Bien avant la révolution GPS, un système de balises permettait déjà de géolocaliser avec précision les bateaux et d'envoyer des messages prédéfinis autour du globe. De plus en plus perfectionnée et poussée par la France, la balise Argos est devenue un outil environnemental majeur. Et son descendant est désormais prêt à reprendre le flambeau !
Déjà 43 ans que ça dure…
Argos et les gaulois
Dans la mythologie, Argos Panoptes (« Celui qui voit tout ») est doté de 100 yeux, dont 50 sont ouverts en permanence pour qu'il soit impossible de tromper sa vigilance. Dans le spatial, le projet Argos est moins axé sur la vision, mais ses balises sont connues dans le monde entier ! Et tout est né d'une coopération entre le CNES et la NASA sur… Des ballons.
Le projet EOLE est en effet conçu pour suivre des ballons stratosphériques dans le courant-jet grâce à des données envoyées non pas vers le sol, mais vers un satellite dédié, entre 1971 et 1972. Les retours sont modestes, mais la technique validée permet d'envisager une collaboration à plus grande échelle. Il faut un peu de temps pour finaliser le projet, qui prend le nom d'Argos en 1978. Cette fois, il associe les français du CNES, maîtres d'œuvre, la NASA et la NOAA, l'agence environnementale américaine, qui sont partenaires.
L'argument Argos
Le principe est relativement simple : une balise équipée d'un émetteur radio sur une fréquence particulière (401,6 MHz) émet à intervalles réguliers. Son signal est capté par un satellite en orbite basse, qui le localise grâce à une analyse du signal doppler (en gros, l'inverse des satellites Transit) et enregistre le message. Ce dernier est ensuite transmis à une station au sol en France ou aux Etats-Unis, puis vers l'un des deux centres de traitement Argos qui archive le message et sa localisation tout en assurant la gestion de l'information (par exemple l'appel des secours s'il s'agit d'un naufrage).
Cela signifie aussi qu'une balise Argos ne sert pas à vous indiquer votre position, mais à la transmettre via satellite à un organisme d'urgence et pas que ! Argos est pratique pour être embarquée sur des bouées, sur des ballons, des stations météos lointaines, bref dans un premier temps sur tout ce qui est amené à être éloigné des communications « classiques » et qui n'a besoin de transmettre que de brefs messages pré-codés.
Un autre avantage d'Argos est que côté satellite, le matériel n'est pas très encombrant, même aux standards de la fin des années 70. Il sera ainsi testé et mis en place sur des satellites américains, la NASA en faisant décoller régulièrement.
Le boitier utilisé par les Etats-Unis s'appelle le DCPLS pour Data Collection and Platform Location System. Il est essentiellement financé pour les besoins météorologiques : stations lointaines, ballons portés, bouées maritimes. Résultat, le premier d'entre eux (une unité de démonstration) décolle le 13 octobre 1978 sur le satellite TIROS-N, prototype de la nouvelle série de véhicules dédiés à observer la Terre depuis l'orbite héliosynchrone.
La précision n'est pas mauvaise pour l'époque : un seul satellite est capable de localiser une balise avec une précision garantie de 3 à 5 kilomètres et près de 4 000 messages radios peuvent être stockés chaque jour avant d'être transférés vers le premier centre opérationnel, à Toulouse. NOAA-6, qui décolle en juin 1979 est équipé du premier boitier opérationnel. Aujourd'hui, le système s'est encore largement amélioré.
Un bon business…
Passé les premières expérimentations et les besoins gouvernementaux qui se traduisent par le lancement des balises en série au début des années 80, le CNES reçoit de très nombreuses demandes d'entreprises et même de particuliers pour l'utilisation de balises Argos. En 1986, avec l'IFREMER, l'agence française met un organisme en place pour commercialiser et opérer Argos : c'est la naissance de CLS (Collecte Localisation Satellite) qui va devenir une florissante entreprise, toujours très active aujourd'hui (800 employés autour du monde, 138 millions d'euros de chiffre d'affaires).
Aujourd'hui, la NASA n'est plus partenaire du projet, mais la NOAA l'est toujours… Et plusieurs autres agences ont rejoint le CNES pour la troisième génération Argos, qui a été décidée en 1998 et dont le premier boitier satellitaire a décollé en 2006. Désormais Eumetsat (agence météorologique européenne), ISRO (agence spatiale indienne) et NASDA (agence environnementale japonaise) participent ensemble à définir les futurs standards et les plateformes du système.
Aujourd'hui, Argos en est déjà à son standard 4. Plus de 22 000 balises sont en activité, de plus en plus petites, de moins en moins énergivores, et les messages envoyés sont aussi plus variés. Six satellites sont équipés pour récupérer les messages et les transfèrent à 50 antennes de réception qui les transmettent aux deux centres principaux, en France et aux Etats-Unis.
La balise c'est fashion
Cela ne concerne d'ailleurs plus que les bouées, les bateaux des courses en solitaire ou les ballons atmosphériques : un grand nombre de balises Argos permettent le suivi d'animaux (marins notamment, mais aussi des oiseaux migrateurs et d'autres terrestres). Plus de 6 000 en sont aujourd'hui équipés, dont des albatros, des manchots, des tortues, des chouettes ou des éléphants… Argos est donc aussi un fort projet environnemental, transmettant des données météorologiques, sur les glaces, les montagnes, les vents, les animaux, la ressource en eau… Evidemment l'expression est un argument de vente pour le projet, mais on peut dire qu'Argos est devenu un peu « l'internet des objets » du suivi environnemental.
Comme nous le disions, Argos est toujours en place. Le système est d'ailleurs en train de muter pour s'adapter à de nouvelles possibilités, au sol comme en orbite. Sur Terre déjà, parce que les applications IoT (Internet of Things) explosent en quantité d'émetteurs comme en volume de données à transmettre. Et en orbite parce que la révolution des nanosatellites est passée par là. CLS se transforme et, avec l'aide du CNES, a lancé le premier satellite d'une nouvelle génération, nommé ANGELS (ARGOS Neo on a Generic Economical and Light Satellite) en 2019.
L'instrument Argos embarqué est plus petit (2 kg) que ces prédécesseurs, il peut détecter des signaux de moindre puissance et en stocker davantage en mémoire. CLS a également lancé une start-up nommée Kinéis dédiée à l'Internet des Objet, et qui va gérer seule la partie commerciale avec une constellation de 25 unités à l'horizon 2023-24.
Une longue route, qui se poursuit depuis les premiers voiliers et les bateaux équipés de balises en 1980…