La principale (et pour l'instant unique) base spatiale indienne est devenue un incontournable site pour les missions du pays. Après des débuts compliqués et des soucis de financement, elle est aujourd'hui équipée pour les profils les plus ambitieux et abrite des lanceurs très différents.
Bien que depuis le début de la crise sanitaire, le centre tourne au ralenti…
Stardust : de la poussière à la poussière
Trouver un site, pas si facile
L'Inde ne fait pas partie des nations qui firent un temps la course à l'espace avec les pionniers européens, soviétiques ou américains. Ce qui ne veut pas dire que le pays n'y avait aucun intérêt ! En 1962, le gouvernement crée l'INCOSPAR (Indian National Comitee for Space Research), qui deviendra l'agence nationale, l'ISRO, une décennie plus tard. Invariablement, se pose la question de l'accès à l'espace. La jeune nation indienne a des ambitions, mais peu de moyens. Pour les décollages, il faut trouver une zone qui n'envoie pas les lanceurs au-dessus des zones habitées, de préférence au Sud (mais pas trop, car il y a les frictions avec le Sri Lanka) et à l'Est pour pouvoir survoler la mer en accédant aux orbites polaires comme équatoriales.
La presqu'île de Sriharikota est choisie assez naturellement en 1969. Sur la carte, la ressemblance avec Cape Canaveral est presque troublante ! Pas trop éloignée du siège de l'ISRO à Bengalore, la région d'Andhra Pradesh n'est malheureusement pas industrialisée : il faudra du temps pour mettre au point des compétences et des sites technologiques pour les lanceurs et satellites du pays.
Montez dans le SHAR
Le site mis en place s'appelle donc d'abord le Sriharikota Range, abrévié en SHAR. Le premier décollage a lieu en 1971, mais il s'agit d'une minuscule fusée RH-125, qui monte tout de même bravement jusqu'à 19 kilomètres. D'autres lancements et tests ont lieu depuis le site, mais le véritable premier véhicule orbital à être mis en place est le SLV (Satellite Launche Vehicle). Ce dernier est tout simplement la première tentative de l'Inde pour devenir une puissance spatiale capable de lancer ses propres satellites. Le développement du lanceur et l'installation des infrastructures à partir de rien prendra 7 ans. Il faut dire qu'ironiquement, le SLV est en avance sur son temps : il utilise des ergols solides répartis sur quatre étages. Mais si cette technologie est facilement stockable, puissante et stable, il faut un contrôle de vol irréprochable. Le premier décollage orbital depuis le SHAR échoue donc le 10 août 1979 après 319 secondes de vol, à quelques jours de la fête d'indépendance. Ce ne sera pas dramatique : le lancement suivant le 18 juillet 1980 est un succès déterminant.
Les années suivantes, le SHAR va s'agrandir. D'abord parce qu'en plus d'opérer la SLV, l'Inde développe un lanceur plus puissant et plus ambitieux, l'ASLV (Augmented SLV). Il utilise la même zone de lancement, mais les installations sont plus grandes. Reste que l'ASLV n'est pas une fusée bien conçue, et qu'elle ne volera que quatre fois. Le premier vol, en particulier, aurait pu être dramatique pour les installations de Sriharikota si la trajectoire de la fusée ne l'avait pas orientée vers la mer : après 48 secondes de vol, l'étage central ne s'est tout simplement pas allumé… et l'ensemble est tombé dans le Golfe du Bengale. L'ISRO change alors son fusil d'épaule et développe la PSLV (Polar Satellite Launch Vehicle), beaucoup plus puissante et qui va nécessiter un nouveau pas de tir. Histoire d'embrouiller le néophyte, il s'appellera donc le… « First Launch Pad » !?
Travaux d'agrandissement
Au fur et à mesure que le lanceur PSLV décolle de plus en plus souvent au début des années 2000, l'Inde ajoutera encore un site de lancement, devenant le « Second Launch Pad », ce qui en soi n'est plus si exotique puisque la zone d'où décollaient SLV et ASLV est décommissionnée. Aujourd'hui encore, PSLV peut décoller des deux pas de tirs indifféremment, tandis que ses cousines plus impressionnantes GSLV et GSLV Mk3 s'élancent vers l'orbite depuis le n°2.
L'Inde peut se targuer d'être l'un des seuls pays n'ayant jamais connu de catastrophe humaine lors de ses opérations au SHAR, malgré des conditions de sécurité et surtout des retards technologiques importants dans les premières années. Le site continue aujourd'hui de s'étoffer. Une troisième zone de lancement est à l'étude, mais il y a aussi eu d'énormes progrès pour ce qui est des bâtiments d'assemblage, de préparation des ergols (boosters solides, mais aussi installations cryotechniques), de contrôle, de suivi et de préparation des satellites avant leurs vols.
Un pôle spatial incontournable
Aujourd'hui et depuis 2002, le SHAR a officiellement changé de nom, pour devenir le Satish Dhawan Space Center, en l'honneur de l'ancien responsable de l'ISRO. Le centre devrait d'ailleurs dans un proche futur accueillir de plus en plus d'entreprises privées, car l'Inde souhaite dynamiser son propre secteur du « NewSpace » avec l'arrivée de startups non seulement pour les satellites mais aussi pour les lanceurs. Concernant ces derniers, le pays vise toujours à disposer de moyens pour toutes les gammes à envoyer en orbite, du plus petit CubeSat jusqu'aux gros satellites de communication… qui pour l'instant décollent généralement avec Ariane 5. D'ici deux ans environ, le centre Satish Dhawan devrait aussi accueillir ses premiers astronautes, au sein du projet Gaganyaan pour envoyer des capsules habitées, entièrement conçues et fabriquées en Inde. Il y a déjà eu plus de 75 décollages vers l'orbite depuis la « Space Coast » indienne, dont les prestigieuses missions Chandrayaan (1 et 2) ou Mangalayaan.
Malgré cette expansion et une capacité qui dépasse les 10 à 15 décollages par an sur l'ensemble du site, le SHAR subit de plein fouet la crise sanitaire indienne depuis le printemps 2020. Deux décollages ont pu avoir lieu en novembre et décembre 2020 lors d'une accalmie de la situation sur place, mais les chaines d'approvisionnement, les difficultés de voyage entre régions indiennes et les restrictions imposées à l'agence gouvernementale ont stoppé ou retardé la majorité des campagnes de vol. Deux tirs seulement ont pour l'instant pris place en 2021 au centre Satish Dhawan, dont une fusée GSLV Mk 2 au mois d'août qui n'a pu atteindre l'orbite correctement. Malgré tout, le potentiel est là pour l'avenir…