Après la course à la Lune et une période d'accalmie, la Guerre froide reprenait de plus belle à la fin des années 70. De nouveaux outils font leur apparition de part et d'autre du rideau de fer, dont des constellations de satellites avec un usage nouveau : le géo-positionnement rapide.
Et ça se prolonge aujourd'hui…
Où suis-je ? D'où viens-je ?
Contrairement à ce que l'on imagine, l'essor initial des satellites de positionnement a bien eu lieu dans les années 60. Les américains développent très tôt l'idée de leur programme Transit, tandis que l'URSS travaille sur un système similaire nommé Tsiklon (à ne pas confondre avec les fusées du même nom). Ce dernier ne reçoit le financement nécessaire que pour déployer une petite constellation à partir de 1967.
A cette époque, le géo-positionnement est avant tout destiné à lancer des missiles balistiques… Mais avec la lente progression de la miniaturisation, puis l'avènement des premiers circuits imprimés, les différents départements de la défense envisagent déjà l'étape suivante : une géolocalisation possible pour les bateaux, pour les avions, les chars et même les fantassins.
Les premiers essais, très discrets, ont lieu tout au début des années 70, et ne reposent plus sur l'effet Doppler, mais sur le déchiffrage de messages émis par différents satellites à des positions connues. Les Etats-Unis lancent (sans fanfare, on s'en doute) le projet « Global Positioning System » aussi appelé Navstar en 1973. « Coïncidence », espionnage ou tout simplement évolution technologique logique, l'Union soviétique démarre son propre projet en 1976, et l'appelle « Unified Space Navigation System GLONASS ».
Géo-trouvetout
GLONASS est une constellation de géo-positionnement, qui fonctionne comme ses concurrentes d'aujourd'hui (GPS, Galileo, Beidou…) avec 3 composantes. D'abord, des stations au sol qui peuvent synchroniser les horloges des satellites, leur position dans la constellation, leur altitude, et corriger au besoin leurs données. Ensuite, les satellites, qui se suivent sur 3 trajectoires en orbite de façon à ce que sur tout point au-dessus du globe (en général) et de l'URSS (en particulier) il y ait toujours au moins 4 satellites visibles par la dernière composante, à savoir le récepteur.
Ce dernier n'émet pas, il reçoit les messages émis en continu par les satellites grâce à une antenne et un décodeur, qui calcule sa position en fonction de la position des satellites et des décalages de réception entre leurs messages. Un principe bien acquis aujourd'hui, mais qui a nécessité d'établir de nouveaux concepts dans les années 70. L'administration soviétique se fixe sur un modèle de constellation globale à 24 satellites à 20000 kilomètres d'altitude environ, qui seront appelés « Ouragan ».
Des satellites en série
La conception et l'assemblage des satellites est confiée à la fin des années 70 à NPO-PM, qui s'appelle aujourd'hui Information Satellite Systems (ISS) Reshetnev et qui est toujours l'industriel de référence pour GLONASS, 40 ans plus tard. Le problème au tournant des années 80, c'est que l'URSS n'a pas le droit d'importer des composants électroniques résistants aux radiations de la part des différents pays qui en produisent. Or c'est un savoir-faire qu'il faudra acquérir sur plusieurs années, l'Union soviétique n'ayant pas l'habitude d'opérer longtemps des sondes loin de la protection qu'offre la magnétosphère terrestre : à 20000 kilomètres de la surface, les satellites GLONASS seront bombardés par un flux de particules bien plus important que ceux habituellement opérés en orbite basse.
Qu'importe, le premier lancement a lieu le 12 octobre 1982, et le satellite fonctionne. Mais le premier « lot » de 10 satellites aura une durée de vie en orbite réduite à l'extrême, ces derniers étant réduits au silence après 14 mois en moyenne. Le suivant, dont les décollages ont lieu à partir de 1985, sera à peine capable de faire mieux avec ses 9 satellites. Pourtant, le concept est validé, et les premiers essais de positionnement fonctionnent !
Intelligemment, l'URSS a mis en place une solution de lancement qui profite des capacités élevées du lanceur Proton pour envoyer trois satellites GLONASS à la fois. Ce qui permettra dans un premier temps d'obtenir une couverture minimale malgré une durée de vie en orbite qui laisse encore à désirer, mais qui augmente. Malgré tout, le système américain est déjà prêt à la fin des années 80.
Alors que l'Union soviétique s'effondre, seuls 12 satellites GLONASS sont actifs… tandis que quelques mois plus tôt lors de la première Guerre du Golfe, plusieurs bataillons de chars américains ont traversé le désert sans suivre aucune route, équipés de premiers récepteurs. Grâce à des programmes d'assemblage déjà en cours, et des lanceurs déjà produits, la nouvelle Fédération de Russie réussit à envoyer suffisamment de satellites pour déclarer une capacité initiale en 1993. Fin 1995, la constellation GLONASS compte enfin 24 satellites et dispose en théorie d'une couverture globale.
La longue transition vers un système modernisé
Malheureusement pour la Russie, la crise économique rattrape ce programme avant même que les satellites soient tous en orbite. La production est stoppée, les lancements se font rares et comble pour GLONASS, la durée de vie limitée des unités en orbite (3 ans environ) ne permet pas de conserver longtemps la couverture chèrement acquise.
En 2000, il ne reste plus que 6 satellites en opération, tandis que le GPS américain devient peu à peu une référence mondiale, très contestée toutefois car toujours tenue par la poigne de l'US Air Force. Le programme GLONASS redevient stratégique, et la Russie alloue à nouveau des fonds pour produire et lancer des satellites. A partir de 2003, il s'agit de la génération Ouragan-M, dont la durée de vie est d'au moins 6 ans et la précision est garantie sous les 20m.
Grâce à ces progrès, et à un budget amplement sur-vitaminé, la constellation est entièrement remplacée pour atteindre 24 satellites (et ce malgré plusieurs échecs en vol) à partir de 2013. GLONASS est officiellement opérationnelle depuis 2015, et ses signaux sont ouverts, il n'y a plus de canal strictement réservé aux forces armées comme c'est le cas pour GPS ou prévu pour Galileo. Beaucoup moins connue que le GPS, la constellation russe fonctionne aujourd'hui à pleine capacité, avec essentiellement toujours les satellites de la génération Ouragan-M.
Une transition vers la version « K2 » est en cours, qui apportera des signaux plus puissants, une nouvelle augmentation de la durée de vie et une précision garantie sous les 10 mètres. De quoi apporter une mise à jour attendue pour un service qui aujourd'hui ne propose plus les mêmes performances que ses concurrents… Tout en représentant à lui seul l'un des plus gros postes de dépense de Roscosmos.
Plusieurs objets connectés et systèmes de géolocalisation de précision utilisent GLONASS aujourd'hui dans le monde entier, notamment pour complémenter les signaux des autres constellations. La Russie s'est engagée à poursuivre une couverture globale.