En 2016, l'agence spatiale japonaise envoie son plus ambitieux télescope à bande X en orbite, Hitomi (ou Astro-H). Equipé par des instruments issus d'un consortium international mené par le Japon, il doit assurer la relève des unités du début des années 2000… Mais il se désintègre suite à une erreur logicielle un mois après son lancement.
Dans l'espace, la moindre erreur ne pardonne pas.
Jouer sur ses atouts
Vous ne le savez peut-être pas, mais le Japon est l'un des pays les plus actifs dans le domaine de l'astronomie en bande X. Cette dernière impose d'avoir des télescopes orbitaux (ou éventuellement des ballons-sonde), pour la simple et bonne raison que l'atmosphère terrestre absorbe cette bande de fréquence. Hitomi, aussi appelé Astro-H, est le sixième modèle envoyé par l'agence japonaise JAXA. Et son objectif est ambitieux : l'appareil doit prendre en quelque sorte la relève de deux télescopes déjà en orbite depuis quinze ans, l'européen XMM-Newton et l'américain Chandra… En attendant la génération suivante de télescopes en bande X qui n'arrivera en orbite qu'autour de 2023-25.
Le Japon a une bonne expérience, mais reste sur un échec au lancement, et sur un problème de refroidissement avec son télescope à rayons X précédent, Suzaku. Reste que les problèmes ont été bien identifiés.
Du coup, ce sont près de 70 instituts de recherche, de huit pays différents, qui participent à cette mission, directement ou indirectement. Le Japon gère le projet et fournit le gros du budget (270 millions de dollars), avec notamment la conception et la construction du télescope orbital, qui comprend deux parties optiques distinctes et quatre instruments principaux pour détecter les rayons X « Durs » HXT (Hard-X-Ray Telescope) et les rayons X « Mous » SXT (Soft-X-Ray Telescope).
La NASA participe évidemment au projet, ainsi que l'agence spatiale canadienne (CSA), l'ESA européenne et l'agence spatiale néerlandaise (SRON), elle aussi à la pointe de ce type d'observations.
Etapes astronomiques
L'étude initiale remonte à 2006, mais il faut du temps pour ce genre de collaboration, et ASTRO-H (qui sera assemblé par la société NEC) sera retardé à plusieurs reprises. Le véhicule final est impressionnant : 2,7 tonnes sur la balance, 12 mètres de long une fois son instrument télescopique HXI déployé. Le décollage a finalement lieu le 17 février 2016 depuis le centre de lancement japonais de Tanegashima. Sur une orbite circulaire à 575 kilomètres d'altitude, la mission est renommée Hitomi (la pupille de l'œil, en traduction littérale).
L'objectif scientifique est ambitieux : il s'agit d'observer l'univers et l'énergie des amas galactiques, cartographier et mesurer l'énergie des événements extrêmes tels que les trous noirs supermassifs, mais aussi cartographier la matière noire… Clairement, l'objectif est donc de faire un bond en avant en profitant des retours d'expériences des grands télescopes orbitaux encore en service.
Le début des opérations en orbite se déroule très bien. Avant la fin février, le véhicule est jugé sain sur le plan technique, et le mat déployable de l'instrument HXI est étendu. L'opération fonctionne comme prévu, et début mars, les premières acquisitions scientifiques peuvent avoir lieu : c'est la phase dite « de recette ».
Les instruments sont allumés et lentement étalonnés, les équipes mènent leurs bilans de santé, il y a acquisition des premières images. Les résultats, après trois semaines, sont déjà prometteurs. L'instrument SXS observe le cœur de l'amas de galaxies de Persée et y mesure la vélocité des gaz chauds avec une précision vingt fois supérieure aux standards des missions précédentes, permettant même d'analyser la composition de ces gaz de manière inédite.
Malheureusement, les équipes scientifiques ne pourront pas aller plus loin.
Allo Tokyo, on a un problème…
Le 26 mars au matin, les équipes japonaises n'arrivent pas à prendre contact avec le satellite. Quelques heures plus tard, le centre d'observation américain des objets en orbite détecte « au moins cinq débris » à la position du télescope orbital. Que s'est-il passé avec Hitomi ?
Le lendemain, alors que les observations écartent un problème avec un impact extérieur, ce sont encore d'autres pièces qui sont détectées. Il faudra vite se rendre à l'évidence Astro-H s'est partiellement désintégré. Sans grand espoir, les équipes japonaises tenteront encore quelques semaines de reprendre contact avec la mission, sans succès. Une enquête est lancée, et en fin de compte personne ne le savait, mais le télescope était condamné depuis son lancement par une longue suite d'erreurs logicielles et de systèmes désactivés.
En réalité, Hitomi a subi une défaillance de sa centrale inertielle, qui a cru (à tort) que le véhicule tournait très lentement sur lui-même. Le viseur d'étoiles, temporairement désengagé, n'a pas pu annuler cette erreur à temps : le télescope a tenté de corriger cette rotation en engageant ses roues gyroscopiques, ce qui a au contraire généré un autre problème, puisque cette fois Hitomi a bien tourné sur lui-même.
Après un temps, l'ordinateur de bord a ordonné que le télescope se place dans un mode de sécurité, où il aurait théoriquement dû charger ses batteries, s'orienter « panneaux face au Soleil » et tenter de communiquer avec le sol. Mais plusieurs systèmes ont été désactivés le temps de la recette scientifique.
Les gyroscopes ont continué de faussement compenser la rotation de la centrale inertielle, jusqu'à atteindre leur butée, après quoi les propulseurs principaux ont tenté à leur tour de rétablir la situation… En aggravant la rotation inverse. En quelques heures à peine, Hitomi est entré dans une spirale infernale. Or un satellite n'est pas conçu pour résister à ce genre d'efforts : avant que les équipes au sol ne comprennent la situation et puissent entrer en contact, le télescope orbital s'est désintégré.
« Space is Hard », tous les jours
L'échec de cette mission a beaucoup embarrassé le Japon, l'enquête ayant révélé plusieurs failles. En juillet 2017, les autorités ont cependant décidé de s'engager sur une mission de remplacement, qui n'aura pas les capacités de Hitomi (seulement deux instruments au lieu de quatre), mais qui devrait tout de même combler un « trou » capacitaire dans l'observation en bande X d'ici à ce que les grands observatoires de prochaine génération (qui sont en retard) puissent entrer en service.
La NASA a accepté de collaborer une nouvelle fois avec l'agence japonaise, suivie des autres partenaires. Cette fois le projet s'appelle XRISM (X-Ray Imaging and Spectroscopy Mission). Le décollage est attendu début 2022.