Bien sûr vu comme ça il fait très vintage, mais Lunokhod était en avance sur son temps. Crédits NASA
Bien sûr vu comme ça il fait très vintage, mais Lunokhod était en avance sur son temps. Crédits NASA

Destinés initialement à soutenir les opérations des cosmonautes à la surface lunaire, les rovers (ou astromobiles) Lunokhod sont restés dans l'histoire comme les premiers véritables robots à roues opérant sur une autre surface que la Terre. Le programme, éclipsé par Apollo, fut pourtant un éclatant succès.

Ils ont parcouru les chemins, ils ont tenu la distance…

De l'accompagnement à l'exploration

Quel véhicule pour la Lune ? La question anime l'imaginaire même avant la course à l'espace, puisque même Hergé dote ses astronautes d'un char lunaire. Lorsque l'Union Soviétique commence à travailler (trop tard) à sa réponse au programme Apollo, le célèbre bureau d'étude OKB-1 de Sergei Koroliov a imaginé une première version de rover (ou d'astromobile), qui aurait pour tâche de préparer le site avant l'atterrissage des cosmonautes, et de les aider à installer du matériel sur place. L'ingénieur responsable du programme, Alexandre Kemourdjian, vient de la conception de chars, et cela se ressent sur le design de l'engin. Mais il est aussi particulièrement attiré par les systèmes télécommandés, et cela se révèlera très efficace.

Malheureusement la première version développée pour la N-1 est trop grande et trop lourde : il faut changer de lanceur pour que Lunokhod (littéralement « rover lunaire ») puisse partir. Et grâce aux premières missions robotisées qui touchent la surface, le bureau le modifie encore : il sera équipé de huit roues, et non plus de chenilles. Le design initial est terminé à la fin de l'année 1965.

Les trois éléments clés : lanceur, atterrisseur, rover. Crédits URSS
Les trois éléments clés : lanceur, atterrisseur, rover. Crédits URSS

Malheureusement, de nombreux projets soviétiques se télescopent avec des moyens limités et compartimentés. Le programme habité a bien du mal à mettre Soyouz en fonction, la gigantesque fusée N1 est très en retard, et les débuts du lanceur Proton, prometteurs, sont mobilisés par d'autres véhicules et sondes (comme les missions lunaires Zond). Construit à partir de 1967, le premier exemplaire de Lunokhod est prêt au début de l'année 1969. Après les exploits habités américains d'Apollo 8, réussir à poser et opérer un rover à la surface de la Lune serait une revanche appréciable : les USA n'ont rien d'équivalent dans leurs cartons. Malheureusement pour l'URSS, le décollage de Lunokhod-1 le 19 février 1969 se passe très mal, et le robot n'atteindra pas l'orbite. Double catastrophe, les 25 kg de matériaux radioactifs qui servent à réchauffer Lunokhod ne seront jamais retrouvés…

Un deuxième Lunokhod pourrait être prêt rapidement, mais les autorités changent d'avis. Pour reprendre l'initiative populaire aux américains, ils décident de mettre le paquet sur les projets de retours d'échantillons lunaires. Rebaptisé Lunokhod-1, le deuxième robot ne partira finalement pour la Lune que le 10 novembre 1970.

Une bien belle marmite…

Lunokhod, sans faire offense à ses concepteurs, ressemble un peu à une baignoire fermée placée sur six roues. C'est relativement conforme à ses dimensions, car c'est un grand rover : 1.35m de haut sans compter les antennes, 2,2 mètres de long en comptant le châssis, et 2.15m de large au niveau du panneau solaire ! Ce dernier ressemble au couvercle d'une énorme marmite, et se referme lors des nuits lunaires (rappel, sur place il fait jour durant 2 semaines, puis nuit durant un intervalle similaire). La nuit justement, Lonokhod compte sur son générateur de chaleur radioactif pour maintenir ses équipements en vie. Les moteurs sont répartis sur les moyeux de ses huit roues, dont les suspensions absorbent les chocs au déplacement de ce mastodonte de presque 800 kg. Ils embarquent des instruments rudimentaires mais efficaces pour l'époque : des appareils photos équipés pour réaliser des panoramas, de quoi mesurer la distance et la résistance du sol, un spectromètre à rayons X, un détecteur de rayons X, un petit télescope à rayons X, un réflecteur français par rover, et pour Lunokhod 2, un photomètre et un magnétomètre.

Panorama lunaire effectué par Lunokhod-2. Crédits URSS

Lunokhod, c'est aussi une plateforme d'atterrissage impressionnante, de 4m d'envergure une fois les pieds déployés, intelligemment conçue et qui ne décevra pas ! La fiabilité, les moteurs et les réservoirs se paient pourtant par une masse élevée : 4,9 tonnes pour la plateforme à elle seule. Une fois sur le sol lunaire, elle abaisse deux rampes qui permettent au rover de descendre rouler sur le régolithe.

Lunokhod-1 se pose avec succès, Lunokhod-2 trace la route

7 jours après son décollage de Baïkonour, Luna-17 se pose, et déploie le premier Lunokhod sur la surface lunaire, dans la mer des pluies (quart Nord-Ouest visible). Sa progression n'est pas toujours aisée, parce qu'il ne faut pas croire que le pilotage était comparable à ce qui est envoyé aujourd'hui à Curiosity ou Yutu, qui sont des véhicules très automatisés. Pour Lunokhod, il s'agit ni plus ni moins d'un véhicule télécommandé à très longue distance. Il y a donc un véritable poste de conduite installé à Moscou qui permet de piloter le rover avec une latence d'environ 5 secondes dans les commandes ; tout à fait correct pour des manœuvres simples.

En étant prudents, et malgré quelques frayeurs sur des pentes de cratères, les équipes réussiront à le faire tenir dix jours lunaires, soit plus de 300 jours terrestres, jusqu'au 14 septembre 1971, avec plus de 10,5 km au compteur.

Impressionnants virages, non ? Lunokhod-1 pouvait faire un tour sur lui-même en moins d'un mètre. Crédits URSS

Une prouesse réitérée avec Lunokhod-2, version améliorée du premier qui décolle le 8 janvier 1973 et se pose dans le cratère Le Monnier le 15. Cette fois, le rover (840 kg) et notamment sa propulsion et ses instruments, ont été optimisés. La mission est plus efficace, mais survivra moins longtemps, car le robot bascule dans un cratère le 9 mai. Son panneau recouvert de poussière, il ne fonctionne plus aussi bien et la mission se termine le 2 juin. Reste que Lunokhod-2 a réalisé et transmis pratiquement 80000 clichés (malheureusement bien peu ont été publiés), et a parcouru 37 kilomètres ! Un record qui tiendra jusqu'à 2015 avec le marathon martien du petit Opportunity.

Un héritage en demi-teinte

Non seulement les deux rovers ont généré un engouement mérité pour leur exploit (même s'il a peu pesé, au regard de l'histoire, sur la course à la Lune qui était déjà « terminée »), mais ils ont rapporté une moisson scientifique importante. Résistance du sol, analyse chimique de ses composants, détection du minuscule et fluctuant champ magnétique lunaire… Sans compter l'utilisation toujours disponible aujourd'hui de ses réflecteurs laser. Ces dispositifs que l'on peut assimiler à des catadioptres renvoient la lumière d'un rayon laser émis depuis la Terre, ce qui permet de calculer avec une extrême précision la distance Terre-Lune. Une mesure également disponible avec les sites des missions Apollo, et qui est mise en œuvre à des intervalles réguliers. On connait aujourd'hui la position de Lunokhod-2 a moins d'un mètre près !

Pas facile pourtant de rouler sur ce genre de terrain... (Lunokhod-1). Crédits URSS

Lunokhod n'est pas un programme très connu pour le public d'aujourd'hui. Réalisation soviétique arrivée trop tard, elle aura posé un jalon majeur dans l'exploration spatiale. Elle aura aussi brièvement fait parler d'elle en 1993 pour de mauvaises raisons. Dans une Russie ruinée, l'entreprise Lavotchkine vend tout ce qui lui passe par la tête. L'entrepreneur anglais (et futur astronaute privé) Richard Garriott achète alors le titre de propriété de Luna-21 et Lunokhod-2 pour 68500 dollars…