Le 25 juin 1982, le premier Européen de l'Ouest s'envole pour l'orbite… Avec les soviétiques. C'est la mission PVH, Premier Vol Habité. Le français Jean-Loup Chrétien décolle sur Soyouz, après une étonnante sélection et un rigoureux entrainement… Le début d'une longue série !
Une relation franco-russe forte perdure encore aujourd'hui dans le domaine spatial.
Frustrations françaises
L'aventure commence pourtant à l'Ouest, en 1973. L'ESRO (qui deviendra l'ESA plus tard) signe un accord avec la NASA pour construire un module amovible qu'il sera possible de placer dans la soute de la future navette spatiale STS afin d'en faire un compartiment scientifique : le Spacelab. Et si les européens se chargent de ce matériel, c'est en échange de la présence d'astronautes européens au sein des navettes… Il y a donc une première sélection d'astronautes dans les pays participants du programme, dont la France qui en est une grande contributrice.
Mais en 1978, surprise et désillusion : aucun des 4 astronautes choisis (Ulf Merbold, Wubbo Ockels, Claude Nicollier et Franco Malerba) n'est français ! Le CNES, l'agence spatiale française, n'a pas dit son dernier mot. Depuis plusieurs années son président Hubert Curien, tisse des liens avec « le camp d'en face », l'Union soviétique. Et le plan se concrétise… Lors d'une visite officielle en France en avril 1979, Leonid Brejnev propose à Valéry Giscard d'Estaing qu'un français suive l'entrainement et vienne voler pour une mission courte sur une station orbitale Saliout.
Cherche pilote sans peur du vide
C'est une victoire diplomatique, mais il n'y a pas un moment à perdre. En France, 400 candidatures sont examinées. Il ne faut pas être trop grand (1m81 maximum), peser moins de 82 kg, avoir entre 25 et 45 ans, une excellente acuité visuelle et disposer d'un diplôme supérieur. Inspirés par les sélections américaines et russes passées, les aviateurs français sont nombreux à postuler ! Un premier tour permet d'isoler 72 dossiers avant une semaine de tests d'aptitude, puis médicaux, et enfin psychologiques.
En février 1980, ils ne sont plus que 5, et l'administration les envoie en stage de parachutisme. Mauvaise idée : Jean-Loup Chrétien et Françoise Varnier se cassent la jambe, Gérard Juin se fait une entorse… Heureusement, cela n'aura pas d'impact pour la sélection. Le 11 juin 1980, le CNES fait son choix : ce sera Jean-Loup Chrétien et Patrick Baudry. Dès l'été, les deux astronautes en devenir partent pour la Cité des Etoiles, au Nord de Moscou, pour une intense formation. Et à l'époque, aucun des deux ne sait « qui » sera sélectionné pour PVH, le Premier Vol Habité.
L'espace, mais d'abord les cours du soir
Les deux français ne sont pas les premiers étrangers à la Cité des Etoiles, le programme soviétique Interkosmos ayant déjà formé et fait voler des astronautes de nombreuses nationalités… Mais jamais encore de l'autre côté du Rideau de Fer. P. Baudry et J.L. Chrétien sont des pilotes de chasse dont l'entière carrière jusque là consistait plus à s'entrainer à tirer sur les soviétiques plutôt qu'à prendre des cours chez eux du matin au soir. Le choc culturel est puissant, la barrière de la langue aussi (dumoins les premiers mois, leurs interlocuteurs ont eu l'ordre de ne leur parler que russe), et les deux collègues et amis se savent surveillés.
Jean-Loup Chrétien raconte qu'un jour, ils se sont plaints exprès dans leur appartement, et sans témoins, de la qualité des petits-déjeuners… Pour découvrir le lendemain matin un grand service avec caviar. Mais au-delà des différences, des espions et des nouvelles amitiés, ce sont surtout deux années de formation intense. Des cours de physique théorique, de mathématique, d'astronomie… Le tout longtemps avant d'entrer dans leur premier simulateur de capsule Soyouz. Au bout d'un an seulement, la nouvelle tombe : c'est Jean-Loup Chrétien qui sera le premier français astronaute. Patrick Baudry poursuit l'entrainement avec lui, et sera sa « doublure », capable d'assurer le remplacement jusqu'à la veille du décollage.
Au fur et à mesure de la formation, l'équipage de Soyouz-T6 se prépare pour sa mission. Pour Jean-Loup Chrétien, c'est aussi la préparation des expériences qu'il va conduire pour le CNES au sein de la station Saliout-7. Il y en a neuf, qui lui sont soumises par le CADMOS, et qu'il réalisera en grande partie au sein de la station Saliout-7. Certaines ont trait à l'astronomie et nécessitent d'orienter la station vers le ciel de nuit, d'autres sont médicales comme l'échocardiographe ou le test d'antibiotiques, et enfin il y a de la physique avec la formation de cristaux en 0g… La fin de la formation arrive rapidement, et les astronautes partent deux semaines avant le vol à Baïkonour pour leur décollage.
Tout le monde veut prendre sa place
Le 25 juin 1982, Jean-Loup Chrétien monte au sein de la capsule Soyouz T-6… pour devenir quelques minutes plus tard le premier français en orbite. Très effrayé au cours de la montée, Jean-Loup Chrétien est victime d'une désynchronisation de sa montre de mauvaise qualité, et s'attend d'un moment à l'autre à entendre ses collègues annoncer que le vol se passe très mal… jusqu'à ce qu'il soit en impesanteur ! Vladimir Dzhanibekov et Alexandr Ivanchenkov sont restés très calmes.
En devenant le premier Européen de l'Ouest en orbite, le Français vient aussi de griller la priorité à l'ESA et son programme SpaceLab, dont les premiers participants ne voleront qu'un an plus tard…
24 heures après le décollage, c'est l'entrée dans Saliout-7 pour une semaine de mission. PVE est une rotation « spéciale » qui reste courte, mais qui est organisée autour des expériences franco-soviétiques. La plupart vont très bien fonctionner, mais il y a beaucoup de défis car l'agence française n'a pas les habitudes des missions orbitales. L'échocardiographe par exemple, fonctionne à merveille… Mais ce n'est pas celui avec lequel Jean-Loup Chrétien a pu s'entrainer au sol, aussi il ne réussit pas à reconnaître les éléments de son propre corps sur les clichés. Globalement, c'est une réussite, et les français (en particulier les jeunes) découvrent une passion grâce au vol de notre premier « spationaute », très médiatisé. Guidé par ses collègues (qui sont devenus des amis), Jean-Loup Chrétien tente de profiter de quelques moments dans son programme chargé.
Retour discret… Mais c'est un début !
Lors de sa désorbitation, Soyouz passe au-dessus de l'Atlantique Sud pour son dernier trajet en route pour le Kazakhstan. Par le hublot, il se souvient d'avoir survolé les îles Malouines, théâtre quelques semaines plus tôt d'un conflit meurtrier opposant l'Argentine et le Royaume-Uni. Puis c'est déjà l'atterrissage… Mais malgré l'enthousiasme publique, les enjeux politiques de 1979 autour du grand vol habité sont retombés : s'afficher avec les Soviétiques depuis qu'ils ont envahi l'Afghanistan est un exercice de style complexe, d'autant plus pour un président Mitterrand qui s'échine sur une longue liste de réformes en France.
Qu'importe, Jean-Loup Chrétien s'est taillé une excellente réputation en URSS : il devient héros de l'Union soviétique, et lorsque l'opportunité pour un Français de retourner en orbite depuis Baïkonour pour une durée plus conséquente se présente, c'est à lui qu'elle est offerte. Entre temps, il part aux Etats-Unis pour une formation sur navette… Mais ça, c'est une autre histoire.