Vue d'artiste de Saliout-2 (type Almaz), qui est finalement restée inhabitée... Crédits URSS via CapCom Espace
Vue d'artiste de Saliout-2 (type Almaz), qui est finalement restée inhabitée... Crédits URSS via CapCom Espace

Après le bilan mitigé de Saliout 1, et malgré le terrible accident de Soyouz-11, l'Union Soviétique va persévérer pour disposer de stations orbitales capables de faire vivre plusieurs mois des cosmonautes en orbite. Et si possible avant les Américains. Mais tout ne se déroule pas comme prévu…

La route fut longue avant d'avoir des équipages constamment au-dessus de nos têtes !

Une Saliout peut en cacher une autre

En octobre 1971, Saliout-1, la première station orbitale soviétique (et mondiale) est désorbitée. Sur le plan opérationnel, les équipes au sol savent qu'il s'agit d'un succès, mais il est difficile à accepter : la mort des trois cosmonautes de la mission Soyouz-11 le 29 juin est dans tous les esprits. La capsule Soyouz est immédiatement modifiée et reconfigurée pour que les occupants puissent porter des scaphandres légers (Sokol) qui leur sauveront la vie en cas de dépressurisation. Corollaire direct, les missions vers les futures stations ne pourront dans un premier temps comporter que deux paires de bras pour tout mettre en place et opérer les expériences scientifiques et techniques… Futures stations ? Oui, les deux programmes civils (stations DOS) et militaires (stations Almaz) n'ayant pas cessé de progresser.

La préparation de Saliout-2 à Baïkonour. Aux limites de Proton... Crédits URSS via Kosmonavtika.com
La préparation de Saliout-2 à Baïkonour. Aux limites de Proton... Crédits URSS via Kosmonavtika.com

Celle qui devrait s'appeler Saliout-2 (DOS-2) est prête à la fin du printemps 1972, et à nouveau il était prévu d'y envoyer deux équipages de deux cosmonautes à la suite. Malheureusement, ces stations sont à la limite de ce que l'URSS peut envoyer en orbite : le moindre problème lors du lancement, et c'est la catastrophe. Le 29 juillet 1972, tout semble bien se passer… Mais à T+3 minutes, Proton perd le contrôle de son orientation et la station de 18 tonnes n'atteindra pas l'orbite. La catastrophe est double : pour le programme spatial soviétique (une station spatiale c'est un budget conséquent), mais aussi pour continuer à devancer les Américains. En effet, les vols lunaires vont se terminer, et le décollage de Skylab, la grande station de la NASA, est prévu au printemps 1973. Pas question de rester sur le succès mitigé de Saliout-1 d'ici là ! Les politiciens entrent en jeu et offrent une opportunité unique au projet Almaz, histoire de maximiser les chances d'avoir déjà un équipage en orbite avant les américains. Almaz est une station spatiale plus petite que DOS, mais plus lourde… et disposant de plusieurs améliorations.

Un, DOS, tres…

La première station Almaz, baptisée OPS-1, décolle le 3 avril 1973. Les soviétiques ont naturellement caché l'origine militaire de ce programme, donc la station s'appelle officiellement Saliout-2. Malheureusement, ça ne lui portera pas chance… Dans un premier temps, il semble que la mise en orbite se soit très bien passée, mais rapidement, les équipes au sol comprennent que lorsque la station spatiale a été éjectée du troisième étage du lanceur Proton, ce dernier a explosé et s'est désintégré. « Saliout-2 » est criblée de shrapnels… Rapidement, la pression interne du module baisse, puis il perd son contrôle d'attitude, ses panneaux solaires se détachent. La belle histoire se termine en queue de poisson dès le 11 avril 1973. Malgré tous ses efforts, l'URSS n'a pas de station active en orbite avant Skylab… Mais le décollage américain est repoussé à la mi-mai. Peut-être est-il encore possible de les dépasser en expédiant DOS-3 à Baïkonour en urgence ?

La station américaine Skylab, prise en photo par un équipage s'approchant pour l'amarrage. Crédits NASA

Echaudés par les échecs précédents, les responsables soviétiques décident que la communication sur le vol de celle qui aurait du s'appeler Saliout-3 (en réalité DOS-3) sera minimale. L'objectif est bel et bien de devancer la NASA, de trois jours seulement ! Le décollage a lieu le 11 mai 1973, et cette fois encore la station arrive bien en orbite. Il faut cependant rapidement allumer le système propulsif pour que DOS-3 puisse passer plus que quelques jours autour de la Terre. Et… c'est raté. Malgré un grand nombre d'améliorations sur cette station, les équipes perdent rapidement le contrôle et DOS-3 épuise son carburant de manœuvre en vain. Les autorités tentent maladroitement de maquiller le fait qu'il s'agissait d'une station orbitale en nommant la mission Cosmos-557, mais les services de renseignement en Occident, avec leurs relevés radars, doutent rapidement de cette version.

Pour l'URSS, c'est un troisième échec d'affilée. Le moral est au plus bas, certains responsables sont limogés - et pire, l'insolente NASA réussit la mise en orbite de Skylab le 14 mai 1973. Même si elle est endommagée, les Américains peuvent y envoyer des équipages réparer et battre des records de longévité spatiale.

Savoir reculer pour mieux sauter

Cette fois, il vaut mieux prendre le temps sans se précipiter… Et de toutes façons, les stations orbitales suivantes ne sont pas prêtes. Il faudra attendre un an pour que le deuxième exemplaire d'une station Almaz puisse décoller le 24 juin 1974. A nouveau, l'Union soviétique se dissimule derrière un programme civil, en nommant la station Saliout-3. Mais cette fois, la mise à poste en orbite est enfin un succès ! Le premier équipage, Soyouz-14 (Pavel Popovitch et Iouri Artioukhine) décolle le 4 juillet 1974 et réussit à s'amarrer avec succès pour une mission de deux semaines. La communication est ample et axée sur les expériences scientifiques et médicales des deux hommes, car les Américains cette fois ne sont plus en orbite : la mission Skylab est terminée ! Les deux cosmonautes mènent à bien leur mission et sont reçus avec les honneurs après leur retour au Kazakhstan.

Timbre commémoratif (avec une Soyouz un peu stylisée) de la mission Soyouz-14. P. Popovitch est à gauche. Crédits URSS

Evidemment, l'Union soviétique qui n'a pas révélé qu'il s'agit d'une station Almaz, taira tous les objectifs militaires de la mission. Notamment, les performances d'équipements d'observation et de reconnaissance sont testés à bord, dont l'énorme télescope Agat. La station était même équipée d'un sas pour larguer une capsule de 400 kg, baptisée KSI, avec les pellicules ! Le largage sera commandé depuis le sol au mois de septembre. D'autre part, Saliout-3 est équipée du « fameux » canon Rikhter R-23 avec une dotation de quelques dizaines d'obus. Ce dernier est capable de tirer dans le vide spatial (pour se défendre, bien entendu), avec une précision jusqu'à quelques kilomètres. Le système, dont il reste aujourd'hui des doutes pour dire qu'il a bel et bien été testé quelques heures avant la désorbitation de la station, présentait cependant beaucoup de risques pour Saliout elle-même.

Quand Igla pas content, lui toujours faire ainsi

Après cette première mission concluante, un deuxième équipage devait partir s'amarrer à Saliout-3 pour une mission de 3 semaines avec Lev Demine et Gennadi Sarafanov (Soyouz-15). Leur fusée décolle le 26 août 1974, mais dans un incroyable enchaînement de problèmes techniques et de mauvaises recommandations de la part du centre de contrôle, ils n'arrivent pas à s'amarrer. En effet, leur système d'approche Igla est mal configuré et « bascule » dans un mauvais mode dès que Soyouz approche de Saliout, qui les fait risquer à chaque fois une collision en passant à quelques mètres à peine. Malheureusement, les cosmonautes n'ont pas les bonnes informations et tentent trois fois la manœuvre avec le système Igla activé, pendant qu'au sol, le commandement et les contrôleurs ne sont pas d'accord pour essayer une approche en manuel. Le temps que tout le monde soit sur la même longueur d'onde, le carburant de manœuvre est épuisé : Soyouz-15 doit rentrer se poser.

Saliout-3 (type Almaz) en préparation. Elle possédait 3 panneaux solaires, repliés sur le compartiment principal. Crédits URSS

L'URSS n'a pas le temps de préparer une autre mission habitée pour rejoindre Saliout-3, qui restera elle aussi comme une station orbitale au succès mitigé. Pourtant, malgré trois échecs d'affilée et une mission habitée de seulement deux semaines en trois ans, les équipes au sol ont énormément progressé. Cette période fut riche en enseignements, et les retours techniques sont directement intégrés sur les lignes de montage. Car l'Union soviétique prépare déjà les générations suivantes, qui vont bénéficier des améliorations et du retour d'expérience des cosmonautes… Il faudra donc persévérer !

Les Etats-Unis, eux, ont changé d'objectif. L'industrie s'est totalement réorientée vers un autre type de véhicule : la navette spatiale.