Simple, efficace... iconique. La Jeep Lunaire dans son environnement, lors de la mission Apollo 15. Crédits NASA
Simple, efficace... iconique. La Jeep Lunaire dans son environnement, lors de la mission Apollo 15. Crédits NASA

Marcher sur la Lune, c'est bien, mais astronautes et responsables de la NASA ont vite saisi que pour s'éloigner du site d'atterrissage, les heureux élus auraient besoin d'un véhicule. Léger, endurant, pliable, fiable, pas cher, puissant et surtout mobile… Bref, une Jeep à tout faire. Et livrable hier, si possible.

Eh oui, fut une époque où Boeing pouvait créer une jeep lunaire de toutes pièces en un an et demi.

Une vieille idée au pays de la voiture

Même avant que le président Kennedy ne lance officiellement les Etats-Unis dans la course à la Lune, des premiers concepts de véhicule lunaire étaient à l'étude. Bien sûr, cela restait à mi-chemin entre la science-fiction et l'ingénierie, puisque la NASA n'avait pas spécialement de budget à injecter dans un tel programme… Pour une raison très simple : pour piloter un rover lunaire, il faut amener des astronautes sur la Lune. Voilà la priorité, et voilà pourquoi dans le milieu des années 60, une multitude de concepts sont étudiés sans passer à l'étape de la réalisation. Les projets qui semblent les plus prometteurs sont basés sur l'idée d'une mission « dépôt » indépendante, au cours de laquelle le véhicule lunaire est amené sur la Lune grâce à un décollage de fusée dédié, et rejoint plus tard par les astronautes Apollo posés non loin. Du coup, les architectures sont complexes, voire exotiques, avec cabine pressurisée, systèmes à roues et à chenilles, pile à combustible et structure de plusieurs mètres.

Certains prototypes compensaient la faible gravité par une taille démesurée (comme ici ce pré-prototype de Bendix). Crédits NASA
Certains prototypes compensaient la faible gravité par une taille démesurée (comme ici ce pré-prototype de Bendix). Crédits NASA

Cela dit, il existe aussi une solution plus simple : celle de faire un véhicule radicalement simplifié, qui pourrait éventuellement être embarqué replié sur les flancs du Module Lunaire. Solution qui, début 1969, va s'imposer car il y a une bonne nouvelle du côté de la chaine de production des gigantesques lanceurs Saturn V… Les exemplaires à partir d'Apollo 15 disposeront d'une marge de puissance supplémentaire, permettant d'emporter deux tonnes de plus en orbite, et donc quelques centaines de kilogrammes supplémentaires vers la Lune. Immédiatement, la NASA (qui n'est plus qu'à quelques mois de poser des astronautes sur notre satellite naturel) lance officiellement son programme LRV (Lunar Roving Vehicle) et remet au placard les projets de grands camions lunaires avec cabines : il faut un véhicule simple, efficace et léger. Plus facile à dire qu'à faire, jusqu'à l'atterrissage d'Armstrong et Aldrin, le sol lunaire était à peine documenté…

Jeep lunaire ou scooter des dunes

De façon assez étrange, même si Boeing finit par gagner l'appel d'offre de la NASA, cette dernière a considéré plutôt sérieusement une proposition de petite moto électrique. Légères et robustes, elles auraient pu embarquer chacune un astronaute pour une drôle de sortie enduro. Toutefois, l'agence américaine, après des tests poussés, avait peur des contraintes liées à la gestion de l'échauffement (le vide conduit très mal) et au risque de panne. Et voici donc Apollo engagé sur la voie de la « jeep lunaire ». Conçu par Boeing, associé à General Motors en sous-traitant principal, le véhicule sera produit à 4 exemplaires définitifs destinés à rouler sur la Lune, et toute une ribambelle d'exemplaires destinés aux essais. Le développement est extrêmement court vu les contraintes : seulement 17 mois… Et heureusement que la mission Apollo 15 a quelques mois de retard sur le planning, sans quoi Dave Scott et James Irwin auraient fait une croix sur leurs sorties longues.

Les astronautes d'Apollo 17 s'entrainent à déployer leur LRV dès leur arrivée sur le sol lunaire. Crédits NASA

Le LRV mesure 3,1 mètres de long et 2,3 m de large. Il se compose essentiellement d'un châssis, avec un moteur électrique (débrayable) pour chacune des quatre roues. La contrainte principale réside dans sa masse, qui fut limitée à 210 kilogrammes, batteries comprises. Ces dernières, situées à l'avant, ne sont pas rechargeables, et permettent en théorie au rover de rouler environ 90 km sur la surface lunaire, à une vitesse maximale de 14 km/h. Il est équipé de deux sièges posés sur la structure en aluminium, et d'un espace à l'arrière pour déposer des expériences ou des roches lunaires. Surtout, par simplicité, le principe de la cabine est abandonné, ce qui signifie que les combinaisons des astronautes Apollo devront apporter aux pilotes tous leurs besoins en oxygène (et là aussi, leurs système-vie est amélioré pour fournir 7 h d'oxygène garanti au lieu de 4).

Petite série, mais gros succès

Le saviez-vous ? Après quelques essais avec les astronautes en avion 0g, les astronautes ont adopté la manière la plus « simple » de s'asseoir sur leur véhicule lunaire : sauter dans leur siège avec leur scaphandre ! Boeing et les sous-traitants hésitent un temps sur les indications à fournir au pilote et son passager, pour finalement revenir au plus simple : de quoi débrayer moteur et direction à l'avant ou à l'arrière, un indicateur de cap, et le palonnier « à tout faire » au centre. Vers l'avant il accélère, l'arrière il freine (à fond et c'est un frein à main) et les gauche et droite pour la direction. Les tests sont très nombreux : à taille réelle, à petite échelle, à masse réelle ou non, sur des pentes ou du plat…

Le LRV une fois replié, juste avant un dernier pan sur les flancs du module lunaire. Un compromis à faire entre gain de place et praticité... Crédits NASA

Pour les équipages qui vont s'en servir, c'est une bonne dose de rigolade mais pour la NASA, Boeing et tous ceux qui l'ont conçu, l'enjeu est double. D'abord, ce sera une nouvelle vitrine technologique sur la surface lunaire pour un savoir faire typiquement américain. Et d'autre part, personne n'a envie que le rover tombe en panne au point le plus éloigné du module lunaire : sautiller sur une centaine de mètres est sympathique, mais organiser une randonnée sur plusieurs kilomètres est un exercice dangereux. Au moment du décollage d'Apollo 15, il reste beaucoup d'interrogations, notamment sur le comportement des roues à treillis, ou sur la solidité du système, resté longtemps plié dans le vide spatial.

Bip bip ! Pas le temps de discuter... Montez ! Crédits NASA

En réalité, c'est un succès éclatant. Le LRV (qui devient rapidement en France, la « Jeep Lunaire », même si elle n'a rien ou presque à voir avec une Jeep) se déplie exactement comme prévu, et à part quelques soucis mineurs à cause de projections de poussière, se comporte encore mieux que ce qui avait été envisagé. Les batteries, notamment, gardent beaucoup de capacités en réserve malgré un épisode de surchauffe sur Apollo 15… et auraient bel et bien permis de rouler sur des dizaines de kilomètres supplémentaires. Le record de trajet revient logiquement à Apollo 17 avec 35,89 km réalisés en 4 heures et 26 minutes et beaucoup d'arrêts. Car c'est le grand avantage : les astronautes roulent, et lorsqu'ils visualisent un site intéressant (ou lorsque les équipes au sol, en contact permanent, le leur indiquent), ils s'arrêtent pour collecter ou photographier. L'ajout d'une caméra couleur orientable depuis la Terre et dont l'image est transmise en direct aux télévisions du monde entier est unanimement salué, et contribuera à laisser des souvenirs impérissables à toute une génération devant le poste.

Et les prochains ?

Malgré ces succès, il n'y eut que 3 missions pour utiliser le LRV dans l'environnement prévu. Le quatrième exemplaire est rapidement cannibalisé lorsqu'Apollo 18 est annulé, et la longue liste d'améliorations que Boeing allait proposer pour une génération suivante restera dans les cartons. Surtout, comme chacun sait, les Américains ont cessé d'aller sur la Lune à partir de 1972, pour se recentrer (temporairement) sur l'orbite basse terrestre avec les débuts des stations spatiales et des navettes.

Le "Lunar Cruiser" de Toyota est considéré très sérieusement par l'agence japonaise... Mais il faudra l'emmener sur place avec un lancement à part. Crédits JAXA/Toyota

Pour autant, les Jeeps lunaires n'inspirent pas que le cinéma et la science-fiction (apparitions et caméo y sont légion), car à présent que des projets plus ou moins concrets de retour sur la Lune sont en cours, il se posera forcément la question d'un véhicule piloté. Toyota planche déjà sur son propre grand design avec cabine… Et n'en doutons pas, d'autres tenteront une version XXIe siècle du LRV au moment où les astronautes iront à nouveau fouler les poussières de la Lune. Leur précurseur a mis la barre très haut…