Voici à quoi il devait ressembler, posé sur la Lune (ici bien entendu, c'est une maquette). Crédits NASA
Voici à quoi il devait ressembler, posé sur la Lune (ici bien entendu, c'est une maquette). Crédits NASA

1966 est probablement l'année où les Américains ont réussi à lentement reprendre la main sur la « course à la Lune ». Malgré une insolente réussite soviétique, le programme Surveyor réussit du premier coup à poser un robot sur notre satellite naturel. Coup de chance ou coup de génie ?

Seulement 3 ans plus tard, des astronautes vont tenter le coup !

A jamais pas les premiers

Début 1966, l'aventure spatiale bat son plein entre l'Union Soviétique et les Etats-Unis. Côté astronautique, le vent à déjà tourné avec les missions du programme Gemini, qui réussissent le premier rendez-vous orbital et se préparent pour le premier amarrage, tandis que l'URSS piétine avec sa future capsule Soyouz. Mais en mars 1966, Gemini 8 manque de tuer Armstrong et Scott, avec une reprise de contrôle in-extremis et un atterrissage d'urgence. Pas glorieux… Et tout le début d'année est sur une note identique, y compris pour la « course à la Lune ». Le programme Ranger s'est terminé en 1965 sur une série de succès : la NASA sait envoyer des sondes s'écraser avec précision sur la Lune, mais elle ne sait toujours pas s'y poser, ni envoyer un véhicule en orbite.

Or l'URSS réussit deux nouvelles démonstrations magistrales. Le 31 janvier lorsque Luna-9 réussit à transmettre des données après avoir atterri sur l'Océan des Tempêtes, et deux mois plus tard le 31 mars, Luna-10 entre en orbite lunaire. Les équipes d'ingénierie en sont quittes pour une belle déprime, et un gros rappel : les soviétiques ne vont pas abandonner en route.

L'une des premières images capturées à la surface de la Lune, prise par Luna-9 (et retouchée/rebalancée). Crédits URSS
L'une des premières images capturées à la surface de la Lune, prise par Luna-9 (et retouchée/rebalancée). Crédits URSS

Ambition… trop d'ambition ?

Pourtant, les Etats-Unis ont à présent une avance technologique, et ils le savent. Le véhicule sur lequel ils travaillent est bien plus avancé techniquement que Luna-9… Et au JPL(Californie) qui travaille sur le projet Surveyor, les succès des derniers impacteurs Ranger donne la confiance. Reste que Surveyor-1 est un engin imposant, qui pèse près d'une tonne au décollage, et que les équipes ont mis de gros moyens pour qu'elle puisse fonctionner. Du coup, pour s'assurer que le lanceur qui la transportera vers la Lune est fiable, la NASA se paie le luxe de deux mission avec des maquettes de la sonde, représentatives de la répartition de son poids. L'Atlas LV3C, équipée de l'étage supérieur Centaur-D, a donc déjà deux décollages réussis dans sa besace en mai 1966, lorsque Surveyor-1 fait son trajet vers la Floride pour son lancement à Cape Canaveral.

La fusée décolle donc le 30 mai 1966, et à la grande joie des équipes, tout se passe exactement comme prévu ! Mais cette série de missions lunaires n'utilise pas la méthode Apollo (une orbite basse terrestre avant d'allumer le moteur vers la Lune), ni celle des sondes les plus récentes (une orbite très elliptique, suivie par plusieurs petits allumages moteurs vers la Lune) : c'est une trajectoire directe, plein gaz vers l'objectif ! Comme il s'agit tout de même de se poser sur notre satellite naturel, la masse de Surveyor-1 est principalement constituée… De matériel pour se freiner !

Le décollage de Surveyor-1, comme si vous y étiez. Crédits NASA

Pensez-donc, une fois sur la Lune, elle ne pèse plus que 292 kg environ. Mais, luxe pour l'époque, elle est équipée d'un panneau solaire et d'un système de stabilisation sur 3 axes, ce qui permet d'orienter très précisément son antenne de communication vers la Terre. Le 2 juin, c'est le milieu de la nuit aux Etats-Unis, mais plusieurs chaines de télévision diffusent l'événement en direct, l'atterrisseur envoyant ses images depuis une caméra compatible qui diffuse en continu !

Quand Surveyor-1 se pose !

Il faut rappeler qu'à l'époque, il y a des débats (scientifiques ou non) sur le sol lunaire. Malgré les albums de Tintin, la nature exacte du sol sélène, et surtout l'épaisseur de la couche de poussière de régolithe à la surface interroge… Si le matériau est trop mou, un atterrisseur pourrait s'y enfoncer et aurait des soucis pour se stabiliser ensuite, et pas question d'y poser le pied ! Or au milieu de l'année 1966, le design des modules Apollo et surtout de l'atterrisseur lunaire est déjà très avancé, donc les équipes espèrent vraiment que les trois grands pieds de la sonde ne vont pas doucement disparaître dans le sol ! A 75 km d'altitude, le moteur principal s'allume pour freiner Surveyor-1. Avec le radar à longue portée, il sera largué à 11 km de la surface : il s'agit de gagner un maximum de poids pour que les trois petits moteurs verniers de l'atterrisseur aient la puissance de le freiner. Un radar à courte portée fait le reste : à 3,5m du sol, Surveyor-1 coupe ses propulseurs et se laisse doucement tomber. Les trois trains absorbent le choc sans problème, même s'il y a un rebond qui apparaît vite sur les relevés… Les Etats-Unis se sont posés sur la Lune !

Surveyor-1, posé avec succès ! l'image est rudimentaire, mais elle est diffusée en direct, quelques minutes à peine après le posé. Crédits NASA

Robot on the moon

Le succès de la mission est retentissant. Malgré 4 mois de retard sur les soviétiques, Surveyor a réussi à se poser droit, et transmet ses images, dont les premières (200 lignes de pixel) ne mettent qu'une minute entre la prise et l'envoi vers la Terre ! La NASA qui vient de réussir le premier atterrissage de son histoire, en profite les jours suivants pour des séries de clichés (cette fois entre 200 et 600 lignes) qui vont capturer le paysage à 360 degrés, mais aussi montrer que les pieds ne se sont pas enfoncés dans le régolithe lunaire ! Si le paysage est aussi désolé que prévu, il y a aussi beaucoup de petites roches en surface, qui confirment aux scientifiques que des humains pourraient en ramasser facilement. L'Océan des Tempêtes aurait cependant pu devenir bien plus ennuyeux pour l'agence : lorsqu'il est pris en photo depuis l'orbite lunaire par le Lunar Reconnaissance Orbiter en 2009, les équipes se rendent compte que Surveyor-1 est à quelques centaines de mètres d'un imposant cratère…

L'un des trois pieds de Surveyor-1, très légèrement enfoncé dans la poussière lunaire. crédits NASA

Surveyor-1, le survivant

Entre le 2 et le 14 juin, Surveyor-1 est capable de transmettre plus de 10000 images depuis la surface lunaire ! Une prouesse qu'il doit à son panneau solaire… Mais le petit atterrisseur va faire encore mieux, puisqu'il survivra à une nuit lunaire ! Une réussite quasi-incroyable, parce que les conditions y sont particulièrement difficiles pour le matériel, qui doit résister à des températures qui baissent jusqu'à -183°C. Ce qui l'a peut-être sauvé, c'est le peu d'électronique embarquée (sur les rovers modernes comme Yutu-2, l'ordinateur de bord et l'électronique sont gardés au « chaud » avec un petit chauffage isotopique). Toujours est-il qu'il transmet correctement depuis la surface lunaire jusqu'au 14 juillet, avec plus de 1000 nouvelles photos transmises. Les équipes de la NASA arrivent même à recevoir des données de télémesure de la sonde jusqu'au mois de janvier suivant, ce qui montre la robustesse du matériel !

Mosaïque de la surface de la Lune, telle que pouvait la voir la caméra de Surveyor-1. Crédits NASA

Une bonne nouvelle pour les ingénieurs des missions Surveyor, qui vont passer un automne difficile : le succès insolent de Surveyor-1 ne passe pas avec son successeur, qui s'écrase dans le cratère Copernicus.…