut-être, mais la Chine fait rêver des centaines de millions de ses propres concitoyens. Et leurs moyens sont largement d’actualité. Rappelons quand même leurs prouesses lunaires (1er posé sur la face cachée, 1er satellite en orbite halo derrière la Lune, 1ers CubeSats lunaires avec caméra amateur, 1è nation à poser un robot du premier coup sur la Lune… ). Leur programme est souvent vu comme une redite, mais il est très ambitieux et même s’il va « à son rythme » la prochaine décennie sera assez passionnante. On va déjà voir s’ils arrivent à ramener des échantillons.

Laurent_Tiko

4-0 pour la Russie si on considère que le 2ème corps à toucher la lune est le 3ème étage de la fusée, 1/2 heure après Luna2… On n’est pas dans la finesse, Luna1 est passée à 6000km, Luna2 touche à 10.000 km/h et se vaporise: ca tient plus du bombardement… D’ailleurs, initialement, Luna devait faire exploser une bombe nucléaire sur la lune, une maquette a été réalisée, mais projet abandonné de peur des réactions en chaîne de la communauté scientifique… Luna 1 confirmera qu’il n’y a pas de radioactivité et il n’y aura pas de Luna 4 pour l’y installer !

TAURUS31

Si quelqu’un peu expliquer au néophyte que je suis pourquoi on a réussi à se poser sur la Lune avec des technologies des années 60 et qu’aujourd’hui avec nos technologies actuelle on galère pour y retourner , que ce demande des années de préparations ?

ebottlaender

C’est avant tout une question d’argent et de lanceur. Dans les années 60, la NASA recevait 4% du PIB des Etats-Unis pour ses activités dont l’essentiel était dédié à la conquête lunaire.
Aujourd’hui elle reçoit 0,4% du PIB et ses activités couvrent un énorme spectre d’activités (ISS, observation de la Terre, exploration robotisée du système solaire, astronomie etc). Le choix de la Lune est essentiellement politique, et dans la dernière décennie la NASA a fait des choix discutables sur les options qui lui étaient demandés pour se rendre vers la Lune et Mars avec ses astronautes, s’engageant dans un projet nommé SLS qui cumule les retards et dépassements de budgets.
On retournera sur la Lune, quand ce sera jugé suffisamment prioritaire et utile. Il y a d’ailleurs pas mal de projets qui visent à y envoyer du matériel et des humains dans les années à venir (Artemis, aux USA).

Labarthe

Avant tout une question de volonté politique dans un contexte géopolitique donné.

La Chine s’est donnée les moyens de rouler sur la lune et prépare des missions plus ambitieuses encore, y compris pilotées.

A contrario Europe et Japon qui ont toutes les compétences requises ont fait d’autres choix, préférant attribuer leurs budgets contraints à d’autres objectifs scientifiques: comètes, mars, soleil, mercure, titan, prochaines destinations financées phobos, satellites de Jupiter

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