A l'heure des avions supersoniques et des premiers satellites, l'US Air Force met en place un programme de navettes pour espionner, naviguer en orbite et même bombarder au besoin n'importe quel point du globe. Mais le X-20 Dyna-Soar est trop ambitieux, trop cher et perdra son support au profit de la course à la Lune.
Finalement, le programme spatial civil aura eu du bon…
A l'ère des Dinosaures
Le phénomène était la progression logique d'une croissance technologique au sein de laquelle on voyait poindre des avions à réaction supersonique et des missiles balistiques : à un moment, il sera probablement possible d'envoyer un avion à très haute vitesse, dépasser l'atmosphère pour aller dans l'espace et revenir. Pour de la reconnaissance, pour une vision militarisée de l'espace (mettre hors d'état ou capturer des satellites) ou même pour larguer une bombe sur un ennemi potentiel.
Dans le concept, le régime Nazi avait déjà quelques projets du genre dans les cartons avec en particulier un programme nommé Silbervogel (« L'oiseau d'argent »), qui devait, à partir de rebonds sur la haute atmosphère d'un avion avec une aile particulière (un corps portant), pouvoir bombarder New-York et atterrir dans le Pacifique. Une chimère ? Peut-être… Mais dès les premières orbites de Spoutnik, l'US Air Force active son programme « 464L », qui vise à développer une arme hypersonique à moteur fusée. Et derrière ce nom, plusieurs concepts mais un seul appareil : le X-20 Dyna-Soar, un appareil spatial piloté !
La navette à tout faire…
Le Dyna-Soar (qui en anglais se prononce exactement comme « Dinosaure », même s'il s'agit de l'abréviation de « Dynamic Soaring ») n'est pas un projet de court terme qui répond à une urgence, comme d'autres le sont aux Etats-Unis en 1957-58. C’est un vrai programme industriel dont l’US Air Force veut garder la responsabilité, car ses objectifs sont avant tout militaires : du renseignement (vers le sol comme vers l’orbite), des actions suborbitales ou orbitales, et une flotte d’appareils pilotés à un horizon à 15 ans. Le programme est en trois phases, d’abord dans la haute atmosphère, puis à des vitesses hypersoniques suborbitales (au-delà de ce que faisait le X-15), et des vols de ce qui devrait devenir une vraie navette orbitale. Mais chaque chose en son temps.
Car les responsables et les industriels qui planchent sur de premières esquisses savent bien que pour propulser un tel appareil, il n'est pas question des lanceurs américains actuels, mais de grandes fusées bien plus puissantes. Que les matériaux, les moteurs, la structure et la technique de retour spatiale ne sont pas au point. Mais il savent aussi que ces avancées sont à présent à portée de main. Boeing est choisi comme maître d'œuvre au début 1959.
Le X-15 vole, mais le X-20 patine
Le développement s'avère immédiatement complexe. S'agissant d'un programme novateur, il est décidé que les premiers tests auront lieu comme pour le X-15, avec des largages en haute altitude sous l'aile d'un bombardier B-52. Mais le Dyna-Soar sera-t-il habité ou non ? Dans sa version finale, il doit embarquer un cockpit pour un pilote… Toutefois, l'aérodynamique des corps portants est mal connue, et s'agissant de vols spatiaux, l'US Air Force souhaite une version non habitée (à l'image de ce qui se prépare déjà pour les capsules Mercury de la NASA). Sauf que pour le développement, ça change tout ! Le programme monopolise les souffleries comme jamais, avec différentes configurations.
L'armée de l'air américaine a aussi des problèmes de financements, et doit défendre son programme pour qu'il ne soit pas purement et simplement absorbé et annulé par la toute jeune NASA. Reste que le design progresse. Les maquettes montrent Dyna-Soar avec une aile Delta de 10,8 m de long et 6,34 m d'envergure maximum. Les dimensions du fuselage central varient selon les versions, avec la possibilité d'embarquer du matériel d'observation, une soute à bombes ou bien quatre astronautes. Mais là encore, les options et sous-options, les concepts opérationnels varient.
Prise de poids
En 1961, la NASA réussit les premiers vols de Mercury, le président Kennedy engage les Etats-Unis sur la conquête lunaire et… l'US Air Force ne progresse pas vraiment dans son programme de navette. Après étude, c'est le lanceur Titan-IIIC qui est retenu pour propulser le X-20, mais les vols sont alors repoussés à 1966 pour les premiers essais suborbitaux et orbitaux. Et les missions de routine, après 1970-72. Il y a encore beaucoup de problèmes avec la navette elle-même, à commencer par sa masse, qui ne devait initialement pas dépasser 5 tonnes… mais ce sera une fois encore compliqué. Comme les Américains le redécouvriront une décennie plus tard (et les Européens dans les années 80-90), les navettes ont tendance à prendre du poids entre la planche à dessin et le site de lancement, surtout quand les missions qui lui seront confiées changent.
Des choix difficiles
Il y a cependant des avancées majeures. Les alliages de nickel à base de René-41, comme l'ont montré les capsules Gemini, sont efficaces. Les études portant sur la rentrée atmosphérique, qui se basent aussi sur les résultats des vols de X-15, montrent que le projet est techniquement faisable. Le concept d'aile portante est très important pour l'avenir, et sera définitivement l'une des pistes à adopter. D'autre part, dès avril 1960, l'USAF a recruté ses 7 astronautes parmi le corps des pilotes d'avion expérimentaux (Armstrong, Dana, Gordon, Knight, Rogers, Thompson et Wood) - toutefois, les deux premiers quittent le programme début 1962 pour entrer à la NASA. Alors qu'il y a encore beaucoup de questions sur le développement (en particulier sur la motorisation de la navette, dépendante de son rôle et donc des missions…), le programme est dévoilé au public à la fin 1962, ce qui génère beaucoup d'attentes. En URSS, un programme concurrent est lancé (le MIG-105), mais début 1963, c'est la douche froide. Alors que l'US Air Force tente d'obtenir un financement à la hauteur des ambitions, le secrétaire américain à la défense annonce qu'il faudra choisir entre Gemini et Dyna-Soar. Il n'y a pas assez de moyens pour mener de front la course à la Lune et le défi technique des navettes.
Ne rangez pas les plans trop loin !
En mars 1963, Dyna-Soar doit tirer sa révérence. Trop cher (il a déjà coûté l'équivalent de plus de 4 milliards de dollars d'aujourd'hui), trop peu avancé techniquement et trop en retard sur les capsules qui représentent la voie de développement la plus prometteuse, la navette est remise au placard. Pour autant, l'US Air Force ne renonce pas à ses projets habités, et lance le même jour son successeur, le MOL (Manned Orbiting Laboratory) qui va lancer la réflexion sur les stations spatiales. Surtout, la branche armée a des arguments solides à faire valoir, qu'elle déploiera dès la course à la Lune terminée. Les travaux du Dyna-Soar seront à la base des propositions des industriels pour la navette, une décennie plus tard. Et considérant la complexité de cette dernière, l'US Air Force avait peut-être bien fait d'abandonner le projet dans les années 60…