Décollage de Falcon 9 de SpaceX depuis le site de Vandenberg © SpaceX
Décollage de Falcon 9 de SpaceX depuis le site de Vandenberg © SpaceX

Face à la médiatisation des décollages depuis Cape Canaveral, il serait facile d'oublier que le spatial américain dispose d'une base en Californie, sur la côte ouest. À Vandenberg, les États-Unis visent l'orbite polaire, testent des missiles et font même décoller des missions martiennes. Le tout derrière une brume naturelle.

Et dire qu'elle a failli accueillir les navettes !

Petits soldats dans le brouillard

Au commencement, il n'y avait que la brume… Une petite vallée descendant du village de Lompoc jusqu'à l'océan Pacifique, la petite rivière Santa Ynez, un plateau rocheux et peu accueillant. Si l'US Army s'y installe en 1941, c'est parce que la zone est déserte, qu'il n'y aura pas besoin de relocaliser des agriculteurs ou des habitants, et qu'il y a de la place pour transformer le site en terrain d'entrainement pour l'artillerie.

Elle s'appellera la base Cooke. Désaffecté après la seconde guerre mondiale (et après une brève période en tant que camp de prisonniers), le grand site est brièvement utilisé pendant la guerre de Corée. Mais surtout, il est cédé à l'US Air Force en 1956 pour y installer une base de missiles et un camp d'entraînement. La guerre froide bat son plein, et lorsque les missiles intercontinentaux seront une réalité, ils pourront décoller de Cooke pour partir immédiatement vers l'URSS par l'océan, sans survoler de zone habitée.

Cooke repart de plus belle

Les travaux démarrent immédiatement pour accueillir des missiles Atlas, Thor et Titan, en plein développement… Mais aussi les personnels qui vont avec. Une armada d'ouvriers du BTP s'active pour construire bunkers, sites de lancement, maisons, centres de commande et autres hangars.

Le construction se fait dans un secret tout relatif : contrairement à ce qui se fait en URSS, la présence de la base n'est pas cachée, mais le territoire est suffisamment étendu pour que les yeux et les oreilles indiscrètes ne puissent s'approcher des activités sensibles.

Il faut dire que le climat sur place est propice à la discrétion, quand on voit à peine le haut de la tour de lancement... © United Launch Alliance
Il faut dire que le climat sur place est propice à la discrétion, quand on voit à peine le haut de la tour de lancement... © United Launch Alliance

Il faudra cependant attendre le 23 novembre 1957 pour que l'US Air Force ait le droit de lancer des missiles depuis la base Cooke, pour le développement et les tests en temps de paix : Spoutnik fait bouger les lignes ! Devant l'importance que prennent les régiments de missiles, mais aussi le potentiel nouveau des satellites en orbite terrestre, le site est agrandi plusieurs fois.

La base est renommée Vandenberg AFB (en l'honneur d'un général du même nom) en 1958.

Une longue liste de missiles…

Le premier tir de missile aura finalement lieu en décembre 1958, inaugurant une longue série de tests… Vandenberg sera aussi une base opérationnelle pour des silos de missiles stratégiques, et ce jusqu'en 2004.

Différentes familles s'y succèdent : Thor, Atlas, Titan, puis longtemps des Minuteman dans leurs grands silos, et enfin Peacekeeper. Aujourd'hui, les missiles stratégiques américains ont déserté Vandenberg, mais la base abrite encore beaucoup d'activité dédiée à ce secteur. Le département de la défense y teste par exemple ses intercepteurs de missiles de croisière, de satellites et de missiles balistiques. Le développement et les essais ont toujours lieu sur place dans la même discrétion qu'il y a 70 ans auparavant. On y a aussi vu des essais de technologies hypersoniques…

Un satellite dans la brume... © United Launch Alliance

Vandenberg, la reine des orbites polaires

Deux mois à peine après le premier décollage de missile, c'est le petit satellite Discoverer-1 qui décolle pour l'orbite, le 28 février 1959. En suivant une trajectoire plein Sud depuis Vandenberg, une fusée ne survole aucune terre habitée jusqu'à passer au-dessus de l'Antarctique : une aubaine, tant pour la sécurité des vols que pour les possibilités de trajectoire. Une orbite polaire héliosynchrone permet en effet de passer au-dessus des mêmes points du globe à heure fixe, un élément crucial pour les satellites d'observation de la Terre, qui ne sont à l'époque ni plus ni moins que des unités d'espionnage.

Les États-Unis masquent à cette époque leur programme Corona, de surveillance du territoire russe, avec l'appellation publique Discoverer. Le 10 août 1960, Discoverer-13 décolle de Vandenberg. Après 17 orbites, il largue une petite capsule, qui devient le premier objet à retourner intact depuis l'orbite en amerrissant sous parachute au large de Hawaï. Une première maintes fois répliquée tout au long de la guerre froide : les satellites décollent de Vandenberg, puis « déposent » leurs capsules contenant les bandes de films près des bases américaines.

Évidemment quand ça se dégage, le site est de toute beauté © United Launch Alliance

Par sa situation géographique, Vandenberg devient bientôt la référence américaine pour les bases de lancement vers les inclinaisons polaires.

Politiquement, c'est beaucoup plus facile que depuis la Floride (bizarrement, les fusées passant près ou au-dessus de Cuba n'ont pas fait l'unanimité ces 50 dernières années), et disons-le franchement, la discrétion de Vandenberg se marie très bien avec les activités des satellites aux orbites polaires.

Il y a eu (et il y a toujours) quelques raretés orbitales depuis le site Californien avec des satellites sur des orbites « à rebours », c'est-à-dire que leur rotation est à l'inverse de celle de la Terre… Mais cela reste, en nombre de lancements, assez anecdotique.

Les ratés de l'astronautique de l'Ouest

Lorsque des astronautes ont commencé à voler depuis Baïkonour, puis depuis Cape Canaveral, la question des vols habités s'est posée à Vandenberg également. Mais le site est frappé d'une malchance qui va se prolonger durant des décennies.

L'US Air Force y prépara en effet des vols habités militaires avec un lanceur Titan modifié dans le cadre du programme de station orbitale MOL… Mais pour des raisons de budget, ce dernier a été annulé dans la seconde moitié des années 60. Moins de dix ans plus tard, un accord est signé pour que les futures navettes STS décollent à leur tour depuis Vandenberg. Les installations sur place, moins imposantes et plus optimisées que celles de Cape Canaveral bénéficient du retour d'expérience. Mais l'adaptation du SLC-6 est finalement très coûteuse et tout aussi en retard.

Le premier vol est prévu en octobre 1986… et n'aura jamais lieu, à cause de la catastrophe de Challenger et des restrictions qui ont suivi l'enquête. En 1989 après quinze ans de préparation, les États-Unis font une croix sur les vols habités californiens (il faudra attendre 2004 avec une parabole suborbitale depuis le site de Mojave…).

Ah quand même, on peut avoir quelques regrets... © US Air Force

Des constellations aux bijoux de la défense

Aujourd'hui, Vandenberg est un site spatial qui n'est utilisé qu'en fonction de quelques opportunités particulières. Cela comprend notamment des lancements pour la défense américaine avec les fusées qui disposent d'installations sur place (Falcon 9, Atlas V, Delta IV Heavy et quelques rarissimes fusées Minotaur). En 2018, le centre accueillait son premier décollage à destination de Mars, avec la mission InSight, et quelques satellites d'observation de la Terre comme Jason-3 ou Sentinel-6 ont décollé entre les bancs de nuages.

Vandenberg reste aussi le site de référence pour la constellation Iridium-Next, avec huit lancements de satellites via Falcon 9 entre 2017 et 2019 (à présent, SpaceX peut aussi faire atterrir ses fusées sur place). D'autres opérateurs de satellites sont intéressés par les orbites proposées à Vandenberg, et du coup, cela attire même de nouveaux lanceurs du NewSpace. Les équipes de Firefly Aerospace préparent ainsi le premier vol de la fusée Alpha, prévu ce semestre, sur le site californien. De quoi assurer l'avenir de la base…