Rare photographie d'une fusée NOTS-EV juste après son lancement. Crédits USC/NOTS
Rare photographie d'une fusée NOTS-EV juste après son lancement. Crédits USC/NOTS

Pour pouvoir réussir ensuite d'autres programmes emblématiques, certains ont échoué spectaculairement, et d'autres dans le plus grand secret. C'est le cas des fusées du programme NOTS-EV, dont les quelques essais vers l'orbite se sont soldés par plusieurs explosions et… quelques questions sans réponses.

Mais plusieurs premières historiques !

Coincidence ? I think NOTS

Retour en 1957. Spoutnik a réussi à surprendre et supplanter du haut de ses « bip bip » les avancées de l'Ouest dans le domaine des lanceurs orbitaux. Les Etats-Unis arrivent à peine à sauver la face quelques mois plus tard avec Explorer-1, mais en réalité à l'époque, les avancées de leurs programmes spatiaux sont cloisonnées entre différentes agences : l'US Air Force, l'US Army et la Navy ont tous des projets différents. Il y a même parfois compétition entre certains centres. Avez-vous déjà entendu parler du NOTS ? Bureau de recherche et centre d'essai sous la responsabilité de la marine américaine, le Naval Ordnance Test Station, basé à China Lake en Californie, teste alors des prototypes de missiles antinavires… Et les lancements de fusées les intéressent beaucoup.

Même si la Navy a déjà son programme orbital (Vanguard), le NOTS propose un concept incroyablement innovant pour l'époque, avec un lanceur à ergols solides, largué à haute altitude via un chasseur-bombardier. Capable d'envoyer en orbite 1kg de matériel (sur le papier), le projet est accepté comme projet militaire (et donc discret, à défaut d'être totalement secret) sous le nom de « projet Pilot » ou NOTS-EV, quelques fois nommé NOTSNIK, accolant le bureau NOTS et le nom Spoutnik.

Sur NOTS-EV, tout est compact. Crédits USC/NOTS
Sur NOTS-EV, tout est compact. Crédits USC/NOTS

NOTS si solide que ça

L'avantage du NOTS-EV, c'est que le projet ne coûte pas très cher au département américain de la défense, parce que ses étages sont plus ou moins déjà développés, et qu'il y a déjà du matériel produit en masse. Le centre a d'abord besoin d'un avion porteur, et ce dernier existe déjà, un Douglas F4-D Skyray équipé léger pour l'expérimentation. Ensuite, pour propulser la fusée, il est décidé pour des raisons de simplicité de ne l'équiper qu'avec une propulsion à ergols (ou carburant) solides. Ces derniers fournissent une poussée incomparable pour l'époque, mais sont difficilement contrôlables. Par chance, c'est la spécialité du NOTS qui en a déjà testé des dizaines. NOTSNIK sera donc un lanceur à 5 étages, rien de moins !

Les deux premiers sont constitués par quatre moteurs directement issus de l'ASROC, un système de missile lance-torpille à longue portée. Ils sont allumés deux par deux, et ne propulsent l'ensemble que durant 5 secondes environ, mais l'accélération est incroyable. Le troisième étage est repris des travaux de la fusée Vanguard et reste allumé une quarantaine de secondes, avant que le quatrième étage n'envoie les 2 kg restants en orbite. Et sur ces deux kilos, un tout petit moteur à ergols solides embarque un minuscule satellite torique, en forme de donut : 20 cm de diamètre et 1,05 kg.

Le satellite est dans le tor à gauche, c'est vraiment minuscule, surtout pour le début des années 60. Crédits USC/NOTS

Cet assemblage hétéroclite fonctionne bien sur le papier, mais chaque étage (en particulier les 2 premiers) génère une si forte accélération que l'ensemble tout entier menace en permanence de se disloquer. Les deux premiers tirs n'ont même pas l'occasion de démontrer quoi que ce soit : la première fusée explose après une seconde de vol, et la deuxième 8 secondes… avant son décollage. Mais le programme NOTS-EV est dynamique et seulement 3 semaines après le début des tests, les équipes sont prêtes à tenter un nouveau tir !

To be or NOTS to be

Cette fois, NOTS-EV est largué par avion : il faut souligner le courage du pilote étant donné les essais précédents ! Le missile-fusée se détache, s'allume et… On ne sait pas trop. En réalité il y a un petit souci d'observation, car le F4-D au moment du largage effectue un cabré, et bascule sur la droite à cause de la perte de masse. Résultat, le pilote ne peut suivre visuellement la trajectoire du petit lanceur (qui en plus, on l'a déjà dit, accélère très vite…).

Tout le monde pense que ce tir, qui visait rien de moins que l'orbite, s'est soldé par un échec, car en plus de tout le reste cette méthode est tellement innovante que les équipes au sol n'ont pas de liaisons pour recevoir de la télémesure : ce type de lancement est un peu en avance sur son temps. Et pourtant, une station déployée à Christchurch, en Nouvelle-Zélande, semble capter quelques instants les signaux du satellite de NOTS-EV. Mais est-ce bien lui ? Le signal est particulièrement faible, jugé peu fiable, et aucun autre lieu ne capte quoi que ce soit, c'est beaucoup moins qu'il n'en faut pour déterminer des paramètres orbitaux.

Un lanceur NOTS-EV sous l'aile d'un F4-D peu avant son décollage. Rustique... Crédits USC/NOTS

Le 8 août 1958, un nouvel essai se solde par un échec directement à l'allumage des moteurs (l'avion rentre sans dommages). Le bilan est déjà mitigé, mais il ne va pas s'arranger. Deux nouveaux essais depuis le sol doivent permettre de lever des doutes, les 16 et 17 août, mais ils échouent tous les deux après quelques secondes de vol à peine, ce qui ne donne pas confiance dans le système. Toutefois il s'agit d'un programme court, très court, et il faut des résultats.

Pas le temps de changer de fusil d'épaule : l'essai suivant aura lieu le 22 août. Cette fois, après le largage, la fusée allume ses deux premiers moteurs, puis les suivants… Et disparaît au-delà de l'horizon. Que se passe-t-il ? Eh bien une fois de plus, mystère. Les ingénieurs comme les responsables du programme sont les mieux placés pour répondre, et concluent une fois de plus à un échec. Même si cette fois encore, à Christchurch, des signaux faibles sont détectés, relativement au bon moment à la première et la troisième orbite. Toutefois l'analyse des données sera jugée non concluante.

NOTS so fast

NOTS-EV ne sera plus jamais largué dans l'objectif d'un vol orbital, car le programme va se terminer sur une nouvelle série d'échecs, regroupés en seulement quelques jours les 25, 26 et 28 août 1958 avec une nouvelle explosion, un non-allumage des moteurs (ennuyeux pour une fusée éjectée depuis un avion) et un souci avec le deuxième étage. Il fallut se rendre à l'évidence : le programme n'était pas assez mature, les moteurs du premier étage étaient beaucoup trop puissants et le matériel n'était pas adapté à l'époque pour une charge utile en orbite qui n'excédait pas le kilogramme.

Un lancement test de NOTS-EV depuis le sol. On voit bien l'assemblage des 4 moteurs ASROC du premier étage. Crédits USC/NOTS

Le bureau NOTS obtiendra quelques crédits pour modifier son missile fusée dans une deuxième configuration, appelée NOTS-EV-2 ou « Caleb », mais cette dernière, malgré une réussite significative lors d'un vol suborbital, fera elle aussi les frais d'un arrêt administratif du programme. Un peu trop raté, un peu trop en avance sur son temps, le premier lanceur orbital à ergols solides uniquement et premier lanceur orbital aérolargué n'aura jamais rien envoyé en orbite. Enfin, probablement…