Depuis les années 60, la question d'une possible collision accidentelle en orbite était posée comme une hypothèse. Le 24 juillet 1996, le satellite français Cerise sera le tout premier à en faire les frais… Heurté par un débris de fusée Ariane, qui avait elle-même envoyé en orbite un fleuron du CNES.
Une terrible malchance étudiée comme un cas d'école aujourd'hui.
Coup de projecteur sur SPOT
Pour écrire la genèse de ce qui restera comme la première collision accidentelle en orbite, il faut remonter un peu dans le temps, en 1986. La France lance alors le satellite SPOT-1 sur orbite à plus de 800 km d'altitude, grâce à une fusée Ariane 1. Cette dernière se compose de 3 étages, dont le dernier, équipé d'un moteur cryotechnique, qui n'est pas conçu, à l'époque, pour pouvoir se rallumer. Lors de l'injection en orbite, il reste donc lui aussi en orbite basse, inactif. Un débris massif, de 9,1 mètres de long et pratiquement 3 mètres de diamètre. Vide, il perd régulièrement de l'altitude grâce à de minuscules frottements sur la très faible densité atmosphérique…
Mais tout de même, l'objet a besoin de plusieurs dizaines d'années avant de pouvoir se consumer dans l'atmosphère. La gestion des orbites n'est pas la même dans les années 90 qu'aujourd'hui : l'étage d'Ariane 1 entre bien dans les « catalogues » orbitaux, mais ces derniers manquent amplement de précision, et ne sont pas aussi accessibles qu'à l'heure d'internet.
Le temps des « Cerise ».
Neuf années passent, jusqu'au 7 juillet 1995. Une belle journée pour le spatial français, et en particulier pour le secteur de la défense : grâce à Ariane 4, le satellite « espion » Helios-1A (dont les acquis sont amplement basés sur SPOT) donne aux armées françaises et européennes une nouvelle indépendance. Ariane 4 étant un lanceur puissant, deux autres satellites partagent la coiffe avec Helios-1A : une petite unité expérimentale espagnole nommée UPM-sat, et un petit satellite d'essai français nommé Cerise, largué sur une orbite de 666 x 675 km d'altitude.
Cerise est un prototype original, construit en grande partie en Angleterre par Surrey Satellite Technology (SSTL) et sur lequel la Direction Générale de l'Armement a installé une expérience d'écoute électronique. Il est en effet possible de capter depuis l'orbite un spectre important de signaux émis depuis le sol : échanges radio, pulsations radar…
Cerise doit évaluer ce potentiel, mais c'est une unité de petite taille, qui n'est même pas équipée de propulsion. Le satellite pèse environ 50 kg, et mesure 60 x 30 x 30 cm, avec une particularité : un mat télescopique de stabilisation par gradient de gravité de six mètres de long. Dans la longue tradition française, Cerise est un acronyme pour Caractérisation de l'Environnement Radioélectrique par un Instrument Spatial Embarqué.
L'heure des confitures
L'expérience a commencé comme prévu, et le grand public n'aurait pour ainsi dire plus jamais eu besoin d'entendre parler de Cerise. Mais le 24 juillet 1996, un peu plus d'un an après son lancement, Cerise ne répond plus. Il faudra le concours des radars américains pour comprendre qu'il ne s'agit pas d'une panne subite : le satellite a changé d'orbite, il tourne sur lui-même et son mat télescopique est brisé.
Quelques heures plus tard, la nouvelle tombe… Le petit satellite de la défense est la victime de la toute première collision involontaire en orbite basse, avec un débris de grande taille. Ce dernier, on s'en aperçoit grâce au concours des catalogues américains et anglais, n'est autre que le troisième étage de la fusée Ariane 1 qui a emmené SPOT en orbite.
Cruel coup du sort : un satellite français est détruit par un étage de fusée lié à un autre lancement français. Et ce alors que soviétiques (puis russes) et américains ont déjà envoyé des milliers d'objets en orbite, la plupart étant eux-mêmes devenus des débris…
Evidemment, Cerise n'ayant aucun moyen de manœuvrer, la collision était pour ainsi dire inévitable dès la mise en orbite du satellite. Les jours suivant la collision sont dédiés aux calculs : il faut savoir si l'étage peut à nouveau percuter le petit satellite, et tenter de cataloguer les nouveaux débris générés par cet impact. En effet la collision a eu lieu à une vitesse relative de pratiquement 15 kilomètres par seconde, et n'a pas cassé que le mat de Cerise : des fragments d'Ariane 1 sont bientôt identifiés et catalogués.
Le nombre de débris lui-même est resté relativement limité (une trentaine de pièces) et n'a pas causé d'autres inquiétudes depuis, même si à cause de la haute altitude, tous les morceaux sont encore en orbite 25 ans plus tard.
Le doigt sur l'hématome
Pour la France, cet incident servira de révélateur. À défaut d'anticipation, l'impact est dû à des capacités limitées pour l'époque à bien observer l'orbite basse, ce qui est aujourd'hui une composante essentielle de la défense spatiale, que ce soit pour se prémunir des débris ou des « visites » de satellites étrangers à proximités de nos unités les plus précieuses.
L'accident de Cerise permet aussi de créer un précédent : les collisions majeures à cause de débris orbitaux ne sont plus hypothétiques, et la France va s'engager à mettre en place des lignes claires pour éviter qu'un tel fiasco se reproduise. Cette réaction se traduira après des années de travail sur la réglementation, par la mise en place de la LOS (Loi sur les Opérations Spatiales) qui voit le jour en 2008. Notre pays est devenu un véritable moteur en Europe pour agir à l'international sur la question du STM, ou Space Trafic Management.
Cerise, bien sûr, ne fut pas le seul accident en orbite, il est même un peu oublié aujourd'hui. Le monde fut à la fois surpris et horrifié par l'ampleur de la catastrophe entre les satellites Iridium-33 et Cosmos-2251 en 2009, qui généra plusieurs milliers (et probablement dizaines de milliers) de débris. Pourtant, ces accidents qui auraient pu devenir de véritables événements fondateurs pour un élan unifié et global afin d'éviter les catastrophes futures n'ont pas fondamentalement changé l'usage de l'orbite basse.
Malgré les initiatives et les bonnes pratiques observées par de nombreux acteurs, les nombres de satellites et de débris se sont multipliés de plusieurs ordres de grandeur. L'ESA estime aujourd'hui qu'environ 900 000 pièces de plus d'un cm de diamètre sont présentes en orbite, la très grande majorité en orbite basse. Les plus petits ne peuvent pas encore être suivis ou catalogués avec précision en 2021.