"Quelques" débris en orbite terrestre aujourd'hui (notez que la représentation les fait paraître beaucoup plus gros qu'ils ne sont en réalité). Crédits NASA
"Quelques" débris en orbite terrestre aujourd'hui (notez que la représentation les fait paraître beaucoup plus gros qu'ils ne sont en réalité). Crédits NASA

Malgré le grand nombre de signataires du Traité de l'espace de 1967, l'orbite terrestre n'a jamais été exempte d'outils au service des militaires. Et lorsque leurs adversaires ont des atouts cruciaux là-haut, à un moment ou à un autre, les grandes puissances spatiales se demandent comment s'en débarrasser. En théorie… Mais pas que.

Heureusement, pour le moment ça n'a pas servi à autre chose qu'à dissuader.

Détruire un satellite, pour quoi faire ?

En cas de conflit, la réponse est relativement facile : pour endommager ou supprimer les capacités d'un ou plusieurs adversaires. Un satellite « espion » capable de couvrir une grande zone avec une résolution correcte peut compromettre les plans les mieux préparés. Enlever cette pièce de l'échiquier… C'est tentant, non ? Il y a cependant plusieurs inconvénients.

D'abord, il faut en avoir les moyens. Ce qui suppose de les avoir avant ledit conflit, ce qui va entrainer de grosses dépenses. Ensuite, il faut se demander si le jeu en vaut la chandelle. Votre adversaire dispose-t-il (comme la Chine) d'une capacité de décollage rapide pour des satellites militaires « au cas où », en 48 ou 72 heures ? Si c'est le cas, les effets de la destruction d'un satellite seront… limités, au minimum. Enfin, il faut bien cibler son adversaire. Dispose-t-il d'une constellation d'observation ? Si c'est le cas, supprimer un ou deux satellites ne va pas changer grand-chose.

Un missile anti-satellite ressemble avant tout à un missile tout court... Crédits Ministère de la défense de l'Inde.
Un missile anti-satellite ressemble avant tout à un missile tout court... Crédits Ministère de la défense de l'Inde.

Si on ajoute à cela que détruire un satellite peut, selon les méthodes employées, générer un véritable nuage de débris pénalisant tous les acteurs en orbite basse, il est facile de comprendre que ce genre d'action n'est pas vraiment un sport de masse : peu de nations en ont les capacités, et ce ne serait utilisé que dans des cas très spécifiques - en cas de défense par exemple.

C'est la stratégie que compte déployer la France à moyen terme. Approchez trop près de nos unités en orbite et, après un avertissement, votre satellite pourrait bien se retrouver en mauvaise posture. Reste que les armes anti-satellites sont aussi des éléments dissuasifs, au même titre que les missiles balistiques. Avec l'avantage, comparé aux armes de destruction massives, qu'elles ne feront pas directement de victimes... Par contre, les conséquences de la destruction de satellites par des nations opposées se chiffreraient, au mieux, en centaines de millions de dollars, et pourraient paralyser un adversaire.

La solution la plus simple : les éparpiller façon puzzle

Les nations qui ont des capacités orbitales ont en général aussi les technologies de missiles compatibles pour tester des armes balistiques anti-satellites. Ces missiles, que l'on nomme des ASAT, peuvent viser la plupart des trajectoires en orbite basse depuis un pays survolé par un adversaire, jusqu'à environ 850 km d'altitude. La technique elle-même est assez simple : une fusée propulse l'ASAT vers le satellite arrivant (en général « en face » de lui) et, lorsque ce dernier est certain de croiser à peu près sa cible, il se désintègre pour déchiqueter son adversaire. Ce n'est pas mignon, mais c'est efficace : la technique a été testée par différents pays (USA, Chine, Inde) ces 3 dernières décennies en guise de démonstration. La Russie dispose elle aussi d'armes similaires, mais n'a jamais désintégré un de ses satellites en orbite.

Six mois après le test anti-satellite indien (le plus récent, en 2019) plusieurs dizaines de débris étaient encore en orbite. Crédits Sattrackcam.blogspot.com

Le principal inconvénient de la méthode est le nombre de débris qu'elle provoque : lorsqu'un satellite se désintègre, il peut « polluer » une multitude d'orbites avec des fragments qui mesurent de quelques millimètres à plusieurs mètres. Et pour longtemps : il reste des milliers de morceaux de Fengyun-1C, satellite chinois détruit volontairement en 2007, malheureusement beaucoup plus haut que les autres démonstrations du genre.

Ajoutons enfin que si elle semble être la solution la plus facile, un ASAT est loin d'être une technologie abordable. Il faut un engin manoeuvrant, avec de fortes capacités de calcul, une fusée capable de l'emmener au bon endroit… Tout cela est très cher.

Le tueur en orbite : un fantasme ?

Un satellite s'approche doucement d'un autre, puis l'aborde et le détruit à l'aide de moyens plus ou moins sophistiqués : en cassant ses panneaux solaires ou ses antennes, en plaçant une charge explosive pour plus tard, ou même en envoyant un coup de harpon franc et massif… C'est le principe du satellite tueur. Même si le concept semble inspiré d'un James Bond, ces capacités sont tout à fait à la portée des grandes puissances spatiales.

Northrop Grumman a déjà réussi deux fois à amarrer ses satellites MEV à d'autres unités en orbite géostationnaire, l'initiative RemoveDebris a montré les capacités d'un harpon (certes, pour « dépolluer » l'orbite), et d'autres projets du genre sont en gestation… Et il y a les exemples des satellites russes « inspecteurs » Cosmos 2542 et 2543, qui ont suivi l'un des grands satellites optiques du ministère de la défense américain il y a deux ans. Selon le Pentagone, Cosmos 2543 aurait plus tard éjecté un petit objet qui était un test d'arme anti-satellite directement depuis l'orbite.

Si cette méthode est plus « fine » que la première, elle est aussi plus prévisible : les grandes nations surveillent l'espace, et les manœuvres pour se lancer à la poursuite d'un satellite ne passent pas inaperçues. C'est le jeu du chat et de la souris : la cible peut se déplacer, mais sa mission est perturbée, tandis qu'il sera possible dans le futur d'avoir des satellites capables de répondre à ce type de menace. L'abordage n'est donc pas si facile…

Space-canon et space-torpille…

N'oublions pas qu'il y a des véhicules habités en orbite autour de la Terre ! Au cours de la guerre froide, les Soviétiques redoutaient durant un temps des opérations spéciales américaines à leur encontre : soit un satellite, soit carrément un commando venant aborder leur stations Almaz (déguisées en station civiles Saliout, au passage). Ainsi, Almaz-2 (donc Saliout-3) était équipée d'un… canon, dérivé du Rikhter NR-23 utilisé pour des bombardiers à haute altitude.

Le concept était rudimentaire, l'ensemble de la station aurait été obligé de pivoter pour pouvoir viser correctement, et il semble qu'un seul essai à feu a été tenté, lorsque Saliout-3 était vide. Un système là encore à visée dissuasive, mais qui aurait bien pu décourager des assaillants… En plus de représenter un danger pour tous, les balles en orbite ayant la possibilité, selon l'angle de tir, de pouvoir vous croiser quelques temps plus tard.

L'impressionnant système de mine/torpille Shchit-2. Crédits Ministère de la défense Russe

Si le concept n'a pas été utilisé, un récent reportage russe a récemment montré un prototype de mine ou de « torpille » spatiale qui aurait pu être mis en place si le programme Almaz s'était poursuivi. L'engin, équipé de plus d'une cinquantaine de charges explosives (dont une partie pour sa direction), restera pour notre plus grand bonheur dans les coulisses de l'histoire.

Détruire sans détruire, un must !

Il existe également des moyens d'infliger des dégâts sans avoir besoin de désintégrer ses adversaires ou de se précipiter pour les harponner. En effet, il y a des moyens « simples » qui sont rapidement très ennuyeux selon le type de satellite. Par exemple, brouiller ses signaux ou les « couper » en se plaçant entre émetteur et récepteur. Ou bien en mettant hors service ses antennes, son télescope optique ou son système de stabilisation. La France notamment (mais gageons qu'elle n'est pas la seule) étudie les lasers à forte puissance pour endommager les capteurs d'un éventuel véhicule rentrant dans sa « bulle » de protection. D'autres solutions seraient à l'étude, comme le fait de provoquer des court-circuits, de pirater les systèmes de contrôle ou de pouvoir envoyer des leurres.

Il y a aussi de nombreux concepts qui évaluent la faisabilité d'avoir des accompagnateurs pour les satellites les plus précieux. Ces derniers joueront le rôle de « protecteurs » au cas où des imprudents choisiraient de s'approcher trop près. Attention toutefois, voler en formation et évoluer au voisinage d'un autre véhicule (surtout fragile) n'est pas un exercice à la portée du premier venu. Là encore, ce sont des capacités qui ont un coût.

Il faudra en effet réussir à protéger nos unités les plus précieuses en orbite... Crédits CNES/Airbus DS

Dans le futur : des essaims d'attaque ?

Plusieurs départements de la Défense dans le monde considèrent que l'orbite terrestre sera à l'avenir un champ d'opérations comme un autre. Les enjeux sont importants, et la recherche militaire est toujours très créative lorsqu'il s'agit d'aller casser les jouets de ses petits camarades. Nul ne sait aujourd'hui vers quoi ces solutions vont s'orienter, mais il est probable que des véhicules à la fois petits et manoeuvrants soient à la mode. Plusieurs fournisseurs commerciaux permettent déjà à leurs clients d'héberger leurs CubeSats dans des déployeurs en orbite, jusqu'à ce qu'ils en aient besoin. Les satellites de défense seront-ils un jour entourés d'une petite armada de drones ? Quelque part, ce serait dommage d'avoir à en arriver là ! Les petites constellations de satellites de défense pourraient aussi rendre les solutions ASAT trop chères ou obsolètes, puisque la perte d'une unité n'est pas nécessairement stratégique.

Le plus simple serait encore de ne pas en avoir besoin…