C'est un nom devenu presque générique pour toute une génération de satellites, et pour leurs concepteurs. L'architecture CubeSat, en un peu plus d'une décennie, s'est imposée pour sa facilité d'utilisation, ses standards et ses innovations. Mais c'est quoi, un CubeSat ?
Un succès qui se compte en U…
Petit mais costaud
La véritable histoire du CubeSat démarre à la fin des années 90. Avec l'essor de la microélectronique, et en même temps que l'avènement du PC dans les foyers comme dans les universités, plusieurs chercheurs travaillent sur des plateformes de petits satellites. L'objectif est multiple : réaliser des projets ambitieux avec les étudiants, tout en mettant au point une plateforme qui soit peu chère et fiable. Il y a déjà quelques mini-formats à l'époque, comme les TUBSAT ou les PICOSAT, qui ont des résultats prometteurs.
Mais la partie va se jouer en Californie, à l'université CalPoly et à Stanford, où Bob Twiggs cherche à définir une « taille minimum pour avoir un satellite pratique à utiliser », avec un système d'éjection simple et standard. Il se serait inspiré du design des emballages de petits jouets en peluche « Beanie Babies » pour son format cubique de 10 x 10 x 10cm de volume utile. Avec Jordi Puig-Suari, ils mettent en place un document de spécification pour la communauté académique. Ils ne le savent pas, et le terme n'émergera qu'un peu plus tard, mais le CubeSat est né.
D'ailleurs, à ses débuts, il n'intéresse pas la NASA, qui ne juge pas sa valeur pour l'éducation suffisante pour avoir le label (et les subventions) de l'agence. En 2014, B. Twiggs déclarera « Je suis content que l'agence ne nous ait pas aidés, sinon on n'y serait sans doute jamais arrivés ». Les critiques ne manquent pas pourtant, lorsqu'ils présentent leur idée en 1998 et 1999 lors de plusieurs consortiums et meetings académiques. Un industriel leur explique même que « c'est l'idée la plus bête qui m'ait été donné de voir, personne n'utilisera votre jouet ». Mais chez les universitaires, l'idée fait son chemin. Plusieurs groupes d'étudiants ont déjà commencé à travailler avec les spécifications. Les premiers CubeSats volent le 30 mars 2003 : 6 satellites américains, canadiens, danois et japonais, tous issus de la recherche et des universités.
Ils décollent sur un lanceur russe. Lorsqu'ils sont allés voir les géants des lanceurs américains, B. Twiggs et J. Puig-Suari n'ont pas réussi à convaincre ces derniers que leur système pouvait prendre la place des ballasts utilisés lors des lancements les plus légers…
Petit format, grand standard
Un CubeSat peut avoir plusieurs tailles, qui sont décrites par des Unités (U). Une Unité, c'est le format le plus petit, d'une masse de 1,33 kg maximum et d'une taille de 10 x 10 x 10 cm (l'un des côtés fait en réalité 11,35 cm, pour avoir un litre, ou 1 000 cm3 de volume intérieur). De nombreux CubeSats ont volé au format 1U, mais il y a souvent besoin de plus de place sur le satellite. On retrouve donc des déclinaisons 2U (deux « cubes » attachés), les très nombreux et très réussis formats 3U (10 x 10 x 30 cm) et les satellites 6U que l'on a coutume de décrire comme des « boites à chaussures » dans la presse par rapport à leur taille (10 x 20 x 30 cm). Il y a encore plus gros, mais les formats de taille supérieure sont moins utilisés et donc moins standards : 8U (20 x 20 x 20 cm), 12U (20 x 20 x 30 cm) et même 24U, dans lequel la philosophie de départ s'est un peu perdue…
Le grand avantage de ce format standardisé, ce sont évidemment les composants qui vont avec. En plus de 20 ans de création, des étudiants, des startups et même des entreprises bien établies aujourd'hui ont développé des centaines de pièces adaptées au format CubeSat, si bien qu'il est possible de presque tout acheter aujourd'hui, et même en ligne, pour un prix « raisonnable » (comptez quand même généralement quelques centaines de milliers d'euros selon ce que vous comptez commander). On considère aujourd'hui que l'indispensable, quelle que soit la taille de votre CubeSat, c'est un ensemble de petits panneaux solaires (avec les cartes de gestion et la petite batterie), une carte mère, des cartes de traitement et un module de communication avec une antenne UHF ou bande S.
Au-delà bien sûr, il est possible de trouver des charges utiles embarquées comme des caméras, des panneaux déployables, des antennes déployables, des propulseurs (à gaz froid, à ions, à iode…), des récepteurs GPS, des composants blindés aux radiations, des voiles solaires, et tout un inventaire à la Prévert puisqu'avec plus de 1 300 CubeSats envoyés en orbite basse, un grand nombre d'idées se sont concrétisées et se retrouvent en vente aujourd'hui.
Et cela ne se limite pas au satellite lui-même. Il y a aujourd'hui plus d'une dizaine de solutions (et à peu près autant d'entreprises) pour éjecter des CubeSats en orbite, toutes mises en place à partir du même standard. Ejecteur unique, par groupe de 8, éjecteur adapté au bras robotisé de l'ISS, ou même satellite autonome qui largue le CubeSat à la demande du client… Il y en a pour tout le monde.
Du CubeSat interplanétaire au CubeSat étudiant
Les CubeSats ont conquis le monde en moins de 20 ans. En février 2017, plus d'une centaine d'entre eux ont été éjectés lors d'un seul vol orbital de la fusée indienne PSLV. Les agences spatiales en raffolent, que ce soit pour tester de nouvelles technologies en orbite à moindre coût, pour stimuler un secteur commercial en particulier ou pour la miniaturisation de technologies existantes. La NASA, qui à présent supporte fortement le format CubeSat, dispose de son puissant programme de subvention ELaNa. Mais elle n'est pas la seule.
En France par exemple, le CNES subventionne le projet JANUS, qui a pour objectif d'aider les étudiants, les universités réunies en « Centres Spatiaux Universitaires » et les jeunes entreprises françaises à assembler des CubeSats innovants. L'Institut Von Karman, qui a lancé en 2012 le projet « QB50 » pour aider les étudiants européens à créer une cinquantaine de CubeSats pour étudier la haute atmosphère et les rentrées atmosphériques, a aussi généré bien des vocations…
Gare toutefois à ne pas faire n'importe quoi. A l'altitude de l'ISS, un CubeSat 1U mettra en moyenne environ 18 mois à rentrer dans l'atmosphère (parfois jusqu'à 3 ans). Au-delà de 500 km d'altitude, ces tout petits satellites qui une majorité du temps n'ont pas de propulsion peuvent constituer des débris pour longtemps, bien plus longtemps que le quart de siècle que la « Loi sur les objets spatiaux » française demande à nos entreprises. Attention donc à ne pas générer plus de débris que nous ne pouvons en suivre ou en gérer, sans quoi il faudra rapidement trouver un modèle pour des CubeSats de nettoyage (et curieusement, ces derniers n'existent pas encore aujourd'hui).
Par leur bas coûts, ces satellites sont aussi connus pour être parfois capricieux, certains matériels étant sujets à des pannes mécaniques (pour ceux qui ont des éléments mobiles) ou électroniques… De quoi apprendre pour faire mieux la prochaine fois !
Aujourd'hui, des armées qui y testent leurs derniers capteurs jusqu'aux agences qui s'en servent pour des missions interplanétaires (on se souvient des deux MarCO, qui ont relayé les signaux d'InSight lors de son atterrissage sur Mars) en passant par les entreprises qui les déploient par dizaines pour observer la Terre (Planet ou Spire par exemple), les CubeSats sont devenus des modèles très courants.
Les coûts ont dramatiquement baissé et continuent de se démocratiser. Ce qui, pour l'objectif initial de développer un outil d'apprentissage académique, est une large victoire !