Les nuages de Venus, observés dans les bandes infrarouges depuis la sonde Akatsuki. Crédits JAXA/K.M.Gill
Les nuages de Venus, observés dans les bandes infrarouges depuis la sonde Akatsuki. Crédits JAXA/K.M.Gill

Après la Lune et une première aventure vers un astéroïde, le Japon se lance avec Akatsuki dans une mission vers Venus. Fait rarissime, la sonde rate son objectif une première fois - mais, grâce à l’acharnement des équipes, parvient à atteindre l’orbite en 2015. Depuis, elle étudie la météorologie et les nuages…

Elle est la dernière (pour le moment) autour de Venus.

En route pour Venus

Avec la réussite annoncée de la mission Hayabusa (première du nom) autour d’un astéroïde, mais aussi de Kaguya autour de la Lune, l’agence spatiale japonaise se sent prête en 2010 à envoyer sa première sonde vers la planète Venus. La pression est forte : la première tentative planétaire de la prestigieuse agence japonaise vers Mars avec la sonde Nozomi avait échoué en 1998, après d’importants problèmes de moteur. La mission vers Venus prend le nom d’Akatsuki (ou Venus Climate Observer), et intègre plusieurs éléments de cette génération précédente. Elle a grosso modo la même masse de 500 kg (dont 180 kg d’ergols), deux panneaux solaires, une grande antenne pour communiquer ses données et des plus petites pour la télémesure et en cas de problème, et elle embarque 35 kg d’instruments dédiés à l’observation des nuages de Venus.

Vue d'artiste de la sonde en orbite de Venus. Crédits JAXA/Akihiro Ikeshita
Vue d'artiste de la sonde en orbite de Venus. Crédits JAXA/Akihiro Ikeshita

La planète Venus, cousine de la Terre, est en effet enveloppée d’une couche importante et presque impénétrable de 80 km de nuages dont la rotation dépasse largement celle de la planète sur elle-même. Les caméras d’Akatsuki (une en ultraviolet, 4 en infrarouge et un détecteur d’éclairs) doivent lui permettre de mieux comprendre la dynamique atmosphérique, en particulier grâce à une orbite très elliptique comprise entre 300 et 80 000 km d’altitude. Le budget reste contraint, avec moins de 300 millions de dollars comprenant le décollage de la sonde, avec une fusée H-2A. Grâce à la puissance de cette dernière, la mission peut partager l’espace sous la coiffe avec le test de voile solaire Ikaros et même quelques nanosatellites. Le lancement a lieu le 20 mai 2010, et rapidement tous les voyants sont au vert.

Préparer l’orbite

La trajectoire d’Akatsuki l’amène à se diriger directement vers la planète Venus, sans survols. Et la fenêtre de tir, optimisée pour prendre en compte le déplacement de la Terre, réduit le voyage à seulement un peu plus de six mois. Mais pour que la sonde puisse entrer en orbite elliptique autour de Venus, il lui faut un freinage précis. Elle a pour ce faire un moteur dédié, un OME (Orbital Maneuver Engine) qui est léger mais assez puissant pour assurer des changements de trajectoire et de vitesse de plusieurs milliers de kilomètres par heure. La manœuvre même est relativement simple : une fois correctement orientée, Akatsuki devait allumer son moteur durant 12 minutes. Mais pour le freinage, son antenne principale n’est pas orientée vers la Terre, et il y a même une occultation : la sonde passe « derrière » Venus. Plusieurs simulations sont menées en amont, la manœuvre est prévue dans la nuit du 6 au 7 décembre 2010.

Décollage de la mission depuis le site spatial de Tanegashima

Tokyo, on a un problème

Quelques minutes après l’injection prévue en orbite, les équipes savent déjà que quelque chose ne s’est pas passé comme dans le plan de vol : Akatsuki n’est pas joignable. Il faudra attendre plusieurs heures pour rétablir le contact : la sonde est en « mode de sauvegarde » (safe mode) et surtout, elle n’est pas en orbite autour de Venus. En calculant sa trajectoire et en récupérant les données du freinage, les équipes découvrent avec horreur que leur sonde a de nouveau souffert d’un problème de moteur. En réalité, une vanne a mal fonctionné, le mélange des ergols a produit des températures trop élevées abîmant la tuyère, et l’ordinateur de bord a éteint le moteur pour éviter qu’Akatsuki se désintègre purement et simplement… après 2 minutes et 33 secondes. Bien loin de ce qui était nécessaire pour freiner jusqu’à l’orbite.

La sonde Akatsuki en préparation avant la mise sous coiffe. Crédits JAXA/ISAS

Sauver Akatsuki sans son moteur principal

La mission est-elle fichue ? La question se pose. A l’exception de son moteur, la sonde elle-même semble intacte, et elle répond très bien aux commandes. La propulsion principale avec le moteur OME par contre, a subi trop de dégâts : après deux essais, les équipes purgent les 65 kg restants d’un des deux ergols pour gagner de la masse. Pourquoi ? Eh bien en utilisant les autres propulseurs, dédiés à l’origine aux petites manœuvres de modification d’orbite, il sera théoriquement possible de freiner pour obtenir une orbite légèrement moins favorable qu’à l’origine… mais en 2015. Soit après la durée de vie théorique de la sonde ! Qu’importe, c’est la seule solution viable : après trois manœuvres fin 2011, la JAXA met Akatsuki en « hibernation », et les équipes au sol prendront contact à intervalles réguliers avec elle pour vérifier que tous les voyants restent au vert.

L’injection en orbite fut préparée tout au long de l’année 2015, et réussit le 7 décembre de la même année, dans une véritable démonstration de résilience. Avec cette manœuvre longuement préparée, les équipes ont pu ménager les petits propulseurs (qui eux aussi ont dépassé leur durée de fonctionnement nominale). Néanmoins, c’était très risqué !

L'équipe de l'agence japonaise qui a finalement vaincu les ennuis pour entrer en orbite de Venus. Crédits JAXA

Une victoire sur la fatalité

Bien sûr, l’orbite n’est pas la même que celle prévue initialement. De 30 heures, elle passe à 13 jours, avant d’être réduite à 10 jours au courant de l’année 2016. Akatsuki est sur une trajectoire qui varie entre 1000 km et 370 000 km de la surface, une ellipse plus grande que prévue, mais qui permet globalement de respecter les objectifs scientifiques fixés avant son départ en 2010. Six ans et demi après son arrivée, elle fonctionne comme prévu, et prend régulièrement des images de l’atmosphère et des différentes couches de nuages. Si ces dernières ne font pas systématiquement la Une (elles ne sont pour la plupart pas disponibles en dehors des équipes scientifiques), elles ont donné lieu à plusieurs magnifiques compositions et interprétation des images infrarouges, en particulier par l’infographiste et artiste française Damia Bouic.

Mission en cours !

Côté scientifique, les publications d’études utilisant les données d’Akatsuki ont notamment concerné les vagues gravitationnelles (et non les ondes), montrant qu’il existe une zone de Venus où se forme une « vague » qui reste constante malgré l’épaisseur et les variations de densité des nuages qui encerclent la planète-enfer. Cette vague serait notamment due à un système montagneux qui propulse les vents en haute altitude. Les autres découvertes concernent le courant-jet équatorial de Venus et ses vitesses folles de plus de 460 km/h, plus élevées que dans les zones polaires, mais aussi les interactions entre ces courants, la topographie au sol et les vagues gravitationnelles.

Pour l’instant, et d’ici plusieurs années encore, Akatsuki reste la dernière sonde en orbite autour de Venus. Déjà évoquée, la fin de la mission ne semble pourtant pas encore à l’ordre du jour !